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Incipit de Jacques le Fataliste et son maître de Diedrot

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Par   •  20 Juin 2015  •  Commentaire de texte  •  3 825 Mots (16 Pages)  •  2 527 Vues

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Incipit de Jacques le Fataliste et son maître

Denis Diderot est l’un des philosophes les plus productifs du siècle des Lumières. A la fois penseur, romancier, dramaturge, critique et essayiste, il est à l’origine, avec le mathématicien d’Alembert, de L’encyclopédie, qui visait à rassembler tous les savoirs de l’époque. Son roman le plus lu est sans nul doute Jacques le fataliste et son maître, paru en feuilleton dans la revue La Correspondance littéraire entre 1778 et 1780 et qu’il travaillera jusqu’à sa mort en 1784.  La première édition posthume en France paraît en 1796. Dès les premières lignes, qui nous sont données ici, le lecteur est dérouté : loin des conventions narratives traditionnelles, Diderot s’engage dans un dialogue avec son lecteur et ne cessera d’interrompre la narration. Cet incipit frappant est ainsi représentatif du reste de l’œuvre. L’incipit d’un roman nous donne des repères, des indications sur la suite d’un roman. Or dans l’incipit de Jacques le fataliste, Diderot bouscule les conventions et déstabilise le lecteur. Le project d'écriture de Diderot dans Jacques le fataliste est de rompre avec toutes les règles en vigueur dans le roman: héros, schema narrative, fil rouge. Jacques le fataliste nous interpelle.

Qu’est-ce qui est l’originalité de cet incipit ? En quoi cet incipit montre-t-il que Jacques le fataliste est un anti-roman ? En quoi cet incipit constitue-t-il un nouveau pacte de lecture ? Comme Diderot s’y prend-il pour bousculer son lecteur ?

