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Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde (1990)

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Par   •  7 Décembre 2022  •  Commentaire de texte  •  1 164 Mots (5 Pages)  •  252 Vues

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Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde (1990)

Prologue

Projet de lecture : En quoi ce prologue annonce-t-il un drame intime fondé sur la difficulté à communiquer ?

Mouvement 1 – une exposition introspective et poétique (l. 1 à 20)

  • Dans la tragédie antique, le prologue a pour fonction de présenter les personnages et d’annoncer l’intrigue aux spectateurs. D’emblée, la présence de ce prologue donne une dimension funeste, tragique, à la pièce : la mort guette. Même si ce n’est pas la « scène 1 », elle remplit les fonctions d’une scène d’exposition car elle introduit l’intrigue et le personnage principal.
  • La 1ère personne du singulier est très présente et sujet de nombreux verbes (« j’allais mourir », « j’attendais », « je mourrai ») : c’est le personnage seul sur scène ici, Louis, qui paraît donc le personnage principal de la pièce, au coeur de l’intrigue.
  • La disposition du texte donne à voir la parole erratique, pleine d’émotion de Louis qui annonce dès la ligne 3 qu’il va mourir très prochainement, alors qu’il n’a que 34 ans.
  • Le texte ressemble à une succession de vers libres, ce qui provoque un « effet de poésie ». Cet effet est souligné par la musicalité que donne la répétition de groupes de mots tels que « l’année d’après » (5 fois), « j’attendais » (2 fois), « malgré tout » (deux fois) et l’énumération « à ne rien faire, à tricher, à ne plus savoir » (l. 6-7).
  • Cette dimension poétique est aussi présente grâce au registre lyrique. Outre la première personne et le sujet particulièrement propice à l’expression de sentiments forts, Louis exprime clairement la sidération provoquée par l’annonce de sa mort (l. 6-7), le désespoir (« j’attendais d’en avoir fini ») et « la peur » (l. 17).
  • L’imparfait, temps du récit, fait de Louis le narrateur de sa propre histoire et nous, spectateurs, sommes ses interlocuteurs. La pièce commence donc sur un bouleversement de la double énonciation, code traditionnel du théâtre : Louis, personnage, d’adresse à nous, dans un hors-temps troublant et brise ainsi le quatrième mur. Le prologue se déroule-t-il avant les faits, comme le suggère sa situation au début de la pièce ? Après les faits, comme pourraient le signifier les verbes à l’imparfait (« j’attendais ») ? Après la mort, comme peut l’indiquer « j’allais mourir » ?
  • La position privilégiée du spectateur fait de lui un confident et crée une relation d’empathie avec Louis.

Mouvement 2 – La décision de Louis : « seulement dire » (l. 21 à 32)

  • La décision que prend Louis semble le mettre en danger, puisque l’annonce du retour dans sa famille a lieu « malgré tout » ce qui a été énoncé avant. La répétition du groupe prépositionnel « malgré tout » souligne le danger mortel que représente ce voyage, déjà annoncé par la comparaison des lignes 10 à 14 : retourner voir sa famille, c’est risque de réveiller un « ennemi » qui « vous détruirait aussitôt ».
  • Il désigne sa famille par le pronom personnel « les », sans les nommer avant. C’est sans doute la preuve qu’il a beaucoup pensé à eux depuis l’annonce de sa mort, il n’est nul besoin de les nommer pour comprendre qu’il parle d’eux.
  • De nombreux compléments circonstanciels de manière sont énumérés pour caractériser la façon dont Louis veut annoncer sa mort à sa famille : même s’il paraît très éloigné d’eux (il doit « faire le voyage » l. 22), il veut veiller à ne pas se montrer trop brutal. Il semble ainsi attentif aux sentiments de sa famille, empathique. On voit ici que la façon d’annoncer la nouvelle a presque autant d’importance que la nouvelle elle-même : la parole sera au coeur de la pièce.
  • S’il compte leur annoncer une terrible nouvelle, il souligne, dans la question rhétorique des lignes 26-27, qu’il restera en phase avec l’image qu’il a toujours donnée. Ainsi, l’expression des sentiments ne versera pas dans le mélodrame avec Louis, qui est donc à la fois attentif aux autres et « un homme posé ». Le texte est marqué par plusieurs propositions incidentes, rendues visibles par les tirets, qui servent à insérer un commentaire du personnage sur sa propre parole. Elles témoignent de l’attention que Louis porte à sa parole, qui doit être en phase avec ses convictions (« ce que je crois ») et avec sa personnalité (« un homme posé »).
  • Aux lignes 29-30, alors que le verbe « annoncer » laisse imaginer une prise de parole peut-être émotive, Louis se reprend et veut finalement « dire, seulement dire ». On peut y voir ici une figure, l’épanorthose (procédé d’autocorrection qui consiste à revenir sur ce que l’on a dit), très présente dans la pièce, qui illustre tout l’enjeu que représente la parole. A la ligne 32, Louis reprend le verbe « annoncer » : on peut alors imaginer qu’il ne pourra se contenter de « dire » une telle nouvelle.
  • Un contraste apparaît entre la neutralité du verbe « dire », renforcée par « seulement dire » et la nouvelle de sa « mort prochaine et irrémédiable ». Ce contraste peut expliquer le retour du verbe « annoncer » : peut-on « seulement dire » une telle nouvelle à sa famille ?
  • A partir d’ici, nous savons que l’ironie dramatique sera l’un des ressorts de la pièce. Comme le spectateur connait une information que ne connaissent pas les personnages, une tension naît.  

Mouvement 3 – Décider de sa vie, jusqu’à la fin (l. 33 à 43)

  • Le champ lexical de l’apparence est présent dans ce mouvement (« paraître » x2, « illusion »). Encore une fois, Louis est conscient d’avoir toujours donné l’image d’un homme qui choisissait sa vie avec assurance (« un homme posé ») et il souhaite garder cette apparence jusqu’au bout, bien qu’il sache qu’il ne s’agit que d’une « illusion ».  On sait donc que Louis cherchera, avant tout, à sauver les apparences et à ne rien montrer de son désarroi intime. En somme, Louis jouera la comédie devant sa famille. On peut donc parler de « théâtre dans le théâtre » (mise en abyme). En effet, en endossant le rôle de « l’homme posé », inébranlable même face à sa propre mort, Louis sera le metteur en scène et le personnage principal d’une pièce ... au sein même de la pièce de Jean-Luc Lagarce. Nous le confier revient à nous mettre en garde. Nous, spectateurs, ne devrons pas être dupes.
  • L’adresse aux spectateurs (« toi, vous ») brise, une nouvelle fois, le « quatrième mur »[1] et permet d’inclure le spectateur dans la pièce afin qu’il soit actif et perçoive le masque porté par Louis.

M. Aurélien Lévêque (lycée Saint-Vincent, Rennes) – Diffusion non autorisée


[1] D’après Diderot (fin XVIIIème siècle), un mur virtuel doit séparer les spectateurs de la scène : en s’adresse directement aux spectateurs, le personnage brise ce « quatrième mur ».

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