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« Lire, c’est peut-être créer à deux ? », partagez-vous l’opinion de Balzac sur le rôle créatif du lecteur dans une œuvre littéraire ?

Dissertation : « Lire, c’est peut-être créer à deux ? », partagez-vous l’opinion de Balzac sur le rôle créatif du lecteur dans une œuvre littéraire ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  29 Décembre 2018  •  Dissertation  •  4 396 Mots (18 Pages)  •  2 110 Vues

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Sujet de dissertation : « Lire, c’est peut-être créer à deux ? », partagez-vous l’opinion de Balzac sur le rôle créatif du lecteur dans une œuvre littéraire ?

Le fil rouge d'un roman, c'est la lecture. Le livre, ou l’œuvre littéraire plus vastement, n'existe par son essence, que parce qu'il est ou sera lu. De ce point de vue, l’ouvrage est donc caractérisé par sa relation d’interdépendance avec le lecteur : il n’y aurait pas d’œuvre sans lecteur, et pas de lecture sans œuvre. Mais par quels échanges ou apports cette relation se traduit-elle ? Toute lecture peut être caractérisée par une réflexion, une nuance, un jugement, ou bien par une simple critique d’appréciation. Elle n'est sans doute pas une pratique totalement neutre, une activité détachée de tout : on approuve ou on condamne, on réprouve ou bien on admire. En ce sens, la lecture établit en nous un processus de création, d’interprétation d’un récit qui nous est propre. Ainsi Balzac s’interroge-t-il dans ses Œuvres complètes publiées en 1874, et se demande si ce processus d’interprétation, de participation implicite (ou directe, comme nous le verrons par la suite) découle jusqu’à un véritable enjeu de cocréation de l’auteur et du lecteur. « Lire, c’est peut-être créer à deux » souligne le paradoxe de sa réflexion, de son interrogation. L’œuvre littéraire étant effectivement le produit physique d’un auteur, dans quelles mesures nous est-il possible de distinguer un « pouvoir créatif » du lecteur ? Est-il immuable et invariable à toute situation, tout contexte ? Nous partagerons tout d’abord la thèse de Balzac, en se demandant dans quelles mesures le lecteur peut-il inscrire sa participation dans la création de l’œuvre. Nous imposerons ensuite au lecteur un simple effort de lecture, qui se détache des volontés de l’auteur et de leurs liens d’influences. Enfin, nous nuancerons nos propos en estimant la présence du lecteur comme limitée par le cadrage de l’auteur, mais essentielle et permettant une exploration plus vaste du sujet initialement proposé.

Lire, c’est dans un premier temps concevoir, se représenter, s’inventer un monde dont les principaux traits ont été tirés par l’auteur. L’auteur n’est là que pour guider notre perception de sa création : il ne peut pas l’imposer par autorité de l’image, à la manière du cinéma par exemple. D’une telle ambiguïté nait une pluralité des points de vue, permettant d’étoffer le récit par l’apport de l’imagination de chacun ; une perspective qu’intègre les auteurs aux racines même de leur création.

La lecture permet de fonder une culture commune et de catalyser le sentiment d’appartenance à un groupe. En communiquant autour de nos lectures, on contribue à créer un univers commun, un espace lié par l’imagination, l’interprétation des lecteurs et le récit de l’auteur. L’on appréciera partager tel sentiment non-consensuel vis-à-vis d’un personnage avec un autre lecteur, car il cristallise notre besoin de nous sentir particulier. Ainsi, éprouver une empathie commune pour le personnage de Médée chez Euripide, c’est avant tout participer à la démystification des héros grecs dont on déconstruit l’altérité, l’aliénation : Jason est coupable de sa trahison et de sa lâcheté, au même titre que d’autres maris infidèles. Il n’est plus le vaillant Argonaute qui souffrit de la tyrannie de son oncle, et qui dut affronter des obstacles surnaturels pour récupérer son dû. On contribue ainsi à créer une image différente du personnage, selon la lecture qu’on en fait. 

De même, les différents points de vue qu’un lecteur peut adopter conduisent à étoffer l’œuvre et l’inscrire dans une démarche de débat et de réflexion. L’interprétation qu’on en fait, selon notre époque, nos âges, notre rapport face à a lecture, nous permet de percevoir l’œuvre originale sous d’autres aspects, qui ne sont pas forcément explicites au texte. On se liera davantage au personnage de Phylis dans La Place Royale de Corneille, dans un contexte de libération des mœurs et d’ouverture à un libertinage assumé, tandis que d’autres préféreront la constance première d’Angélique pour des raisons opposées. Le lecteur place l’œuvre littéraire dans un contexte, qui en change parfois l’interprétation première, envisagée par l’auteur.  

Le processus de création du lecteur passe également par un travail d’imagination, qui force le lecteur à l’interprétation, à la construction d’une histoire qui lui est propre. Certains auteurs vont parfois jusqu’à interrompre leur récit sans dévoiler le dénouement de l’intrigue. On retrouve notamment cette absence de finalité du récit dans les nouveaux romans du vingtième siècle. En effet, dans l’ouvrage de Patrick Modiano intitulé La ronde de nuit, le récit se conclut sur une chasse à l’homme dans Paris, où le narrateur, surnommé Swing troubadour, cherche désespérément à s’échapper de son assaillant. L’on ne connaît pas la finalité de la course-poursuite, on est ainsi libre (et paradoxalement, contraint par l’auteur) d’imaginer la suite des péripéties. De même, l’écrivain américain Raymond Carver use régulièrement de ce procédé dans ses nouvelles. Dans le recueil Will You Please Be Quiet, Please?, il instaure dans la plupart de ses nouvelles, une intrigue complexe, centrée autour de situations étranges, dérangeantes, voire surnaturelles, des personnages extravagants, mais l’intrigue ne nous dévoile jamais les clés de compréhension du récit et c’est au lecteur de se créer sa propre interprétation. Le lecteur devient alors le garant du récit en l’absence de l’auteur, et c’est notre imagination, la manifestation la plus concrète de notre créativité, qui vient compléter, poursuivre et conclure l’œuvre littéraire.

La lecture peut également être anticipation : le lecteur se crée alors un univers complet de l’œuvre avant même d’avoir abouti sa lecture. Il participe donc à la création de l’œuvre en proposant une vision qui lui est propre, guidée par les indices et les enjeux induits par l’auteur. On retrouve cette caractéristique dans un ensemble d’œuvres entier, à savoir les romans policiers, où l’intrigue suit une enquête dont les indices nous sont distillés au fur et à mesure du développement de l’œuvre, et qui traduit un jeu, un défi, entre auteur et lecteur. On retrouve également ce procédé dans l’œuvre de Toni Morrison, Sula, dans laquelle on assiste au meurtre d’un jeune adulte, héroïnomane car traumatisé par son expérience de la guerre, dont la mère entreprend d’abréger la souffrance, afin qu’il puisse retrouver ce qu’elle qualifie de dignité perdue. Au cours de cette scène, le récit du meurtre est fait selon le point de vue de l’adolescent, totalement enivré de vapeurs de kérosène, et l’on a donc une vision floue, merveilleuse des événements. Néanmoins Toni Morrison nous laisse suffisamment d’indices pour comprendre ce qu’il se passe vraiment. Le lecteur, par son imagination, se créé ainsi sa propre idée sur ce qu’il se passe, en collaboration avec l’auteur qui participe à son illusion.

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