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Montaigne , lecture analytique, chapitre IX du livre III

Fiche de lecture : Montaigne , lecture analytique, chapitre IX du livre III. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  1 Avril 2019  •  Fiche de lecture  •  1 920 Mots (8 Pages)  •  1 737 Vues

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De la vanité


    J'ai la complexion du corps libre, et le goût commun autant qu'homme du monde. La diversité des façons d'une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. Soient des assiettes d'étain, de bois, de terre: bouilli ou rôti: beurre ou huile de noix ou d'olive: chaud ou froid, tout m'est un: et si un, que vieillissant, j'accuse cette généreuse faculté et aurais besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l'indiscrétion de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j'ai été ailleurs qu'en France, et que, pour me faire courtoisie, on m'a demandé si je voulais être servi à la française, je m'en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d'étrangers. J'ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s'effaroucher des formes contraires aux leurs: il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu'ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure: les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu'ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu'elles ne sont françaises? Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La plupart ne prennent l'aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés d'une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d'un air inconnu.
    Ce que je dis de ceux-là me ramentoit, en chose semblable, ce que j'ai parfois aperçu en aucuns de nos jeunes courtisans. Ils ne tiennent qu'aux hommes de leur sorte, nous regardant comme gens de l'autre monde, avec dédain ou pitié. Otez-leur les entretiens des mystères de la cour, ils sont hors de leur gibier, aussi neufs pour nous et malhabiles comme nous sommes à eux. On dit bien vrai qu'un honnête homme c'est un homme mêlé.
    Au rebours, je pérégrine très saoul de nos façons, non pour chercher des Gascons en Sicile (j'en ai assez laissé au logis): je cherche des Grecs plutôt, et des Persans: j'accointe ceux-là, je les considère: c'est là où je me prête et où je m'emploie. Et qui plus est, il me semble que je n'ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres. Je couche de peu, car à peine ai-je perdu mes girouettes de vue. 

Les Essais, livre III, chapitre IX (extrait) - Montaigne

Michel de Montaigne est né en 1533 dans le Périgord. Il reçut une éducation humaniste. Après des études de droit, il entame une carrière au Parlement de Bordeaux dont il se retire en 1563 sur ses terres, pour rédiger une œuvre importante, Les Essais, qui constituent un ensemble de réflexions philosophiques fondées sur son vécu : « Je suis moi-même la matière de mon livre », écrit-il dans la préface « Au lecteur ».

Dans le chapitre IX du livre III, Montaigne nous fait part de sa conception du voyage.

LECTURE DU TEXTE

Nous nous demanderons donc comment l’expérience personnelle est mise au service d’une philosophie du voyage.

Pour cela, nous commencerons par étudier l’implication personnelle de l’auteur dans le texte. Puis, nous analyserons la critique que Montaigne fait d’une certaine catégorie de voyageurs. Enfin, nous verrons que cet extrait propose une véritable leçon de philosophie.

I – Une expérience personnelle du voyage

  1. omniprésence du pronom personnel de la 1ère personne du sujet

  • « Quand j’ai été ailleurs qu’en France »… récit d’une anecdote de voyage, « me ramentoit » (me rappelle) = mention de souvenirs personnels
  • « ne me touche », « j’ai honte » = expression des sentiments

  • expression de la subjectivité de l’auteur
  1. un autoportrait
  • M. ne raconte pas un épisode particulier, un moment précis de son voyage : « quand j’ai été (…) je me suis toujours » : adv. & conj. Sub insistent sur la fréquence du fait. M. met en évidence un aspect/un élément constant de son comportement.
  • la gourmandise, « l’indiscrétion de son appétit » : « une généreuse faculté ». Le rapprochement des deux expressions met en vlaeur l’idée que le portrait est à la fois physique et moral. La gourmandise de M. est signe de sa curiosité.
  • NB : phrase située juste avant l’extrait « J’ai la complexion du corps libre, et le gout commun, autant qu’homme du monde » - « complexion » = ce qui caractérise une personne, aussi bien physiquement que moralement (au XVIe). + adj & GN qui peuvent concerner tout aussi bien le corps que l’esprit
  • plus qu’un récit autobiographique au sens propre, Montaigne élabore ici une analyse de lui-même, de sa personnalité. Il dresse son autoportrait
  1. Un portrait en creux
  • La présence de la 1ère pers. Du sg s’etompe néanmoins au centre de l’extrait. Après « j’ai honte de voir nos hommes… ».
  • L’autoportrait se fait en creux, par opposition avec ces autres voyageurs dont il se distingue.

Transition : Cet extrait est caractérisé par une écriture certes tournée vers soi, mais qui met aussi en valeur une conception du voyage : Montaigne y dresse de lui-même un autoportrait en voyageur, et,  par le passage dans lequel il dessine un portrait en creux, établit sa conception du voyage, de manière plus générale, dépassant le cadre des abecdotes personneles pour proposer une réfléxion plus générale.

II – Une critique des voyageurs fermés à l’altérité

  1. Des effets d’opposition mettant en évidence la différence entre les « bons » voyageurs et les « mauvais »
  • Oppositions résolues du premier paragraphe (cf. : « chaud ou froid ») > tout est un (égal)
  • Au contraire, accumulation d’associations évoquant la fermeture d’esprit de « nos hommes » : « rallier et recoudre », « couverts et serrés ».
  1. le blâme de ses compatriotes et des gens de la cour
  • succession de termes péjoratifs, tels que « honte », « sotte », « effaroucher », « abominent », « condamner », « barbare », « médire » « taciturnes », « incommunicable », « contagion ». : tonalité polémique. Montaigne blâme l’attitude de ses compatriotes
  • développement d’un argument analogique, présenté comme une digression (un souvenir ajouté) : « je me ramentoit en chose semblable » : les gens de la cour (+ même voc péjoratif : « dédain ou pitié », « malhabiles »).
  • Négation excpetive « ne…que » : « ne tiennent qu’aux hommes de leur sorte » > étroitesse d’esprit des courtisans, qui ne considèrent que leur semblables.
  1. Humour et ironie
  • Des métaphores qui ridiculisent les« recoudre », « contagion » (ridicule lié à l’exagération) /jeu sur la phrases « ne prennent l’aller que pour le retour »
  • Question rhétorique et DIL  : « Pourquoi non barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? » (l.13) (= pourquoi ne seraient-elles pas barbares… Forcément barbares, puisqu’elles ne sont pas françaises !)
  • « Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire » : sous-entendu : les autres ne se sont même pas rendu compte des différences, n’ont pas eu l’intelligence suffisante pour s’intéresser aux coutumes étrangères.

Transition : Montaigne, blâme l’attitude de ses contemporains voyageurs, et par analogie, des courtisans. Nous retrouvons ainsi le thème de la vanité (qui donne son titre au chapitre, « de la vanité ») : les préjugés et l’absence de curiosité nous poussent sur la voie de la vanité (comprise comme prétention, orgueil). Mais derrière ce passage sur les voyageurs déclanchant la « honte » de Montaigne continue de se dessiner le portrait du voyageur tel que le pense Montaigne, et toute un philosophie du voyage.

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