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Eluard

Commentaire de texte : Eluard. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  8 Mars 2022  •  Commentaire de texte  •  1 921 Mots (8 Pages)  •  237 Vues

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Selon la légende, un des fondateurs de la poésie serait Orphée : désesperé par la mort de sa femme Eurydice, il exhale sa douleur dans des vers qui charment tous les bois d'alentour et la nature, émue, participe à son chagrin ; les dieux même se laissent fléchir et lui accordent de revoir Eurydice aux Enfers. Eluard choisit lui aussi la poésie pour pleurer sa femme, qui vient de mourir, mais sachant que les dieux n'auront pas pour lui la même clémence, il tente de rejoindre « Nush » par le dialogue qu'il noue avec elle à travers son poème « Notre vie », extrait du recueil Le Temps déborde. Ce poème, écrit le jour de la mort de Nush, sa compagne depuis dix-sept ans, frappe par sa simplicité et aspect intime ; mais ce poème est aussi empreint d’une grande force pathétique qui fait partager la douleur du poète.

Ce qui étonne d’abord dans ce poème, c’est qu’il s’agit d’un poème intime et familier.

D’abord, le poème présent le naturel d'un dialogue amoureux. En effet, le poète s'adresse directement à Nush et semble prolonger le dialogue amoureux au-delà de la mort, comme pour faire revivre la morte. Le tutoiement, comme dans les vers 1 et 6 : « tu l’as faite », « disais-tu », mêlé aux fréquents indices personnels de la première personne du singulier, comme on en trouve au vers 4, « en moi », ou au dernier vers avec « mon passé » et « je fais », qui scandent le poème établit un lien de proximité et d'intimité. Ce lien est renforcé par la forte présence du « nous », qui concrétise l'unité du couple et rend indissociables les deux êtres ; le titre même du poème en témoigne : « Notre vie », expression reprise deux fois dans le poème, aux vers 1 et 6. Le début du poème repose sur l'enchevêtrement de « je », « tu » et « nous », comme pour continuer un dialogue quotidien, et les paroles de Nush rapportées au style direct (« Notre vie disais-tu », vers 6) maintiennent cette illusion.

Ensuite, la langue qu’emploie Eluard est une langue simple et familière. Le dialogue est mené sur un ton simple et naturel, dans un style qui, comme la conversation intime, ne s'embarrasse pas de mots compliqués :il est question de « vie », d'« aurore », de « matin de mai », de la « neige »... Le lecteur a l'impression qu'il n'est pas indiscret d'écouter cette conversation amoureuse qui ne comporte pas de confidences trop intimes. Par ailleurs, Eluard a recours à des expressions imagées, comparaisons et métaphores, qui appartiennent à la langue courante, familière : la vie commune est comparée à l'« Aurore d'une ville un beau matin de mai». La référence à la ville, habituellement peu poétique, renvoie à une expérience ordinaire. De même la mort présentée par la personnification de la terre dans le vers « la terre a refermé son poing », est assez prosaïque. Enfin l’expression « entre [...] comme dans un moulin » appartient à une langue familière. La syntaxe, elle aussi, suit la simplicité du dialogue intime : certaines phrases nominales restent en suspens, comme dans la vie quotidienne, telle la phrase : « Morte visible Nush invisible... ».

        Enfin, le poème évoque la vie à deux et un bonheur simple. Le titre lui-même fait penser à une vie heureuse et simple ; il est repris en anaphore au début des deux premières strophes, ce qui crée un rythme berceur, sans qu'Eluard éprouve le besoin de détailler les éléments de cette vie. Ces deux mots lui semblent assez pleins pour se suffire à eux-mêmes. Il fait des variations très simples sur ce motif, à travers les expressions « dix-sept années toujours plus claires », « donner la vie à ceux que nous aimions », où dominent les champs lexicaux de la vie de couple et de l’amour. Par ces mots, il fait resurgir un bonheur simple qui engendre un sentiment familier, la joie , que synthétise l’adjectif « contente » au vers 6.

        Ainsi, Eluard, malgré la mort de Nush, parvient-il à faire durer un dialogue vivant et intime avec elle. Toutefois, tout le poème est aussi marqué par la souffrance du poète.

        D’abord, on peut remarquer l'omniprésence et la progression de la mort. La peinture de ce bonheur désormais passé et « rompu », par contraste, met en lumière la douleur et la souffrance du poète après la mort de Nush. La répétition du mot « mort », souvent en début de vers, comme aux vers 5, 9,10, 11, fait d'elle une réalité omniprésente et crée comme un leitmotiv lancinant, soutenu par des allitérations en « m » et en « v » : « La mort qui vient la mort qui va la mort vécue ». Le poème tout entier repose sur un jeu d'oppositions : dans la première moitié du poème s'affrontent la « mort » (v. 5, 8-11) et la « vie » (dans le titre, v. 1,6-7) ; d'autres antithèses relaient ce contraste fondamental, souvent imagées et symboliques : « donner la vie » (v.7) qui évoque une naissance s'oppose à « a refermé son poing » ; l' « Aurore » (v. 2, 4) et sa clarté (v. 4 : « années [..] claires ») luttent avec la « nuit » (v. 14), le « beau matin de mai » (v. 2), c’est-à-dire le printemps, avec la «neige» (v. 13), c’est-à-dire l’hiver, les paroles (« disais-tu ») avec le « silence » (v.15). A l'intérieur même du vers 1, s'opposent cruellement la vie réalisée et vécue (« faite ») et la vie détruite, « ensevelie ». La mort prend plusieurs formes et semble se multiplier : à côté de celle de Nush, présentée de façon réaliste, il y a celle - spirituelle - du poète qui s'annonce et dont l'avancée inéluctable est rendue par le rythme ternaire des vers 9-10. La mort paraît d'autant plus inquiétante et agressive qu'elle est personnifiée : comme une sorte de monstre parasite, prédateur ou vampire qui prend possession de l'être et attend de s'emparer du poète, elle « mange et boit », « entre en » lui et l'habite.

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