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Commentaire sur la pièce de théâtre Kean de Jean-Paul Sartre

Dissertation : Commentaire sur la pièce de théâtre Kean de Jean-Paul Sartre. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Avril 2013  •  2 393 Mots (10 Pages)  •  1 260 Vues

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En 1954, Jean-Paul Sartre a repris une pièce d’Alexandre Dumas intitulée Kean. Également auteur dramatique, le philosophe existentialiste a été séduit par cette réflexion romantique sur un destin d’acteur. Il a donc repris l’intrigue de son prédécesseur en la modernisant. L’extrait proposé appartient à la fin de l’œuvre. Il nous livre le coup de folie du grand comédien shakespearien en proie à la jalousie.

Il s’agit d’un texte discursif appartenant au genre théâtral. Situé à la fin de l’ouvrage ainsi que l’indique le paratexte, il manifeste le paroxysme de l’action et prépare le dénouement. Il se caractérise par son intensité lyrique et pathétique, par les réflexions ultimes sur le thème « désordre et génie » chez un acteur. Son intérêt est de montrer la crise de folie d’un comédien à l’ego hypertrophié et d’inviter le spectateur à réfléchir aux conséquences insoupçonnées de cette incartade.

En premier lieu cet extrait met en scène un acteur qui se révolte et défie le public, il permet en outre de décrire les réactions des spectateurs. C’est l’occasion pour Sartre de se livrer à de subtiles variations sur la personnalité de l’acteur et les conséquences du métier de comédien.

Développement

A - Un acteur qui se révolte et défie le public

L’extrait utilise le procédé baroque du théâtre en abyme. En effet, la scène retrace les incidents qui surviennent lors d’une représentation d’Othello de Shakespeare au début du XIXe siècle. Kean, amoureux d’Eléna, a cessé de jouer cette tragédie alors que le personnage qu’il interprète, sous l’emprise de la jalousie, vient d’étouffer Desdémone. Il met fin brutalement au déroulement de la fiction pour s’adresser étrangement à Eléna et au Prince de Galles, placés au premier rang.

L’acteur se sent attaqué dans sa personne

Les didascalies traduisent la colère et la frustration du public suffoqué par l’attitude incongrue du comédien : « Les sifflets redoublent : « À bas Kean ! À bas l’acteur ! » ».

Devant « l’emboîtage », le comédien prend les critiques non pour la pièce ou pour son rôle, mais bien pour sa personne. « Qu’est-ce que je vous ai fait ? », demande-t-il, où le je est bien celui de la personne et non celui de l’acteur. Pour éviter tout doute à ce sujet, il continue son questionnement : « qui applaudissiez-vous ? Hein ? Othello ? Impossible : c’est un fou sanguinaire. Il faut donc que ce soit Kean. » Puis, dans le geste à la fois familier du travailleur qui essuie la sueur de son front, mais aussi théâtral de l’acteur qui ôte son maquillage, Kean signifie qu’il met sa personne à nu, et souligne le fait par sa déclaration : « Oui, voilà l’homme1. »

Il se comporte en héros romantique

Le tragédien, qui a « fait un pas vers le public et le regarde », vient défier la salle. Il se sent seul face à la foule. « Tous, alors ? Tous contre moi ? » Dans cette question véhémente adressée au public, la répétition de « tous » est destinée à souligner l’isolement absolu de l’acteur. C’est en héros romantique révolté qu’il s’avance. Loin de craindre ce rejet, il en tire gloire : « Quel honneur ! ». C’est que Kean a conscience de son génie, de ce qui le coupe de la foule vulgaire : « qui applaudissiez-vous ? […] Il faut donc que ce soit Kean. « Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national » ». Il est bien conscient de ses « superbes colères » où « superbes » a le sens d’orgueilleuses. De même il souligne ses origines populaires et son destin exceptionnel autant qu’étrange « C’est vous qui avez pris un enfant pour en faire un monstre ! ».

Kean veut être le héros solitaire qui assume son destin quoi qu’il en coûte et qui se glorifie de cette élection singulière.

Qui mieux que le héros romantique peut représenter le comédien excentrique ? la célébrité capricieuse ?

La théâtralisation du discours

Le discours de Kean est marqué par l’affectivité des exclamations et des questions. Sa pensée est bouleversée par la colère qui l’agite. Les propos sont donc peu construits, présentent un caractère haché. On y relève aussi des interjections, des répétitions, celles de « tous », de « mais dites donc », « pour vous plaire », surtout celle de « Kean » qui est au cœur du débat. Tout renvoie à l’expression d’un esprit agité par ses émotions intérieures, qui les expulse avec brusquerie.

Cette violence verbale apparaît dans les injures. Kean, à deux reprises, traite les spectateurs d’ « assassins ». Il ne reconnaît en eux que des « gueules », c’est-à-dire qu’il les ravale au rang d’animaux. Lord Mewill est personnellement assimilé à une « punaise », insecte puant qu’on « prend entre deux ongles et [qu’on] fait craquer ». La menace est accompagnée du vulgaire « comme ça ». Kean abandonne à plusieurs reprises la langue policée du jeu tragique pour le registre familier quotidien. Par exemple le poli « Mesdames, Messieurs » du début s’estompe derrière le vulgaire « Messieurs dames » intermédiaire, avant de revenir au peu conventionnel « Messieurs, Mesdames2 » final. L’acteur a cédé la place au saltimbanque des rues. Cette incongruité du propos dans l’enceinte raffinée du théâtre renvoie au drame romantique qui, dans la lignée de Shakespeare, souhaitait l’alliance des contraires pour retrouver la vérité de la vie. Elle renforce singulièrement la brutalité de l’expression.

Kean manie à plusieurs reprises l’ironie. Il prête au public des appréciations louangeuses : « Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national » dont le rythme ternaire, la gradation et la répétition soulignent la fausseté. De plus il oppose au « notre » prétendument consensuel, le « votre » décapant et pitoyable dans « Eh bien le voilà, votre Kean ! ». Kean sait employer l’autodérision. Plus loin il adresse ses adieux en des termes à la fois emphatiques et familiers : « Roméo, Lear et Macbeth se rappellent à votre bon souvenir ». L’acteur Kean abandonne les rôles qui ont construit son succès, espérant laisser des traces agréables chez ceux qui viennent de le conspuer. L’antiphrase sert ici le mépris et décerne le seul éloge sincère que le « cabotin » puisse accepter : le sien.

Le texte théâtral est enfin marqué par la double énonciation : si Kean exprime ses propres pensées, il est parfois le porte-parole de l’auteur dramatique. C’est

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