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« Poète est celui qui pour nous rompt l’accoutumance. », partagez-vous cette définition de la création poétique par Saint-John Perse ?

Dissertation : « Poète est celui qui pour nous rompt l’accoutumance. », partagez-vous cette définition de la création poétique par Saint-John Perse ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Juillet 2019  •  Dissertation  •  6 883 Mots (28 Pages)  •  3 703 Vues

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Sujet de dissertation : « Poète est celui qui pour nous rompt l’accoutumance. », partagez-vous cette définition de la création poétique par Saint-John Perse ?

        Dans Le Secret professionnel (1922), Cocteau définit ainsi le rôle de la poésie : « Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent ». La poésie permet alors d’explorer le monde, de décrypter le quotidien en redonnant leur pouvoir aux sensations (pensons ici au « Parfum exotique » de Baudelaire) et en rompant avec l’habitude du quotidien, les valeurs communément admises sans qu’on y trouve forcément de justifications. Pourquoi la poésie défierait-elle alors les normes de la société ? La poésie est le genre qui travaille le plus sur le langage : la forme des mots (leurs sonorités, leurs étymologies) y ressort plus qu’ailleurs. Par conséquent, elle rompt le rapport familier que l’on a avec la langue, elle nous amène à la considérer autrement, à réfléchir à l’origine des mots, à leurs réelles significations. La poésie porte donc en elle une force de lutte contre la « norme » car elle nous permet au recul critique. Ainsi, la poésie a pour fonction de « déraciner les mots » afin de « rompre avec l’accoutumance » (Saint-John Perse) et de « dévoiler » le monde (Cocteau). Ici, l'accoutumance est en fait la fonction utilitaire du langage qui nous enferme dans la réalité et ses évidences. Or selon Saint-John Perse, la force du poète est de continuer à permettre la métamorphose du monde. Il lui appartient donc d'inventer un langage nouveau, une « sorcellerie évocatoire » qui soit à la fois un moyen d'aller au-delà des apparences, la capacité à renouveler le sens de l'univers et l'instrument pour rendre compte de ces expériences. Ainsi, par quels procédés le poète parvient-il à cette « insurrection » (pour reprendre l’expression de Neruda) dans laquelle il nous invite, afin de voir le monde sous un jour nouveau ? Tout d’abord, il serait intéressant d’identifier ce qui permet de qualifier le poète comme étant une personne qui brise le cycle de nos habitudes. Toutefois, il sera nécessaire de reconnaître au poète un certain académisme, par les contraintes héritées ou les termes réactualisés. En fait, ne sera-t-il pas nécessaire de montrer que le rôle du poète est avant tout de dévoiler un monde nouveau, qu’il soit en conformité avec nos habitudes ou qu’il les rompt ?

La poésie, du verbe grec « poieïn », faire, est une action de création bien spécifique, qui était à l’origine, considérée comme la seule discipline de la littérature. De même, la définition de Saint-John Perse met l’accent sur ce qui fait de la poésie un genre à part. Ne s’oppose-t-elle pas, souvent, à la réalité existante, ne fait-elle pas surgir un monde nouveau, parce qu’elle libère le langage de toutes les contraintes habituelles ?

En effet, la poésie travaille sans cesse le langage pour le rendre plus apte au dévoilement, afin que jamais le sens des mots ne se fige ou que l’on s’y « accoutume ». Pour le linguiste Jakobson, la poésie est ce qui empêche « la rouille de la pensée ». Ainsi, le poète est l’artisan des mots, la poésie est jeu verbal, invention, recherche sur le langage. Tardieu n’hésitait pas à comparer le langage poétique à des outils autonomes et essentiels à la création littéraire ; « Mes outils d’artisan/sont vieux comme le monde / verbes adverbes participes ». De fait, ce langage est plus recherché, tant sur le plan des sonorités que de sa signification, et il a cela de déroutant qu’il renvoie souvent à des références culturelles bien précises, ce que ne font pas toujours les lectures que l’on pourrait qualifier « d’habituelles ». Par exemple, lorsque Charles Baudelaire emploie le terme « helminthes » dans son poème « Au lecteur », ledit lecteur n’est théoriquement pas en possession d’un tel vocabulaire, et c’est justement cette spécificité des termes, puisqu’elle est au service d’un travail sur les mots, qui fait que l’on a bien affaire à de la poésie.  De même, Apollinaire dans son poème « Mai », issu du recueil Alcool s'exclame : « Qui donc a fait pleurer les saules riverains ». A travers cette usage, il redonne au mot sa véritable image et valeur, son sens premier (« donner un sens plus pur aux mots de la tribu »), qui a été détérioré par l'usage commun du mot. Cette expression « saule pleureur » a été lexicalisée et tellement utilisée qu'elle ne fait plus image, elle est réduite à un simple arbre. Pour raviver la métaphore, pour la faire « comparaître » à nouveau, il a bien associé d'autres mots à celle-ci. Le sens qu'il veut lui donner s'obtient par la place qu'il a dans la phrase et par les mots et les signes qui l'entourent et ont pour fonction de révéler la vérité d'une chose, la manifester ou la démontrer. En cela, le poète oblige son lecteur à rompre avec ses habitudes lexicales pour s’immerger dans un nouvel univers du langage.

Et ce langage spécifique va plus loin. La poésie est en effet aussi un art de rechercher les mots et leurs assemblements pour eux-mêmes, de ne pas tomber dans la simplicité des mots usuels. Non pour ce qu’ils représentent ou pour la dimension utilitaire, argumentative qu’ils peuvent avoir, mais juste pour leurs sonorités ou leur rareté. On peut ici penser au « sonnet en yx » de Stéphane Mallarmé, sonnet travaillé pendant plus de vingt ans et qui s’attache à collectionner les mots rares. Dans ce cas, le poète est bien conscient que la finalité de son œuvre n’est ni le sens ni la progression, mais plus un savant agencement de termes, pour la plupart inconnus au lecteur (lampadophore ou ptyx par exemple), qui donne un résultat tout à fait déconcertant, ce qui ajoute encore au talent poétique de Mallarmé.

Et bien souvent, la poésie va plus loin que le travail des mots pour eux-mêmes ; elle est « hors du langage » comme le rappelle Jean-Paul Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?. En cela, le poète ne cherche pas forcément un sens à donner à leur œuvre, mais plus à lui donner le caractère spontané qui convient à certaines productions artistiques. Ce fut justement le but des surréalistes, et notamment d’André Breton, qui dans ses Poèmes, cherche plus l’automatisme de l’écriture comme production poétique que le vrai travail sur les mots et sur leurs sens. Dès lors, le lecteur de poésie ne doit plus chercher un sens « conventionnel » à l’œuvre, mais doit bouleverser sa conception de l’art littéraire pour en saisir la portée. Ainsi, le poète semble rompre nos « accoutumances » par l’emploi d’un langage spécifique, mais il appartient aussi au lecteur de s’en défaire par une lecture également spécifique de la poésie.

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