  1. Présence ou absence d’éléments romanesque traditionnels

  1. Le maintien d’élément traditionnel
  • Cet incipit ne remplit que très partiellement sa fonction informative, mais le lecteur en apprend tout de même un peu sur les protagonistes annoncés dans le titre : Jacques et son maître
  • Le personnage du maître et du valet : si le premier a un nom, le deuxième n’est connu sous son titre, lui-même relatif à Jacques : il en est le maître.
  • Cette relation hiérarchique clairement posée est également visible dans la façon dont ils s’adressent l’un à l’autre : le maître tutoie Jacques (« Et tu reçois », « Tu as donc été ») tandis que Jacques le vouvoie (« Vous l’avez deviné »).
  • Le maître a le pouvoir et l’autorité : il peut frapper Jacques pour le punir. En revanche, il parle peu « Le maître ne disait rien ») et ses répliques sont très courtes. Jacques, lui, aime discuter et raconte volontiers sa jeunesse
  • Le maintien de l’intrigue : thème de l’amour, thème du voyage, littérature picareste, thème de la guerre
  • Par d’ailleurs, le duo de personnages maîtres/valet ainsi que la scène de colère du maître (« tombant à grand coups de fouet sur son valet ») relève de la farce et renvoie aux scènes traditionnelles des comédies qui se jouent à l’époque.
  • Le récit de voyage (ou genre picaresque) : nos deux héros sont en route vers une destination inconnue et conversent en chemin. C’est un récit de voyage réaliste : ils font des pauses pour se restaurer et se reposer (« l’après-dîner », « son maître s’endormit »).
  1. Il manque beaucoup d’élément attendu donc le lecteur se trouve déstabilisé
  • Diderot semble peu intéressé par la fonction traditionnellement informative de l’incipit. Défenseur de valeurs progressistes, son œuvre de fiction est aussi un support par lequel il peut diffuser les idées des Lumières et bousculer l’ordre établi.
  • Même si l’on pense à Jacques le fataliste d’abord comme un roman, l’incipit seul ne suffit pas à établir clairement le genre de l’œuvre. En effet, les premières répliques au discours direct sont présentées comme un dialogue de théâtre, avec le nom des personnages mis en exergue en capitales (« LE MAITRE », « JACQUES »).
  • Esthétique théâtrale = on voit les personnages en action mais on n’a pas de description physique ou morale
  • Le lecteur n’a aucun repère : pas de circonstance
  • Les personnages aussi n’ont pas de repère car il se perde
  1. Une réflexion critique sur le roman
  1. Le refus de « faire des contes »
  • Outre le dialogue Jacques/son maitre, l’incipit présente clairement la prise de parole de l’auteur lui-même, qui s’adresse directement au lecteur : « Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu’il ne tiendrait qu’à moi,  … »
  • Diderot ne se contente pas d’intervenir dans ce roman : il pose des questions à la place du lecteur et y répond (ou plutôt n’y répond pas) et provoque, voir agace, le lecteur en faisant preuve d’un certaine mépris : « Que vous importe ? », « vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques ».
  • Il brise la convention de l’illusion romanesque (qui consiste à faire croire au lecteur que ce qu’il lit est vrai) en ne laissant pas au lecteur de loisir de s’immerger dans le roman : ses constantes interruptions attirent l’attentions sur le fait que le récit est une œuvre de fiction et qu’il en est le maître.
  • Refus de l’invraisemblable/ du romanesque au nom de la réalité
  • Des hypothèses rocambolesques (Qui sont pleines d'invraisemblance, de péripéties extraordinaires)
  • Il renonce à ces hypothèses par soumission apparente
  • Attitude de l’auteur : « moi je suis la vérité » donc il brise l’illusion romanesque
  1. Une réflexion critique des hommes
  • A la fin de l’incipit, lors de sa deuxième intervention, Diderot expose au lecteur tous les possibles de la suite des aventures de Jacques et son maitre : « Qu’est-ce que m’empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d’embarquer Jacques pour les îles ? d’y conduire son maître ? de les ramener tous deux en France sur le même vaisseau ? »
  • Il exhibe ainsi les procédés de la création littéraire, en commentant l’écriture du récit qu’il est en train d’écrire (« Qu’il est facile de faire de contes ! »
  • En tant qu’auteur, c’est à lui de faire les choix narratifs ; l’originalité de ce passage réside dans la présentation des différents choix du lecteur.
  • L’intrusion dans la fiction de l’auteur et du lecteur
  • Ils entrent de plain-pied avec les personnages
  • Lecteur curieux, impatient
  • Il élude la question/ il déçoit la curiosité, le fruste. Affirmer sa toute-puissance absolue.
  • « Il ne tiendrais qu’à moi de … »  c’est le chef-suprême  liberté absolue. Libre de faire des contes. Il annonce les conventions romanesques mais s’en sert. Ils les dénoncent et les utilisent à la fois.
  • Le déterminisme de Jacques est indirectement un refus de la religion. En effet, dans la logique du « fatalisme », toute religion est impossible : si l’homme n’est pas libre de choisir entre le Bien et le Mal, entre la vertu et le péché, alors il ne peut y avoir ni salut ni damnation.
  • Diderot lui-même était athée, et ce rejet de la religion est perceptible dès l’incipit. Au maître qui demande : « Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien. » et qui invoque ainsi l’argument d’autorité, Jacques répond par sa théorie du déterminisme, qui tourne la question en ridicule.
  1. Les thèmes philosophiques : déterminisme et liberté
  1. Le déterminisme ou le déroulement du « grand rouleau »
  • Par son titre et par sa forme, Jacques le fataliste est également un dialogue philosophique (dans la lignée des dialogues de Platon) : Jacques explique sa vision de la vie (sn fatalisme) à son maître, par des illustrations de liens de cause à effet, qu’il résume à la fin de l’un de ses tirades : « Les bonnes et mauvaises aventures se tiennent ni plus non moins que les chaînons d’une gourmette »
  • On assiste également à un dialogue entre l’auteur (« je ») et le lecteur (« vous »), figuré par des questions et des réponses et par le jeu de pronoms au début et à la fin du texte.
  • Déterminisme venant d’un Hollandais : Spinoza
  • L’image de la gourmette
  • L’image du grand rouleau
  • Selon Jacques, tout ce qui arrive « était écrit là-haut » et devait arriver.
  • La liberté et le choix ne sont qu’une illusion, car on ne peut échapper à son destin, le fatum (ce qui est illustré par la phrase du capitaine de Jacques, « chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet »).
  • Ce fatalisme est aussi appelé déterminisme.
  • Jacques pense qu’il a rencontré l’amour parce qu’il a reçu une balle au genou ; tous les événements antérieurs ne sont arrivés que pour qu’il reçoive cette balle, selon le principe de cause à effet (rien n’arrive par hasard, puisque tout était écrit).
  • La parataxe dans la tirade de Jacques (la parataxe est le fait de construire les phrases par juxtaposition, sans mot de liaison explicite) rend cet effet d’enchaînement inéluctable : « Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp de Fontenoy ; de dépit je m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne. »
  • Une des conséquences de cette philosophie est le refus d’assumer ses responsabilités. Ainsi, Jacques ne voit pas les coups de fouet de son maître comme une punition (parce qu’il ne s’est pas réveillé avant la nuit) mais parce que « chaque coup […] était apparemment encore écrit là-haut ».
  1. Le destin reste mystérieux
  • Si l’incipit surprend autant, c’est aussi parce que Diderot prend soin de ne pas répondre aux questions que le lecteur est en droit de se poser : « Comment s’étaient-ils rencontrés ? », « Comment s’appelaient-ils ? », « D’où venaient-ils ? », ect
  • L’auteur ne cesse d’esquiver nonchalamment ces questions (« Que vous importe ? », « Du lieur le plus prochain », ect), ce qui ne fait que piquer davantage la curiosité de son lecteur
  • De même dans le dialogue entre Jacques et son maître, le maître est curieux du passé de Jacques et de l’histoire de ses amours (« Tu as donc été amoureux ? »)
  • En délayant la réponse aux questions du maître, Diderot crée une forme de suspense, qui donne au lecteur envie de continuer
  • Avec un certain nombre d’interrogation : « est-ce que l’on sait où l’on va ? »  sens rhétorique : on ne sait pas où on va « qui le sait ? » question rhétorique qui attend une réponse négative.
  • L’homme  ne peut connaître se destiné : c’est peut-être cela qui permet de résoudre le texte
  • L’homme peut         avoir l’impression que ce qui arrive est lié au hasard car il ne connaît pas le déroulement des choses
  • Le fait de ne pas connaître le grand rouleau  laisse à l’homme une certaine liberté : hasard
  • On peut avoir l’impression qu’il s’engage librement alors que c’est l’évènement.

