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En mariage, trompe qui peut

TD : En mariage, trompe qui peut. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Mars 2016  •  TD  •  2 449 Mots (10 Pages)  •  4 783 Vues

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« En mariage, trompe qui peut ». Cette maxime multiséculaire du droit français illustre parfaitement l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 décembre 2005.
En l’espèce, deux personnes se sont mariées en 1995. Le soir des noces, l’épouse découvre que son mari entretenait une liaison avec une femme mariée. Elle assigne donc ce dernier en nullité du mariage sur le fondement du second alinéa de l’article 180 du Code civil, c'est-à-dire sur le fondement de l’erreur.
Suivant le Tribunal de grande instance, la Cour d’appel de Paris déboute l’épouse de sa demande par un arrêt du 20 décembre 2001.
L’épouse se pourvoit donc en cassation en invoquant dans son moyen deux arguments. En premier lieu, elle soutient que l’erreur sur les qualités substantielles de la personne ne saurait s’apprécier de façon purement abstraite et qu’en conséquence, la Cour d’appel aurait dû prendre en considération les convictions religieuses, très ancrées, de la demanderesse. En second lieu, la Cour d’appel ne pouvait pas se contenter d’affirmer qu’il n’était pas prouvé que l’époux n’ait pas eu l’intention de maintenir cette liaison pendant le mariage, alors qu’il n’est pas contesté qu’elle a duré sept ans et qu’elle se soit prolongée jusqu’au matin même de la cérémonie, sans rechercher si ce comportement n’était pas incompatible avec le devoir de fidélité et la loyauté entre époux.
Ainsi, les hauts magistrats étaient invités à répondre à la question de savoir si la découverte de l’infidélité, antérieure au mariage, de l’un des époux pouvait constituer une erreur sur les qualités essentielles et entrainer la nullité du mariage.
La Cour de cassation répond négativement à cette question. Reprenant les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel, elle estime que cette dernière a à bon droit affirmé que la liaison antérieure au mariage « ne constituait pas une tromperie sur les qualités essentielles », puisqu’il n’était pas prouvé que le mari ait eu l’intention de maintenir cette relation postérieurement à la célébration du mariage. En outre, les juges du fond ont « souverainement estimé que les convictions religieuses de [l’épouse] ne permettaient pas d’établir que celle-ci n’aurait pas contracté mariage si elle avait eu connaissance de cette liaison […] dans la mesure où les aspirations [du mari] à une union durable n’étaient nullement mises à mal par cette circonstance ». En d’autres termes, le caractère déterminant de l’erreur, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, n’est pas établi.
Il ressort donc que pour la Cour de cassation, la fidélité n’est pas une qualité essentielle de la personne (I). Néanmoins, une telle solution procède d’une approche particulière tant de la nullité que du mariage (II).


I. La fidélité, une qualité non essentielle

Chapeau

A. Caractérisation de la qualité invoquée

Au premier abord, il peut paraitre étrange que l’erreur soit invoquée en l’espèce. Effectivement, cacher une liaison constitue un dol. Mais en droit français du mariage, le dol n’est pas admis ; c’est d’ailleurs le sens de la fameuse maxime précitée, « en mariage, trompe qui peut ». Toutefois, le dol provoque une erreur chez sa victime et cette erreur, si elle porte sur la personne ou sur ses qualités essentielles, pourra entrainer la nullité du mariage.
Que l’épouse ait commis une erreur ne fait donc aucun doute. Dès lors, la question se reporte sur la notion de qualité essentielle. Quelle qualité essentielle pouvait-elle invoquer pour obtenir l’annulation de mariage ? Plusieurs possibilités lui étaient offertes.
Tout d’abord, il faut songer, au titre de la qualité essentielle, à l’état amoureux de l’époux. En effet, l’existence d’une liaison peut laisser supposer qu’il n’éprouve pas de sentiment (ou peu) à l’égard de sa future épouse. Cependant, il est classiquement admis que cet état amoureux ne saurait être considéré comme une qualité essentielle et ne peut, par conséquent, emporter l’annulation.
Ensuite, l’erreur peut porter sur l’intention de s’engager de l’autre époux, c'est-à-dire sur son intention matrimoniale. L’intention matrimoniale est considérée comme une qualité essentielle et l’erreur portant sur cette intention est acceptée. Néanmoins, en l’espèce, cette erreur n’a pas été accueillie au motif que la liaison du mari ne remettait pas en cause ses « aspirations […] à une union durable », c'est-à-dire son intention matrimoniale.
Enfin, la religiosité de l’autre époux, c'est-à-dire sur la force de ses convictions religieuses et leur respect, peut être qualifiée de qualité essentielle. Traditionnellement reconnue, cette qualité essentielle avait été invoquée en l’espèce par l’épouse demanderesse, mais sans succès (Cf. l’arrêt de la Cour d’appel : CA Paris, 20 décembre 2001 : Dr. fam. 2002, comm. n° 40).
En refusant d’annuler le mariage sur le fondement de l’une de ces deux dernières erreurs, pourtant invoquées devant elle, la Cour d’appel s’est fondée sur une autre qualité, jugée non essentielle, à savoir la fidélité ou, peut-être plus exactement, la capacité à être fidèle. Cette position est reprise par la Cour de cassation qui donne ainsi « carte blanche » aux futurs conjoints.

