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Scarron ,le roman comique

Commentaire de texte : Scarron ,le roman comique. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  12 Avril 2022  •  Commentaire de texte  •  2 486 Mots (10 Pages)  •  459 Vues

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Romane Davy

Scarron, Roman comique

Alors que fleurissent encore en littérature au XVIIe, les romans d’inspirations héroïques, idéalistes, romanesques et sentimentales, en lesquels prime une vision quelque peu irréaliste, car idéalisée, du monde, se fait éprouver -en opposition à cette dernière- la nécessité du recours aux registres comiques ; par le burlesque, la parodie, la satire… qu’incarne au milieu du siècle le Roman comique de Scarron, œuvre ultime et inachevée de l’auteur. Le Roman dans son ensemble est traversé de traditions hétérogènes ; héritier notamment du genre picaresque, il témoigne de la volonté d’allier fiction et réalisme, et use pour cela des codes des genres dont il va à l’encontre. Ainsi dans l’extrait qui nous intéresse, au chapitre IX, Scarron en contant une anecdote relative au personnage de Don Carlos, se donne prétexte à reprendre à la fois le genre romanesque par la parodie et le genre de la nouvelle et de ses récits intégrés (« tiroirs ») par le biais de devisants. Et donne donc à lire, au travers d’une « nouvelle espagnole », un conte d’un comique protéiforme, dont les sujets sont variants et les moyens d’y parvenir, ingénieusement pluriels.

