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Rabelais, Gargantua : Peut-on aller jusqu’à dire que dans Gargantua le rire tend à discréditer le savoir ?

Dissertation : Rabelais, Gargantua : Peut-on aller jusqu’à dire que dans Gargantua le rire tend à discréditer le savoir ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  18 Décembre 2023  •  Dissertation  •  2 948 Mots (12 Pages)  •  70 Vues

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Introduction :

(contexte large) Rabelais (1494-1553) est une des figures majeures de l’Humanisme du XVIème siècle : moine érudit, proche de Jean Du Bellay, il est étroitement associé aux affaires politiques et « diplomatiques » de son temps ; médecin, il approche du savoir universel que rêvaient les Humanistes, comme Erasme qu’il admire. Surtout, Evangélique et bon chrétien, il invite à repenser et à régénérer la pratique religieuse. Ecrivain enfin, il introduit avec fracas la culture populaire dans la littérature, avec le bon géant Pantagruel (1532) et son père Gargantua (1534), puis le Tiers livre (1546) et le Quart livre (1552), « pour ce que rire est le propre de l'homme ». S'il emprunte ses héros aux feuilletons de colportage et use d’une langue d’une « verdeur » qui peut « scandaliser », il invite cependant ses lecteurs à chercher sous le masque de la farce carnavalesque « la substantifique moelle » humaniste.

(contexte étroit) Sa seconde chronique, inversant l’ordre chronologique, évoque le sage Gargantua. Sur le modèle des « vies illustres » (qui retracent les hauts faits des grands hommes de l’Antiquité), Rabelais évoque la naissance prodigieuse de Gargantua, fils du bon roi Grandgousier, son éducation, ses exploits guerriers et enfin la fondation d’une abbaye utopique.

(présentation et énoncé de la problématique) Pour l’Humaniste, Erasme en tête et son bon disciple Rabelais, l’Homme accomplit son humanité par la maîtrise raisonnée des savoirs (« On ne naît pas homme, on le devient »). Or, autant Erasme multiplie les sérieux traités d’éducation1, autant Rabelais semble se plaire à la farce et faire primer le rire sur le savoir (« Vray est qu’icy peu de perfection

/ Vous apprendrez, si non en cas de rire », dizain préliminaire : « Aux lecteurs »), jusqu’à en faire une cible privilégiée de sa satire. Peut-on aller jusqu’à dire que dans Gargantua le rire tend à discréditer le savoir ?

(annonce du plan) Nous verrons que Gargantua tourne en dérision les savoirs sclérosés ; mais que le rire se met aussi au service d’un

« gai savoir » ; enfin que « Pource que le rire est le propre de l’homme », il permet à l’Homme d’accomplir son humanité.

I Un rire à charge contre les Sophistes : une satire farcesque des savoirs sclérosés et dévoyés

Gargantua semble une charge contre le savoir ; en effet, « l’énorme rire » rabelaisien prend pour première cible les détenteurs officiels du savoir.

  1. Dès le Prologue, la charge violente d’Alcofribas contre les érudits et les exégèses savantes
  • le dizain : Nous l’avons vu, dans le dizain, Rabelais avertit ses lecteurs qu’ils n’apprendront pas grand-chose en son livre et affirme le primat du rire (V. 5 à 7)
  • Mieux encore, dans la seconde partie du Prologue, Alcofribras, dans une virulente harangue à ses seuls lecteurs, les ivrognes et les vérolés, ces « vits d’ânes » (l.123), assure que son « cerveau caséiforme » n’a conçu qu’en festoyant et en buvant (l.95 à 100) ces « belles billevesées » (l.119)
  • enfin, il se moque avec causticité des érudits et des exégètes (« vrai croquelardon », l. 90), vilipendés nommément, pour leurs lectures allégoriques des grandes œuvres de l’Antiquité et semble récuser toute lecture savante des œuvres héritées du passé comme de son propre livre (l. 86 à 92)
  1. l’impitoyable satire des sophistes : l’Education

Il s’attaque d’ailleurs à ces maîtres reconnus (notamment Thubal Holopherne, « premier de sa licence à Paris », ch.XXI , p.174, l.42 ; ou Janotus de Bragmardo, considéré par ses pairs comme « le plus vieux et suffisant (= expérimenté) de la faculté », ch XVII, p.154, l. 63) à travers une satire féroce

  1. des maîtres ridicules :
  • leurs noms les désignent comme des imbéciles (« Janotus », « Bridé ») et des « Jobards » (« Jobelin »), sans tête

(« Holopherne »), pleins de confusion (« Thubal ») ; le maître de Sorbonne est désigné par le « braquemart », courte épée mais aussi pénis (« Bragmardo ») et la « merde » (« mardo »)

  • leurs mœurs : le premier maître meurt de la vérole ; Janotus apparaît comme un goinfre et un ivrogne
  • leurs connaissances : le discours de Janotus est un salmigondis de latin macaronique et de patois divers totalement incohérent
  1. des méthodes catastrophiques dans tous les domaines
  • hygiène de vie : (ch. XXI et XXII)
  • le mépris malpropre du corps (manque d’hygiène, manque d’exercice)
  • le régime alimentaire
  • domaine intellectuel : (ch. XIV)
  • le par-cœur sans compréhension
  • les connaissances dépassées (écrire en lettres gothiques)
  • un fatras de livres absurdes truffés de commentaires sans connaissance des œuvres commentées
  • domaine religieux : (ch. XXI)
  • pléthore de rituels vides (messes, « patenostres », chapelets, litanies) que l’on marmonne interminablement sans la moindre spiritualité.
  1. un résultat affligeant :
  • Gargantua est rendu « fou, niais, tout rêveux et rassoté » (ch. XV) ou encore « fat, niais, et ignorant » (ch. XXI)
  • alors qu’il est « flegmatique des fesses » (ch.VII), tempérament le moins propre à l’éducation, ses maîtres n’ont fait qu’aggraver sa tendance naturelle à la paresse, à la goinfrerie, au manque de concentration et d’assiduité dans l’étude.