Diderot écrit ainsi une œuvre originale en intervenant en tant qu’auteur dans le récit, ne laissant jamais le lecteur douter du caractère fictionnel du roman qu’il a entre les mains. Dès l’incipit Jacques le fataliste et son maitre trouble, frustre et amuse, sans cesser d’interroger, à la fois sur le statut de l’auteur mais aussi sur les questions sociales philosophiques et religieuse alors remises en causes. Diderot signe un nouveau pacte de lecteur avec son lecteur, l’invitant à le rejoindre dans les coulisses de son imaginations sans se justifier ni expliquer ses choix. Cet incipit prend presque des allures de manifeste, où l’auteur revendique la liberté de créer. C’est justement ce caractère inclassable et cette libre qui marque le lecteur. Diderot joue avec lui. Il le provoque, l’agace, lui dévoile les coulisses de la création, mais aussi sait ménager un suspense indispensable pour que le lecteur ait l’envi de continuer à l’accompagner. C’est pourquoi il commence à délivrer l’histoire des amours de Jacques par étapes, par bouts. (Réponse à la problématique). Thème philosophique de l’œuvre. Illusion que le hasard existe qui lui laisse une certaine liberté. Plusieurs niveaux de lecture possible : les incertitudes du voyage, l’image symbolique de la destiné humaine et l’image du récit de la narration (interrogation littéraire sur l’art du romancier). Diderot fixe les enjeux littéraire et philosophique étudié.

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