Ainsi débute donc l’histoire de « l’Amante invisible » ; le narrateur débute son récit par la présentation immédiate de son personnage, d’origine noble : « Dom » et particule, personnage venu droit des récits sentimentaux ou héroïques, aux contours lisses et connus du lecteur ; « jeune gentilhomme ». La nouvelle s’ouvre donc sur un genre apparemment défini et semble en épouser la forme. C’est ce que donne à penser la suite du récit ; la phrase a des allures précieuses, « il fit des merveilles de sa personne », le sujet est dédoublé, la syntaxe est à l’image du personnage ; soignée et maniérée. Le décor n’est autre que celui de la cour, au sein de laquelle le héros s’expose aux regards des plus nombreux, dont le « peuple », par le biais de « spectacles publics » en l’honneur des grands, caractéristique propre aux protagonistes héroïques ; le personnage est donc affublé des traits qui doivent être les siens pour correspondre au modèle qui le régit. Cependant, intervient déjà le narrateur, sans intermédiaire, avouant sa connaissance lacunaire du récit ; non seulement l’intervention rompt avec la littérarité précédente pour laisser place à une marque d’oralité « car je ne sais pas », et ainsi le récit perd sa hauteur au détriment de la trivialité, de l’ordinaire d’une histoire contée par un biais qui n’est pas celui de la littérature, et n’adhère plus aux codes du genre héroïque qui n’auraient pas permis le doute sur les faits, mais également elle permet au narrateur d’extirper son lecteur de la croyance qu’il place en le récit. Car une intervention directe du conteur oblige à la reconsidération de ce qui est présenté du fait qu’elle ouvre sur son caractère fictif ; l’expression ouverte de l’extériorité du narrateur face a son conte lui ôte déjà une part de son crédit et élargit les possibilités pour le lecteur de se positionner. La parenthèse se referme et le récit se poursuit, le narrateur affine le contexte et place un évènement en tête, lequel servira de point d’ancrage à la suite. En effet, la journée qui va être relatée est présentée comme « le lendemain » du triomphe du héros ; apparaît donc la cause de l’élection de cette journée, qui sera sans doute marquée de l’influence de celle qui la précède. Ici, une fois encore, le thème est celui d’un registre héroïque du fait que l’action naît d’un éclat de gloire du protagoniste ; « une course de bague dont il avait emporté l’honneur », qui plus est relève du registre de la chevalerie. Est ensuite montée la scène mondaine et aristocratique qui sera le lieu de l’action, dans un style toujours en adéquation avec le propos, le second sujet de l’histoire est introduit ; les femmes, de par leur goût évident pour les coquetteries et frivolités, commun aux mondains. Commence donc à prendre forme l’anecdote et la narration prend un tournant encore différent ; si le narrateur ne s’offre pas entièrement à la vue du lecteur, il point perceptiblement de derrière le texte en exerçant un léger jugement sur son personnage, qui « s’habilla du mieux qu’il put », dom Carlos n’est plus le brillant gentilhomme des débuts, il ne se distingue pas par un goût exemplaire et distingué… mais tente de s’en approcher. Deuxième déviance donc de l’image héroïque, le narrateur le regarde s’apprêter et ce qui s’apparente à une démarche, une tentative personnelle de la part du personnage est prétexte au ridicule, à l’insertion d’une subreptice dérision ; le personnage romanesque se découvre des failles. Le récit s’élargit, et révèle une multitude de coquets semblables au premier, des « tyrans des cœurs » ; l’expression est audacieuse, à la risée des concernés, car tyran est un mot fort, bien trop pour ces hommes dont les seuls pouvoirs seraient l’apparat et les artifices de la parole, n’ayant pour conséquent rien d’absolus, mais surtout associée à l’expression qui lui suit ; « église de la galanterie ». Si les cœurs sont naturellement associés à la galanterie, la possibilité de rapprocher le caractère tyrannique à l’église questionne d’avantage. Si supposé que l’auteur y entende réellement une affinité, alors il se joue du lecteur lorsque plus loin il dit des églises qu’elles sont outragées, sous entendu par d’autres. Toujours est-il que l’activité dont il est question, celle de la galanterie, volontairement placée en le lieu de l’église, est une image en elle-même relativement blasphématoire, et résolument profane. Car l’auteur s’amuse de la possibilité de cette contradiction, et si le lecteur lève les yeux du texte il s’aperçoit bien que la situation n’est qu’un montage, et que si elle peut s’apparenter à un fait réel, elle est un pur acte de reconstitution de l’auteur qui s’y intéresse avec malignité. L’on penche donc subitement d’un récit bienséant à l’exposition d’un sujet périlleux. L’auteur procède donc à un renversement des codes, opposant les faits contés,  les choses qu’alors on dit à celles que l’on dissimule. Afin de laisser au lecteur la possibilité de se ranger du côté de celui qui n’est pas moqué, de lui laisser le doute sur la nature des personnages visés par le narrateur, ce dernier poursuit avec l’utilisation du pronom indéfini neutre « on », et énonce un propos qui se veut donner l’apparence d’une vérité générale. Ce qui prend une allure d’une harangue à l’encontre de païens