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1 1512 Le Plan d’étude rationnel

1516 L’institution du Prince chrétien

1525 De Pueris

1530 La Civilité puérile

  • seule une purge carnavalesque (ch. XXXIII) peut permettre d’envisager une nouvelle éducation : il n’y a rien à conserver de la première, par les maîtres sophistes
  1. outre ces faux savoirs, les vrais et nobles savoirs ne sont pas épargnés
  1. les maîtres humanistes
  • l’intuition « humaniste » de Gargantua dans son expérimentation scientifique et rationnelle du torche-cul, révélatrice de son

« esprit merveilleux » (ch. XII), de son « haut sens et merveilleux entendement » (ch. XIII) est discréditée par l’objet d’étude choisi.

  • une maîtrise de la rhétorique digne des orateurs antiques devient ridicule quand elle est pur formalisme et ne correspond pas au réel : discours d’Eudémon (ch. XV)
  • la meilleure des argumentations (bien que marquée comme un peu pompeuse par l’écriture très soutenue de Rabelais) est vaine si elle ne s’adapte pas à son destinataire : ambassade d’Ulrich Gallet (ch. XXX), ambassade encore plus dramatique de Toucquedillon (ch. XLVII)
  1. un savoir politique et militaire dévoyé
  • toute la science politique de Picrochole n’en font qu’un tyran dominé par son mauvais tempérament et incapable de discipliner ses passions
  • les mauvais conseillers de Picrochole, férus de stratégie militaire, ne font que flatter sa mégalomanie (ch. XXIII)
  • l’art militaire, en dernier ressort, ne consiste qu’à lever une « armée » de pillards (ch. XXVII)
  1. un savoir religieux dévoyé
  • les moines grégaires et peureux s’en remettent aux saints et aux miracles au lieu d’agir et ne peuvent qu’accumuler des rituels convenus ; le prieur tyrannique est dénué de réelle autorité (se fait clouer le bec par une attaque ad hominem de Frère Jean) (ch.XXVII)
  • toute la théologie de ces hommes consacrés semble se résumer en gestes vides et superstitieux : le culte des saints, des reliques, les processions, le chant grégorien, les neuvaines, les litanies etc (ch. XXVII) : spectacle et répétition
  • mention spéciale pour le pèlerinage avec « les pèlerins mangés en salade » qui manifestent une connaissance bien curieuse des Ecritures (ch.XXXVIII) et permettent une nouvelle attaque hilarante contre les lectures et surinterprétations allégoriques

transition : Si le rire bouffon et satirique permet de discréditer radicalement les faux savants et les savoirs dévoyés, le rire de joie et de charité permet en revanche de faire l’éloge du bon savoir humaniste.

II Un programme humaniste par le rire : le savoir par le rire

  1. Alcofribas comme double carnavalesque de Rabelais : la première partie du Prologue et la « substantifique moelle »
  •         Alcofribas Nasier est le double carnavalesque de Rabelais mais n’est pas Rabelais, et la seconde partie du Prologue contredit sa première partie sans l’annuler : tout dans le texte indique que, nonobstant la tournure de bateleur d’Alcofribas, l’ouvrage recèle effectivement « de très hauts sacrements et mystère horrifiques, tant en ce qui concerne notre religion, que aussi l’état politique et vie économique »
  • D’autre part, le comique ne dissimule pas le savoir mais au contraire le « révèle » (l. 78), rire et savoir étant aussi indissociables que l’apparence de Socrate et son divin savoir, le dessus des silènes et leur contenu, l’os et sa moelle, et même, comme nous le verrons, paradoxalement, l’habit et le moine.
  1. la bonne éducation par la joie d’apprendre
  1. un maître humaniste : Ponocrate est d’emblée présenté de façon méliorative par son nom, formé sur le grec (comme celui de son élève accompli, Eudemon, « le bien doué ») qui signifie : la puissance de l’effort
  2. on est en effet aux antipodes du laisser-aller des sophistes et les méthodes de Ponocrate s’opposent en tout point aux leurs
  • observation des dispositions particulière de son élève
  • soin du corps autant que de l’esprit : régime alimentaire, exercices physiques
  • bonnes lectures commentées intelligemment dans le respect des textes et des auteurs
  • observation et pratique des professions manuelles
  • intelligence des Ecritures et foi sincère en vue d’une vie bonne
  1. le résultat est une complète réussite du point de vue de l’éducation du prince chrétien
  • tempérament flegmatique corrigé
  • savoir encyclopédique
  • foi approfondie et renouvelée etc

mais surtout, cette réussite tient beaucoup au rire de joie comme principe d’apprentissage humaniste : l’apprentissage se fait par le goût et la joie d’apprendre et le programme gigantesque de Gargantua porte ses fruits parce qu’il paraît davantage un « passetemps de roi » (ch. XXIV, p. 212, l. 46 à 52) : le savoir se fait banquet, comme celui des jours chômés (id, l. 53 à 63) et non vaine goinfrerie.

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