B. Un blanc-seing donné aux futurs époux

La solution retenue par la Cour de cassation n’est pas entièrement nouvelle. Elle résulte de quelques décisions éparses des juges du fond. Effectivement, il avait été précédemment jugé que l’erreur sur les qualités essentielles était caractérisée lorsque l’un des époux avait caché à l’autre l’existence d’une liaison qu’il n’avait nullement l’intention de rompre. Cela signifiait qu’il n’y aurait pas erreur dans l’hypothèse où le futur conjoint volage aurait rompu la liaison au moment de la célébration du mariage.
Ce qui est donc nouveau ici est simplement que la solution soit consacrée par la Haute juridiction. Pour autant, cette consécration n’allait pas de soi.
Concernant le caractère essentiel de la qualité, ici la fidélité, le pourvoi essayait de remettre en cause l’appréciation in abstracto ou objective. A ce titre, il faut rappeler que l’appréciation in concreto consiste pour le juge à se demander si la qualité en cause est essentielle dans l’esprit des parties tandis que l’appréciation in abstracto consiste pour le juge à se demander si la qualité est essentielle dans l’opinion commune, c'est-à-dire pour la moyenne à la population française, peu important l’avis des parties. Ainsi, la différence entre les deux appréciations du caractère essentiel de la qualité est une différence de « niveau » : l’appréciation se situe au niveau des parties lorsqu’elle est in concreto ou subjective, elle se situe au niveau de la population, lorsqu’elle est in abstracto ou objective. Or, en affirmant que l’erreur sur les qualités « substantielles » ne saurait s’apprécier de façon purement abstraite, le pourvoi tendait bien à remettre en cause la solution classique. Effectivement, alors qu’en matière de contrats, le caractère substantiel de la qualité s’apprécie in concreto (ou subjectivement), en matière de mariage, le caractère essentiel de la qualité s’apprécie in abstracto. La raison de cette différence quant à l’appréciation ne résulte pas de la différence de terminologie (qualité « essentielle » pour le mariage / qualité « substantielle » pour les contrats). En réalité, contrairement au contrat des articles 1101 et suivants du Code civil qui est la chose des parties, le mariage, bien qu’il présente un aspect contractuel, est profondément marqué par son aspect institutionnel. De ce fait, tous les mariages sont soumis au même régime, la volonté des époux ne joue qu’un rôle résiduel. Par conséquent, l’appréciation in abstracto de l’erreur est traditionnellement préférée à l’appréciation in concreto, qui, elle, prend en compte la volonté des parties. De ce point de vue, il est donc parfaitement normal que le pourvoi soit rejeté.
Toutefois, le refus de considérer la fidélité ou la capacité à être fidèle comme étant une qualité essentielle peut être critiquée. Certes, le devoir de fidélité édicté par l’article 212 du Code civil ne s’applique que durant le mariage. Il est donc inapplicable à la période antérieure. Mais, même appréciée in abstracto, la fidélité n’est-elle pas une qualité essentielle ? La moyenne de la population française ne considère-t-elle pas comme primordiale la fidélité de son conjoint ? Pour répondre à cette question, il suffit de regarder les chiffres du divorce pour faute : si ce cas de divorce est moins fréquent que par le passé, l’infidélité reste l’une des premières causes de divorce pour faute. C’est dire que beaucoup d’époux n’acceptent pas les « écarts » de leur conjoint et donc que, pour eux, la fidélité est essentielle. Dès lors, la solution retenue par la Cour de cassation semble difficilement compréhensible, car le résultat de l’appréciation in abstracto ne correspond pas à la réalité.
Concernant ensuite le caractère déterminant de l’erreur, la Cour de cassation, qui reprend les motifs de la Cour d’appel et rappelle à cette occasion que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain en la matière, décide que ce caractère n’est pas établi au regard des convictions religieuses de l’épouse. Cette logique est un peu étrange dans la mesure où la liaison de l’époux mettant en cause une femme mariée, elle est certainement contraire aux convictions religieuses de l’épouse. Cela aurait donc pu conduire à caractériser le caractère déterminant de l’erreur (sans changer la solution au fond puisque la qualité n’est pas essentielle).
Ainsi, il peut être constaté que la position de la Cour de cassation est radicale : les futurs époux peuvent tout faire en terme d’infidélité avant le mariage, et ce, jusqu’au matin même des noces, mais ils perdront totalement cette liberté par la seule célébration du mariage. Cette vision de la période antérieure à l’union n’est manifestement pas conforme à celle de la majorité de la population. Mais, plus profondément, cette solution procède d’une conception spéciale du mariage et des nullités.
II. Une approche particulière de la nullité et du mariage

