Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce : la dispute de la scène 9, partie 1
Commentaire de texte : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce : la dispute de la scène 9, partie 1. Recherche parmi 303 000+ dissertationsPar Anne-iIoise • 6 Novembre 2025 • Commentaire de texte • 1 617 Mots (7 Pages) • 9 Vues
Juste la fin du monde, Commentaire composé I, 9
Commentaire semi rédigé.
Introduction :
Le repas de famille représente traditionnellement l’occasion de se réunir et de se réjouir entre proches autour de bons plats. Or le repas qui se déroule dans la famille de Louis, héros de la pièce Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce datant de 1990, va tourner au fiasco. Après s’être absenté pendant douze ans, Louis est revenu voir les siens pour leur annoncer qu’il va mourir. Mais les retrouvailles sont très tendues, comme l’atteste la scène 9 de la première partie, où, au moment du café, la situation va dégénérer. En quoi la dispute qui a alors lieu peut-elle se lire comme une scène à la fois tragique et comique ? Pour répondre, nous étudierons d’abord en quoi cette scène est une scène de dispute avant d’analyser en quoi Louis est le catalyseur des tensions familiales. Nous envisagerons pour finir cette dispute sous un angle comique.
- Une scène de dispute
- Une dispute qui paraît habituelle
- La réplique initiale de la Mère a vocation de didascalie. Elle nous renseigne sur le moment de l’action : « C’est l’après-midi », à la fin du « repas ». Or ce moment s’inscrit dans une temporalité de l’habitude, du rituel (adverbe de fréquence : « toujours été ainsi » ; présent à valeur d’habitude « on n’a rien à faire, on étend ses jambes » (l.3)) → cf. la didascalie qui suit la liste des personnages ou les dimanches en famille relatés dans la scène 3.
- Dans ce cadre, la dispute paraît une chose habituelle. En effet, la Mère déclare après le départ de Suzanne et Antoine : « Ils reviendront. / Ils reviennent toujours. (l.40-41) » Le futur simple (« reviendront ») et l’adverbe « toujours » donnent une valeur de certitude aux propos de la Mère, qui laisse entendre que de telles crises sont fréquentes et qu’elles finissent toujours par se résorber.
- Mais le pronom « ils » dans « Ils reviennent toujours » peut aussi renvoyer à Louis, qui avait abandonné les siens mais a fini par retourner dans le giron familial. → Les liens familiaux apparaissent dès lors comme une sorte de fatalité dont la Mère est la pierre angulaire et à laquelle nul ne peut échapper. On a beau tenter de fuir ou se disputer, on ne peut s’empêcher de revenir vers les siens.
- Une dispute d’une grande violence
- L’explosion de colère de Suzanne et d’Antoine est traduite par de nombreux procédés stylistiques : des répétitions et des épanorthoses. (Ex. « Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n’est pas à toi que je parle ! ») (l.9-10) ; des grossièretés verbales (ex. « Mais merde, toi, à la fin ! » (l.8)) et gestuelles (« Voilà, bras d’honneur ! » (l.27)) ; une ponctuation exclamative. (Ex. « Tous les mêmes, vous êtes tous les mêmes ! » (l.38))
- Antoine fait preuve de sarcasme en singeant ironiquement Louis, ce que souligne l’emploi des guillemets dans : « « Oui, je veux bien un peu de café, je veux bien. » » (l.34)
- Une dispute quasi générale
- Tous les membres de la famille quittent tour à tour la table : Suzanne, puis Antoine, puis Louis et pour finir la Mère. Seule reste Catherine, la « pièce rapportée » (didascalie finale : Catherine reste seule)
- Le repas est par définition un moment collectif de partage, de convivialité, de retrouvailles. Quitter la table est de ce point de vue un acte fort. Le départ des uns et des autres traduit l’incapacité à vivre ensemble, à constituer une famille unie.
Transition : dispute générale et violente, certes, mais quelle en est la cause ?
- Louis, catalyseur involontaire des tension familiales
- Suzanne modifie son comportement en sa présence
- L’élément déclencheur de la dispute est la réplique de Suzanne reprochant à Louis et à Catherine de se vouvoyer. La petite sœur essaie ainsi de rendre plus chaleureux les rapports entre Louis et Catherine et d’instaurer une harmonie au sein de la famille.
- Lorsqu’Antoine intervient, elle se révolte contre son autorité qu’elle juge envahissante et tyrannique. L’épanorthose « Il a fini de s’occuper de moi, comme ça, tout le temps, tu ne vas t’occuper de moi tout le temps » (l.11-12) montre, par la répétition notamment du CCT « tout le temps » qu’elle souffre au quotidien de cette ingérence d’Antoine dans sa vie. Suzanne règle ainsi ses comptes au grand jour avec Antoine.
