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Commentaire d’arrêt : CE, Ass. 12 avril 2002, Papon

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Par   •  24 Janvier 2021  •  Commentaire d'arrêt  •  2 495 Mots (10 Pages)  •  3 476 Vues

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Commentaire d’arrêt : CE, Ass. 12 avril 2002, Papon

        Le régime de la responsabilité publique a connu une profonde mutation avec le passage du principe de l’irresponsabilité de l’Etat à l’admission de sa responsabilité par l’arrêt Blanco rendu le 8 février 1873. Au fil du temps, le juge administratif a très largement généralisé l’application et la portée de la responsabilité administrative. A ce titre, l’arrêt « Papon » rendu par le Conseil d’Etat le 12 avril 2002 illustre parfaitement l’évolution de la responsabilité administrative.

En l’espèce, M. Papon a occupé les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde de juin 1942 à août 1944. Il a été condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assises de la Gironde à 10 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité assortie d’une interdiction de droits civiques, civils et de famille. Le lendemain, statuant sur les intérêts civils, la cour l’a condamné à payer aux parties civiles une somme globale de 4,72 millions de francs correspondant à 3,2 millions de francs pour les frais exposés par les parties civiles et 1,6 millions de francs au titre de dommages et intérêts.

M. Papon en invoquant l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 relatif aux droits et obligations des fonctionnaires, a demandé au ministre de l’intérieur de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. Sa demande a été rejetée, il a donc saisi la juridiction administrative par le biais d’une action récursoire afin de condamner l’Etat.

Il s’agira pour le Conseil d’Etat de déterminer si une faute de service peut être reconnue à l’encontre de l’Etat républicain pour des actes commis par un gouvernement antérieur.

Le 12 avril 2002, le juge administratif a admis la responsabilité de l’Etat et la légitimité de l’action récursoire formée par le requérant et conséquemment a condamné l’Etat à prendre à sa charge la moitié du montant total des condamnations civiles prononcées à l’encontre du dit requérant sur le fondement de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983.  

Pour rendre cet arrêt, le Conseil d’Etat a tout d’abord identifier l’existence d’une pluralité de fautes (I) puis il a prononcé un partage des responsabilités entre M. Papon et l’Etat (II).

I. L’identification d’une pluralité de fautes

        La responsabilité de la puissance publique peut être recherchée de manière synthétique dans deux hypothèses distinctes : soit en raison d’une faute personnelle de l’agent si celle-ci n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, soit parce que la faute personnelle s’accompagne d’une faute de service de la personne publique. L’arrêt Papon se situe dans cette seconde hypothèse puisqu’il reconnait d’une part l’existence d’une faute personnelle imputable à Maurice Papon (A) et d’autre part celle d’une faute de service permettant ainsi d’écarter l’irresponsabilité de l’Etat pour les actes commis sous Vichy (B).

A) La reconnaissance de l’existence d’une faute personnelle de l’agent distincte de la faute de service