Chapeau

A. Une confusion des sanctions

Il ressort des motifs de la Cour de cassation que la raison profonde du rejet du caractère essentiel de la qualité et du caractère déterminant de l’erreur réside en ce que « les aspirations [du mari] à une union stable et durable n’étaient nullement mises à mal par cette circonstance [c'est-à-dire par sa liaison] ». Cette motivation est plus que surprenante tant en fait qu’en droit.
En fait, cela revient à considérer que le mariage est valable parce que l’époux infidèle avant la célébration souhaitait quand même contracter une union durable. Cette considération est paradoxale puisque la validité du mariage dépend de l’intention de l’époux dont le comportement a été en quelque sorte « fautif ».
En droit, les « aspirations à une union durable » traduisent le fait que la vie commune entre les époux était possible. Cette possibilité de vie commune justifierait donc le rejet de l’erreur et pour obtenir l’annulation, il faudrait désormais démontrer que la vie commune est impossible. Or, l’impossibilité ou le caractère intolérable de la vie commune n’a jamais été une condition pour obtenir la nullité d’un mariage, quel qu’en soit le fondement. Néanmoins, cette condition n’est pas inconnue du droit, c’est l’une de celles visées à l’article 242 du Code civil. Effectivement, ce texte, qui régit le divorce pour faute, dispose que « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque les faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée de devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ». Ainsi, cet arrêt vient transposer une condition du divorce à la nullité du mariage pour erreur. Or cette transposition n’est pas complète. A ce titre, il faut rappeler que depuis 2005, la condition tenant à l’impossibilité de la vie commune en matière de divorce pour faute est présumée dès lors que la faute grave ou renouvelée est caractérisée. Mais, en l’espèce, la Cour de cassation n’applique pas cette présomption. Au contraire, elle semble présumer que la vie commune était possible.
Par ailleurs, un autre élément est érigé en condition de l’erreur : l’intention de poursuivre la liaison après le mariage. Ainsi, dans l’hypothèse où l’époux aurait eu l’intention de maintenir sa liaison après le mariage, l’erreur aurait pu être reconnue. A nouveau, une confusion entre la nullité du mariage et le divorce peut être constatée. En effet, la demande en nullité étant toujours postérieure à la célébration du mariage, la démonstration de l’intention de poursuivre la liaison après le mariage suppose en réalité de rapporter la preuve non pas d’une intention, mais d’un véritable adultère. Or, l’adultère commis pendant le mariage n’est pas source de nullité, mais de divorce. Il s’agit d’une faute au sens de l’article 242 du Code civil et qui résulte du non-respect de devoir de fidélité imposé par l’article 212 du même code.
Ainsi, cet arrêt révèle une confusion très nette entre la nullité du mariage et le divorce, en particulier le divorce pour faute, ce qui ne paraît pas être une évolution souhaitable. Toutefois, il recèle un point positif quant à l’influence des convictions religieuses sur le droit du mariage.


B. Le droit du mariage, un droit laïc

Que le mariage français soit un mariage laïc, c'est-à-dire civil, n’est pas nouveau. Effectivement, en droit français, seul le mariage civil a une valeur juridique, le mariage religieux n’en a aucune. D’ailleurs, les époux n’ont aucune obligation de célébrer un mariage religieux et au cas où celui-ci aurait lieu avant le mariage civil, le ministre du culte qui a procédé à ce mariage encourt une sanction pénale (six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende ; art. 433-21 du Code pénal).
Ce qui est plus nouveau dans l’arrêt commenté est qu’en droit du mariage, la Cour de cassation semble limiter l’impact des convictions religieuses des époux. D’une part, le présent arrêt rejette toute influence des convictions religieuses sur la qualification de la qualité. D’autre part, cet arrêt valide une interprétation minimaliste de ces convictions au regard de caractère déterminant de l’erreur. Il faut remarquer qu’en l’espèce, les époux étaient de confession juive. Mais la solution, en raison de sa formulation générale, sera applicable à tous les époux quelle que soit leur religion.
A ce titre, l’arrêt commenté donnait les clés pour résoudre la fameuse affaire dite de la virginité (TGI Lille, 1er avril 2008 et CA Douai, 17 novembre 2008). Reprendre les faits et la procédure (faire en résumé la fiche d’arrêt). On remarquera que dans cette affaire que le jugement du TGI de Lille ne fait pas état des convictions religieuses, car l’épouse a reconnu le mensonge, et le mari a eu l’intelligence, du moins en appel, de n’invoquer ni l’erreur sur la virginité, ni ses convictions religieuses. Conclure en disant qu’aucun pourvoi n’a été formé, mais si tel avait été le cas et qu’il ait été fondé sur les convictions religieuses du mari, il aurait manifestement été rejeté par la Cour de cassation.
S’agissant de la prise en compte des convictions religieuses, l’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2005 et l’affaire de Lille marquent le début d’une nouvelle ère et on peut penser que non seulement la Cour de cassation réitérera cette jurisprudence, mais que, de plus, elle la radicalisera.

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