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En quoi la comédie de mœurs de Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, créée en 1665, offre-t-elle une vision ambivalente du protagoniste ?

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Par   •  16 Janvier 2024  •  Commentaire d'oeuvre  •  4 043 Mots (17 Pages)  •  74 Vues

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En quoi la comédie de mœurs de Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, créée en 1665, offre-t-elle une vision ambivalente (=contradictoire, ambiguë) du protagoniste ?

Molière crée Dom Juan ou le Festin de pierre en 1665, dans l’urgence, en deux mois, car il veut sortir du conflit qui l’oppose à la confrérie intégriste du Saint-Sacrement et à toute une partie de la cour sous l’obédience d’Anne d’Autriche. Il s’agit ainsi de prouver, dans cette nouvelle pièce, qu’il dénonce les déviances du libertinage, à travers les effets spectaculaires du théâtre baroque à machines, encore très en vogue au théâtre du Marais, pour faire taire ses détracteurs et plaire, tout à la fois, à la jeune cour avide de sensations fortes. Mais en reprenant le thème à la mode de l’athée foudroyé lancé par le Jésuite Tirso de Molina, dans sa pièce, El Burlador di Sevilla, y convivado de piedra, de 1630, Molière est conduit à rompre avec les codes classiques de la comédie comme si ce héros polymorphe faisait éclater les canons traditionnels. En quoi cette comédie de mœurs offre-t-elle donc une vision ambivalente du protagoniste ? On peut, en effet, se demander si Dom Juan y est représenté comme un aristocrate brillant ou cynique, s’il s’y révèle un libertin confirmé ou un homme incapable d’aimer, enfin s’il y fait figure de révolté ou de condamné.***

Dom Juan est-il, d’abord un aristocrate brillant ou cynique ? Le protagoniste s’impose certes d’emblée en représentant modèle de la noblesse qui maîtrise les codes du pouvoir, c’est-à-dire, du discours. Il prouve ainsi un art oratoire imparable lorsqu’il échafaude, en V2, un magistral éloge paradoxal de l’hypocrisie religieuse. Construisant son morceau d’éloquence en deux parties qui évoquent d’abord l’ampleur d’un nouveau « vice à la mode » et les avantages qu’il procure, puis sa propre conversion à la fausse dévotion : « C’est sous cet habit favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires », il déploie les fascinantes thématiques baroques du théâtre du monde (theatrum mundi d’origine latine) et du monde renversé à travers le lexique dramaturgique : grâce au « masque », à l’ « habit » d’ « hypocrite », terme signifiant étymologiquement « acteur », les dévots « grimaciers », « singes », parviennent à dominer la société car « tous les vices à la mode passent pour vertu ». Mais Dom Juan avait déjà prouvé sa maîtrise oratoire en séduisant, dans la scène II2, Charlotte qu’il ravissait de ses compliments en jouant au prince charmant auprès de la paysanne des contes de fée : « Quoi ? une personne comme vous serait la femme d’un simple paysan ! Non, non : c’est profaner tant de beautés. » De même, nous l’avions déjà vu user d’un art consommé de l’esquive envers son créancier M. Dimanche, en IV3 qu’il paye de « quelque chose » : pas d’argent, bien sûr, mais de « grandes civilités », en lui jouant la virevoltante mascarade d’une visite de politesse entre pairs (= entre égaux, entre nobles), à grands renforts de « fauteuil », d’embrassement, de questions aussi intimes que stéréotypées, de serrement de main, pour s’achever par un congé expéditif à l’aide de « flambeaux » et d’ « escorte » aussi protecteurs qu’intimidants !

Derrière cette parfaite maîtrise oratoire acquise grâce à une éducation d’élite, n’est-ce pas un homme profondément cynique, qui, cependant, se trahit ? Car il n’hésite pas à braver toutes les règles sous prétexte qu’il ne pense qu’à « ce qui (lui) peut donner du plaisir » (I2). La supériorité hiérarchique de la noblesse est, en effet, légitimée par une supériorité spirituelle dont la plus grande marque est la générosité : « la naissance n’est rien où la vertu n’est pas » déclare ainsi Dom Louis, en IV4. Or l’impénitent protagoniste bafoue allègrement les règles sociales en la personne de M. Dimanche, à qui il refuse de payer ses dettes, mais aussi, en la personne de Dom Carlos, avec lequel il refuse de se battre en duel, en V3, comme promis en III4, selon le code de l’honneur aristocratique, ce qui équivaut à refuser le pacte de confiance qui fonde toute société. Nous le voyons aussi dépourvu de tout scrupule moral lorsqu’il perd d’honneur deux innocentes jeunes paysannes, Charlotte et Mathurine, dans l’acte II, jeunes filles du peuple qui auraient, dans le contexte réel, bien du mal à se marier, après de telles compromissions. D’autre part, plus grave encore, il bafoue les valeurs religieuses qui consacrent la société du temps. Non seulement, il dégrade le sacrement du mariage en épousant « à toute main », c’est-à-dire, en épousant toutes les femmes qu’il désire, mais il ne respecte pas le retour d’Elvire à la retraite religieuse, en III7, l’invitant à « demeurer » pour la reconquérir, puisqu’il essaie de réduire un saint ermite, « le pauvre », au blasphème, en III2, alors qu’il devrait envers lui, pratiquer la charité, l’une des trois vertis théologales (=essentielles) avec la foi et l’espérance, puisque, enfin, il décide de devenir faux dévot pour « faire impunément tout ce qu’ (il) voudra » (V2).***

Cependant, même si l’on s’en tient aux revendications du personnage, le doute peut germer en notre esprit car il se prétend libertin consommé mais s’avère, en vérité, piètre conquérant ! Le héros clame, en effet, haut et fort, son goût du libertinage de mœurs qui consiste non seulement à mépriser les principes religieux mais aussi à vivre sans tabou. Le voici lancé, dès l’exposition, en I2, dans la fameuse tirade d’Alexandre où il retourne allégrement l’inconstance amoureuse en œuvre de justice puisqu’il faut rendre « à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige », et vante la qualité stratégique qui permet de « forcer pied à pied toutes les petites résistances » ! Nous pouvons mesurer le succès qu’il connaît par des conquêtes accomplies aux deux extrémités de la société. Non seulement il a obtenu la main de Done Elvire en la détournant de sa vocation religieuse mais il l’a aussi rendue si amoureuse qu’elle s’humilie à le poursuivre en I3, allant même jusqu’à lui réclamer des mensonges, et qu’une fois gagnée par la grâce et emplie d’un « parfait et pur amour », elle ne veut que le sauver, en IV6. D’une façon parodique, Dom Juan obtient aussi des succès amoureux spectaculaires auprès de Charlotte et Mathurine, puisqu’en II4, il parvient, grâce à une vertigineuse mascarade, à promettre le mariage aux deux paysannes en même temps, en les assurant, chacune, de sa bonne foi, ce qui relève de l’acrobatie stratégique.

Mais ces allures de libertin

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