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Arrêt Costa, CJCE 15 juillet 1964

Commentaire d'arrêt : Arrêt Costa, CJCE 15 juillet 1964. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  23 Mai 2017  •  Commentaire d'arrêt  •  7 735 Mots (31 Pages)  •  2 530 Vues

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AFFIRMATION DU PRINCIPE DE PRIMAUTÉ

CJCE 15 juill. 1964, Costa c/ ENEL, 6/ 64

L'arrêt Costa est sans doute le plus connu de la jurisprudence communautaire, avec l'arrêt Van Gend en Loos* dont il partage le statut d'arrêt historique. Même si la primauté d'application du droit communautaire était logiquement induite par l'arrêt Van Gend en Loos*, c'est l'arrêt Costa qui en a posé le principe, avec une vigueur particulièrement impressionnante, d'où, parfois, d'ailleurs, des malentendus sur la portée même de ce principe. Jurisprudentiel en 1964, le prin-cipe de primauté l'est toujours puisque son inscription à l'article I- 6 du Traité établissant une Constitution pour l'Europe n'a pas eu d'équivalent dans le traité de Lisbonne. Une déclaration annexée à ce traité, comprenant un avis du service juridique du Conseil, confirme que c'est bien la « jurisprudence Costa » qui détermine toujours la portée d'un principe dont il faut bien comprendre qu'il est existentiel pour le projet même d'intégration européenne. Faits. — L'Italie a procédé à la nationalisation de la production et distribu-tion de l'électricité par une loi de 1962, et créé par là l'ENEL. En conflit avec cet organisme au sujet du paiement d'une facture d'électricité, Flaminio Costa demande au Giudice Conciliatore de Milan qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour pour interpréter le traité de Rome afin de vérifier si celui- ci n'aurait pas été violé par la loi de nationalisation. ARRÊT […] attendu qu'à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la C. E. E. a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions; qu'en effet, en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représenta-tion internationale et plus particulièrement de pouvoir réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des États à la Communauté, ceux- ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux- mêmes; attendu que cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable; que la force exécutive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un État à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réali-sation des buts du traité visée à l'article 5 ( 2), ni provoquer une discrimination inter-dite par l'article 7; que les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient être mises en cause par les actes législatifs futurs des signataires; que, lorsque le droit d'agir unilatéralement est reconnu aux États, c'est en vertu d'une clause spéciale précise ( articles 15, 93- 3, 223 à 225 par exemple); que, d'autre part, les demandes de dérogation des États sont soumises à des pro-cédures d'autorisation ( articles 8- 4, 17- 4, 25, 26, 73, 93- 2, 3e alinéa, et 226 par exem-ple) qui seraient sans objet s'ils avaient la possibilité de se soustraire à leurs obliga-tions au moyen d'une simple loi; attendu que la prééminence du droit communautaire est confirmée par l'article 189 aux termes duquel les règlements ont valeur « obligatoire » et sont « directement applicables dans tout État membre » ; que cette disposition, qui n'est assortie d'aucune réserve, serait sans portée si un État pouvait unilatéralement en annihiler les effets par un acte législatif opposable aux textes communautaires; attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source auto-nome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique origi-nale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle- même; que le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux disposi-tions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté; […]

OBSERVATIONS

1 Il faut se garder d'être abusé par les formules des arrêts Van Gend en Loos* ( 5 févr. 1963, 26/ 62, Rec. 1) ou Costa se démarquant nettement du droit des traités internationaux ( « à la différence des traités internationaux ordinaires… » ) et ne surtout pas croire que les caractères juridiques en cause ( l'effet direct et la primauté) seraient spécifiques au droit de l'Union. Ces propriétés existent en droit international mais la Cour a voulu montrer qu'elles ne se présentent pas de la même manière ( effet direct avec l'arrêt Van Gend en Loos*), et qu'elles n'ont pas la même portée : c'est le cas pour la primauté avec l'arrêt Costa.

2 Donc l'important, avec l'arrêt Costa, n'est pas qu'il ait consacré la primauté du droit communautaire. Il ne pouvait en aller autrement. Mais il est essentiel qu'il l'ait fait selon un raisonnement spécifique, dès lors que ce raisonnement s'imposait, en l'absence de consécration par le droit primaire. Cette absence de fondement textuel offrait trois possibilités à la Cour : la solution internatio-nale, la solution nationale, ou la solution propre à l'ordre communautaire.

 3 Le droit international n'est, en effet, pas sans ressource. La convention de Vienne, à ses articles 26 et 27, prévoit respectivement que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » , et qu' « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non- exécution d'un traité » . C'est là reprendre une règle de droit coutumier classiquement déclinée par les instances arbitrales et juridictionnelles interna-tionales : « c'est un principe généralement reconnu du droit des gens que, dans les rapports entre puissances contractantes d'un traité, les dispositions d'une loi interne ne sauraient prévaloir sur celles d'un traité » ( avis de la CPJI, 31 juill. 1930, « Communautés Greco- Bulgares » , série A/ B no 37, p. 32); « un État qui avait valablement contracté des obligations internationales ( est) tenu d'apporter à sa législation les modifications nécessaires pour assurer l'exécu-tion des engagements pris » ( CPJI, 21 févr. 1925, Échanges de populations grecques et turques, avis consultatif, Série B, no 10, p. 20); il faut dire que les lois nationales sont considérées, au regard du droit international, comme « de simples faits, manifestation de la volonté des États, au même titre que les déci-sions judiciaires ou les mesures administratives » ( arrêt du 25 mai 1926, inté-rêts allemands en Haute Silésie polonaise : série A, no 7, p. 9; cf. aussi, en matière de décisions juridictionnelles internes, arrêt 15 sept. 1928, Usine de Chorzow : série A, no 17, p. 33- 34). La portée d'une telle primauté, ne jouant certes que dans l'ordre international lui- même, est tout à fait générale : « il est incontestable et incontesté que le droit international est supérieur au droit interne. » ( Tribunal arbitral mixte France- Mexique dans l'affaire Georges Pin-son ( 1928); arbitre Verzjil, R. S. A., V., p. 327), les choses pouvant être plus brutales : « un traité est supérieur à la Constitution » ( sentence arbitrale du 26 juill. 1875 dans l'affaire du « Montijo » ( États- Unis c/ Colombie), Moore, International arbitrations, vol. 2, p. 1345). Au bilan, une primauté certes générale, mais incomplète, puisque ne jouant que dans l'ordre international, et laissant dès lors les États libres d'en organiser la traduction juridique dans leur ordre interne.

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