Les faits reprochés au fonctionnaire, M.Papon, ont déjà été jugés par le juge judiciaire mais également par le juge pénal. Néanmoins, en matière administrative, l’appréciation du juge judiciaire sur le caractère d’un acte commis par un fonctionnaire ne s’impose pas au juge administratif, d’autant plus lorsque celui-ci ne traite pas de la triple identité (identité de cause, de parties et de faits). Celui-ci garde toute sa liberté pour qualifier l’acte en cause car le jugement civil n’est revêtu que de l’autorité relative de la chose jugée, comme le rappel à juste titre le Conseil d’Etat. En effet, le juge civil a statué sur un litige opposant les victimes à l’agent. Or, le juge administratif est appelé à statuer sur un litige opposant l’agent à l’administration. C’est pourquoi, le premier « travail » du Conseil d’Etat va être de déterminer la nature de la faute commise. Ainsi, il va s’attacher à vérifier si les caractères constitutifs de la faute personnelle sont présents en l’espèce. Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 février 2015, Sieur A, donne les caractères de la faute personnelle, en effet, est constitutive d’une faute personnelle « une faute commise par un agent de l’Etat, eut égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci, et d’une particulière gravité. » Il apparait que la faute personnelle est une faute d’une particulière gravité s’appréciant au regard de l’ensemble des circonstances de fait. Par exemple, « les propos calomnieux, injurieux, outrageants et obscènes proférés par un instituteur devant sa classe » sont constitutifs d’une faute personnelle de ce fonctionnaire conformément à la jurisprudence Giraudet. Si la faute commise par le fonctionnaire est dépourvue de tout lien avec le service, c’est-à-dire détachable de ses fonctions, alors il assume la responsabilité pleine et entière de ces actes devant les différentes juridictions. En revanche, si la faute personnelle est rattachable à l’exercice de ces fonctions il peut y avoir un partage de responsabilité entre le fonctionnaire et son administration voire une exonération de responsabilité pour le fonctionnaire qui agissait sous les ordres de son administration.                        En l’espèce, le Conseil d’Etat relève le caractère volontaire des actes accomplis par le fonctionnaire, actes qui, au demeurant, ne relevés pas de « la nature des fonctions occupées » par celui-ci.  Ce caractère volontaire est réaffirmé par les termes utilisés par le Conseil d’Etat pour qualifier les agissements du fonctionnaire « de sa propre initiative », « en devançant les instructions », « attaché personnellement ». Le comportement de Maurice Papon est inexcusable et revêt un caractère d’une gravité exceptionnelle. Même si les faits reprochés au fonctionnaire ont été commis dans le cadre de son service cela n’a pas d’influence sur leur qualification en faute personnelle. Mais cette qualification n’écarte pas la possibilité d’une faute de service commise par l’administration.

B) La caractérisation d’une faute de service

L’intérêt majeur de cet arrêt réside dans la reconnaissance d’une faute de service commise par l’Etat français dans le contexte historique de la déportation.  Edouard Laferrière, vice-président de Conseil d’Etat, dit en 1885 « il y a faute de service si l’acte dommageable administratif est impersonnel et révèle l’administrateur plus ou moins sujet à l’erreur. » A contrario, la faute personnelle révèle l’individu. Cette distinction entre faute personnelle et faute de service remonte à l’arrêt Pelletier du 30 juillet 1873. La distinction a un intérêt crucial en ce qu’elle déterminera le régime de la responsabilité applicable mais également devant quelle juridiction sera portée le litige. Il existe, là encore, différents types de faute de service ou plutôt différents « degrés ». En effet, l’agent peut être condamné pour une faute qui trouve son origine exclusive dans une faute de service. Il peut être également condamné pour une faute personnelle en lien suffisant avec le service. Enfin, l’agent peut être condamné lorsqu’une faute personnelle a, dans la réalisation du dommage, conjugué ses effets avec ceux d’une faute de service distincte. En l’espèce, c’est cette dernière hypothèse que va retenir le Conseil d’Etat en relevant que même si initialement la déportation « des personnes d’origine juive a été organisée à la demande et sous l’autorité des forces d’occupations allemandes » l’administration française a durant cette période commis une série d’actes qui ont de manière inéluctable facilité grandement la déportation. Ainsi, l’administration a réalisé une faute car elle-même n’a pas agi sous la contrainte ultime des allemands. Au contraire, elle a pris des initiatives pour aider les allemands ce qui caractérise, pour le Conseil d’Etat, une faute de service distincte de la faute personnelle commise par le fonctionnaire. Le Conseil d’Etat justifie sa décision au regard de l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. En effet, il explique que même si les jurisprudences antérieures ce sont auparavant servit de ce texte pour justifier l’irresponsabilité de l’administration française en ce que cette ordonnance consacre la nullité de « tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution… » pris sous Vichy. Cette ordonnance « ne saurait avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique » et au contraire « en sanctionnant par la nullité l’illégalité manifeste » de ces actes, elles « ont nécessairement admis que les agissements auxquels ils ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif ».  Par cet arrêt, le juge administratif infirme la décision rendue préalablement par le ministre de l’intérieur, déclare que la faute de service engage la responsabilité de l’Etat républicain jusqu’à lors protéger par les jurisprudences antérieures et en tire les conséquences adéquates.

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