et de l’irréligion dont est victime l’église, souffre cependant de velléité. Et pour cause ; l’intention de l’auteur est moins de délivrer un jugement moral que de mettre en scène et donc interroger, les pratiques de ces amusants galants à propos desquels on dit, à son goût, trop peu la vérité. Ce qui justifie le choix de termes prononcés tels que « godelureaux et coquettes », tournant en dérision les mêmes personnages que ceux mis en valeur par le biais d’une noblesse romanesque… Qualificatifs d’ailleurs opposés syntaxiquement au « temple de dieu » ; opposition qui participe d’un ton trivial en tant qu’elle mélange des registres antinomiques, mélange du noble, du sublime, au risible, médiocre. L’auteur prolonge encore son sermon, et mène la remontrance au sujet des religieux, accusés de faire preuve d’un esprit mercantile, et adresse explicitement au lecteur son regard sur le jeu qui se déroule en lieux saints, et la perversion de ceux qui s’y trouvent, à qui le narrateur reproche le manque de piété au détriment d’un comportement guidé par l’intérêt ; il dépeint le travestissement de cérémonies religieuses (ici des noces) puritaines en des festoiements pompeux. Remontrance de peu de sérieux cependant, car bref et vite repris par un comique burlesque qui ne permet pas de voir en ces propos un réel souci pour l’avenir du christianisme, mais plutôt un rire satirique tourné vers cette société qu’il dépeint et sur la manière dont, par d’autres, elle fut dépeinte avant lui. Ainsi l’auteur continue à faire usage de ce « on » impersonnel, puis du conditionnel, plus libre, moins moralisateur « on devrait donner ordre » pour introduire des termes de son invention, loufoques- « chasse-godelureaux »- amenant nécessairement son lecteur à rire des moqués, dont il pourrait bien être constituant… L’affront ne prend pas encore fin, puisque vient s’ajouter à cette moquerie ouverte la comparaison des coquets à de vulgaires bestiaux d’ordinaires chassés, leur conférant le statut de parasites, d’inopportuns, dont la présence s’explique moins par le respect voué aux pratiques religieuses que par le simple intérêt par lequel serait guidée une mouche s’abreuvant à la source d’un bénitier. On remarquera qu’à ce stade de la narration, le héros originel ne vaut guère plus que ce que vaudrait un canidé. Mais trêve de condamnations, le narrateur procède de nouveau à une interruption du récit ; à l’aide du fidèle « on » marque qu’il pense la réaction d’un potentiel publique face à ses propos, et ainsi le devance «  on dira ici de quoi je me mêle », la forme est celle d’un discours oral, le narrateur apostrophe le lecteur, ce « sot ». En procédant de la sorte, le positionnement que pouvait adopter le lecteur se voit encore remis en question ; l’auteur est-il honnête ? Se joue t-il de moi ? Il détruit toute certitude naissante dans l’esprit du lecteur quant à ses opinions réelles, l’humour prend le pas sur la sincérité. Et s’il se présente alternativement sous la forme d’un témoin, d’un moraliste ou d’un conteur c’est bien pour contraindre son lecteur à percevoir la futilité, le caractère fictionnel et risible de son récit. Il appel le lecteur à ne pas s’offusquer, à ne pas céder au pathos mais plutôt à considérer avec lui, par connivence, le récit qu’il lui offre de mettre en scène. Connivence permise par la mention d’un dialogue fictif qui vient lui même s’ajouter à la fiction du roman. Rien de tangible n’est laissé au lecteur qui souhaiterait poser le pied, les genres se mêlent et se contredisent fourbement. Ces quelques phrases d’intervention directe du narrateur constituent le point culminant de cette volonté de distancier le lecteur du texte ; lecteur et narrateur sont dits sots et le récit un « ramas de sottises », et c’est précisément dans cette sottise feinte que peut se trouver toute l’intelligence de la démarche. Car si alors l’auteur est un sot, doublé d’un menteur, à quoi bon se scandaliser d’idées qui n’ont pas valeur de vérité ? L’auteur se place en retrait face aux idées énoncées, décline toute responsabilité en affirmant l’absence d’honnêteté, et laisse ainsi le lecteur face à la liberté de s’orienter. Manière pour l’auteur donc de ne pas penser pour son lecteur, de pas édicter une morale personnelle qui aurait prétention à valoir pour autrui, mais plutôt de se dissimuler malicieusement derrière le personnage de son narrateur, afin de guider de ses mains gantées le lecteur-marionnette non pas vers une idée arrêtée mais bien une réflexion sur leur valeur. Ainsi, si « tout homme est sot en ce bas monde » le menteur qui se joue des hommes est peut-être celui qui l’est le moins, et le lecteur qui accepte d’être dupé celui qui aura la chance de s’extirper de sa sotte condition. C’est d’ailleurs bien l’idée qu’il exprime lorsqu’il avance avoir « plus de franchise à l’avouer » ; s’il est sot il tire cependant son mérite du fait de le reconnaître, entreprise qui constituerait selon lui un premier pas vers l’émancipation de cette sottise, si possible est la chose, car un sot qui se sait sot ne le sera jamais tant que celui qui l’ignore, ce dernier étant celui « aveuglé par l’amour propre », celui même qui se scandalise à cette lecture et qui n’a pas connaissance d’être moqué.

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