- Ce dernier lui reproche d’adopter un comportement inhabituel en présence de Louis : « Elle veut avoir l’air » (l.18) (→ avoir l’air grande, adulte, l’égale de ses frères ?) On devine qu’il a visé juste car elle redouble d’ailleurs d’agressivité et nie avec véhémence (grossièretés, énumération : « Compris, entendu, saisi ? » (l.26) …). Elle refuse d’être infantilisée, ne voulant pas apparaître comme la petite dernière à qui on dit comment se tenir.
- Antoine, l’éternel rival de Louis
- Antoine insiste sur le fait que Suzanne se conduit de façon inhabituelle et intolérable (question rhétorique « Comment est-ce que tu me parles ? » (l.15)).
- Puis il désigne Louis comme le responsable indirect de la dispute. « Elle veut avoir l’air, / c’est parce que Louis est là, c’est parce que tu es là, / tu es là et elle veut avoir l’air. » (l.18-20) Dans cette épanorthose, il martèle la culpabilité de Louis dont le tort est d’« [être] là ».
- Antoine ne supporte pas lorsque Catherine prend la défense de Louis (« Antoine ! ») après l’avoir singé. « Tous les mêmes, vous êtes tous les mêmes ! » (l.38) déclare-t-il avant de quitter la table, ce qui peut comprendre comme : « Vous êtes tous les mêmes à croire à la fausse innocence de Louis, à ne pas voir son petit jeu. » Ainsi, il ne semble ne pas supporter l’influence que Louis exerce, même de façon muette, sur les autres membres de la famille. Est-ce de la jalousie ? Un sentiment d’injustice ? De la peur concernant l’unité de la famille ?
- L’apparente indifférence de Louis
- Louis peut choquer lorsqu’il répond à Catherine qu’il « [veut] bien un peu de café » (l.38) alors même qu’un violent conflit vient d’éclater. Sa réponse, qui intervient absurdement, semble dénoter une profonde indifférence.
- Louis paraît également indifférent à la raillerie de son frère : « Tu te payais ma tête, tu essayais. » (l.37) Les tensions qui éclatent semblent ainsi glisser sur lui. Il apparaît comme un spectateur, un élément extérieur à la crise alors qu’il en est à l’origine.
- On remarque néanmoins que Louis se lève à la fin de la scène. Est-ce pour aller retrouver Antoine (et pour le calmer, s’expliquer) ? Son indifférence n’était-elle qu’apparente ? S’agissait-il d’un profond malaise qui le bloque et le rend maladroit ?
Transition : Cette dispute révèle de profondes failles au sein de la famille. La tonalité est donc triste. Mais certains éléments lui donnent paradoxalement une portée comique.
- La dispute envisagée sous un angle comique
- Le décalage de certaines répliques
- Le comportement de la Mère contraste avec celui des autres personnages. Elle apparaît étrangement sereine, persuadée que le conflit ne durera pas (« Ils reviendront »). Son aveuglement face à la gravité de la situation atteint son apogée à la fin de la scène, lorsqu’elle déclare alors que deux de ses enfants sont déjà partis : « Je suis contente, je ne l’ai pas dit : je suis contente que nous soyons tous là, tous réunis. » (l.43-44) Le décalage est complet avec l’ambiance délétère qui règne alors.
- De la même manière, la réponse de Louis à la proposition de Catherine de lui servir du café apparaît décalée car totalement à contre-temps.
- Le comique de répétition
- Comme dans une comédie, la scène est très dynamique tant les sorties de scène des personnages se répètent de façon rapide et inattendue. C’est ce que révèlent les nombreuses didascalies indirectes dont certaines se répètent, ce qui amplifie le comique de répétition (Par exemples « Ne la laisse pas partir » (l.29), « Antoine ! Où est-ce que tu vas ? » (l.40) « Où est-ce que tu vas ? / Louis ! » (l.45-46)). Cette réaction en chaîne de départs subits confine à l’absurdité.
- La pauvre Catherine
- La scène se termine d’une l’image d’une Catherine demeurant seule, comme punie pour avoir simplement proposé de resservir du café en vouvoyant du beau-frère ! On peut imaginer les pensées qui peuvent alors l’habiter au sujet de cette « famille de fous » qu’elle a intégrée par alliance.
Conclusion
- Par sa seule présence, Louis déclenche une violente dispute lors d’un moment censé être harmonieux. Les disputes ont certes l’air d’être fréquentes dans la famille, mais celle-ci vire au règlement de comptes personnel et quasi général.
- Louis est un personnage dont le comportement offre grande latitude interprétative. En effet, son mutisme le rend difficile à comprendre, autant pour les membres de sa famille que pour le spectateur.
- La dispute peut être envisagée sous un angle comique. Tout est une question de mise en scène.
- Dans son d’adaptation cinématographique de cette scène, Xavier Dolan a, lui, opté pour la tonalité tragique. Il a mis en évidence la place centrale que joue Louis dans le conflit en choisissant de l’installer en bout de table, à la place du père défunt, face à toute sa famille. Son malaise n’en est que plus visible.
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