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Les Boulevards de Jules Laforgue

Commentaire de texte : Les Boulevards de Jules Laforgue. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  4 Mars 2022  •  Commentaire de texte  •  2 082 Mots (9 Pages)  •  565 Vues

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« Les Boulevards » de Jules Laforgue

A la fin du XIXème siècle émerge un nouveau mouvement littéraire : le symbolisme. En réponse au réalisme et au naturalisme, ce courant cherche un moyen d'expression plus apte à déchiffrer l'univers en bannissant toute pensée logique et rationnelle. On ne décrit plus, on suggère, on invente des images aptes à exprimer des idées abstraites, et ce, par le biais du langage. C'est dans ce contexte que le jeune Jules Laforgue s'adonne à la poésie, et rédige son recueil Le sanglot de la Terre entre 1880 et 1882, dans lequel apparaît « Les Boulevards », dont le titre révèle une atmosphère urbaine., caractéristique de « l'après hausmannisation ». On retrouve ce thème de l'urbanité chez plusieurs artistes qui ont nourri les écrits de Laforgue, notamment Charles Baudelaire. D'ailleurs, « les Boulevards » est empreint du spleen baudelairien, soit, d'un certain malaise dans la société. Dans ce poème, le poète décrit une promenade banale, probablement dans Paris, qui tourne à la prise de conscience. L'auteur conjugue énergie citadine et langueur mélancolique dans le respect rigoureux des règles du sonnet marotique. Aussi, comment « Les Boulevards » traduit-il la solitude et l'angoisse du poète ? Dans une première partie, nous étudierons la façon dont Laforgue présente la vie urbaine. Puis nous montrerons que ce sonnet est révélateur de l'isolement du poète. Enfin, nous verrons que la présence de la mort est l'expression d'une remise en question du poète sur sa condition.

Les deux premiers vers du premier quatrain ainsi que le vers 6 présentent un cadre spatio- temporel vague (avec le complément circonstanciel de lieu « Sur le trottoir » au vers 1 ; la personnification du nom « Midi » au vers 1, et la « langueur printanière des arbres au vers 6). Le champ lexical de la ville, émietté tout au long du sonnet («trottoirs », « étalages » vers 1,

« ouvrières » vers 2, « bières » vers 6, « voyou » vers 13) permet cependant au lecteur de deviner l'environnement de la scène. C'est à travers les yeux du poète que la scène est décrite : le lecteur en est averti par l'introduction du « Je » au vers 5, auquel se conjugue le verbe de déplacement

« aller ». Ainsi, l'imagination du lecteur suit le regard de l'artiste qui erre, mais surtout observe et écoute. Grâce au procédé d'hypotypose, le lecteur est spectateur mais aussi auditeur : il peut voir l'éclat du trottoir (« le trottoir flambant » vers 1), les « pâles ouvrières » (vers 2) et leurs luisants regards (vers 4) et entend le cri des marchands («étalages criards » vers 1), les bavardages (exprimés par la métonymie « des bières causaient », vers 7 et 9) des citadins. La scène est rendue vivante grâce à une description visuelle et auditive.

Cependant l'imparfait itératif (« lâchait » vers 2, « trottaient » vers 3) souligne le caractère

quotidien et banal de la scène. Le chemin du poète croise celui des citadins ordinaires (en l'occurrence des marchands et des ouvrières), lors de situations ordinaires. De là, on trouve une forme d'harmonie entre le fond (tout au moins celui des deux quatrains) et la forme du poème. Dans la forme choisie par Laforgue, un sonnet marotique, on retrouve une certaine régularité qui ressemble à celle du monde urbain décrit. En effet, quasiment rien ne sort de l'ordinaire : que ce soit la structure (deux quatrains et deux tercets), le mètre (les vers sont des alexandrins), la versification, le schéma de rimes (deux strophes en rimes embrassées suivies de la structure CDD ou EED), ou encore l'alternance des rimes féminines et masculines. Tout est conforme aux règles du sonnet marotique. Si cette structure signifie une forme d'harmonie, elle cache peut-être une certaine dérision, de par sa régularité presque monotone, à l'image du monde que l'artiste dépeint.

Loin de brosser le tableau d'un environnement agréable et harmonieux, l'auteur présente une vision grinçante de la ville. Les rimes embrassées traduisent une atmosphère étouffante, et l'allitération en r (« sur le trottoir flambant d'étalages criards » vers 1, « qui trottaient en cheveux par bandes familières » vers 3) représente une forme d'agressivité perçue par l'auteur. En effet, on peut penser que la prédominance de la consonne r contribue à révéler un trouble, un malaise suscité par le spectacle qu'il subit. Son manque de cohésion avec la vie urbaine se manifeste aussi par le fait que les personnages ne soient pas directement assignés à des femmes ou des hommes, mais d'abord par leur statut social : les marchands sont décrits avec un procédé de métonymie

(« d'étalages criards »), les ouvrières sont caractérisées par le fait qu'elles ne portent pas de chapeau (elles sont « en cheveux »). Et l'auteur ne se contente pas de ranger les êtres qu'il croise dans un rang social ; en effet, les ouvrières sont d'abord caractérisées comme un groupe d'abeille auxquelles l'heure du déjeuner rend la liberté. Paradoxalement, c'est précisément ce qui fait l'humanité (le travail) qui la réduit ici à son animalité. Le marchand est seulement désigné par son caractère « criard », et les « pâles ouvrières » sont comparées à un groupe d'abeilles « lâché », libéré de sa tâche mécanique et collective. L'animalisation est accentuée par le verbe « trottaient » au vers 3.

Par tous ces procédés, le poète révèle donc son malaise dans la société, son incohérence avec le monde qui l'entoure.

On comprend ainsi pourquoi le poète de s'isoler au deuxième quatrain, préférant se perdre dans le vide de la mélancolie plutôt que dans la plénitude de la foule.

Il s'éloigne de la vie, du reste du monde. Le bruit devient « lointain » (vers 5) et l'adjectif

« quelque » précédant le mot « orgue » marque le caractère vague, flou, de ce qui est autour de lui. Cette indifférence renforce le sentiment d'isolement du poète., de nécessite d'évasion. Il paraît coupé du monde qu'il regarde sans voir. D'ailleurs, l'apparition tardive du « je » (au deuxième quatrain) révèle un unique rôle d'observateur lorsqu'il se mêle à la foule. Il semble détaché de la description qu'il a précédemment établie, alors que le lecteur perçoit une implication plus marquée dans le deuxième quatrain (notamment avec les deux

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