La convention judiciaire d’intérêt public
Dissertation : La convention judiciaire d’intérêt public. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar proutx • 3 Mai 2025 • Dissertation • 3 756 Mots (16 Pages) • 108 Vues
Bayle Inès Procédure pénale 2025
Dissertation : la convention judiciaire d’intérêt public
En histoire du droit et dans l’ancien Code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales n’existait pas. Elle était considérée comme une fiction juridique. L’industrialisation, l’essor du capitalisme et la complexification des affaires ont fait naître la détermination de la volonté de la personne morale, dont les intérêts sont distincts de ceux de la personne physique. La jurisprudence a commencé à reconnaitre timidement cette responsabilité de la personne morale qui a finalement été consacrée en droit positif dans le code pénal de 1994. Depuis, les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité de la personne morale n’ont cessé de s’étendre, si bien qu’aujourd’hui les personnes morales se voient même proposer des alternatives aux poursuites pénales.
L’une d’elles est appelée la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui est une procédure créée par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de 2016 dite loi Sapin II. L’article 22 de cette loi insère dans le Code de procédure pénale les articles 41-1-2 et 180-2 qui définissent les modalités d’application de cette nouvelle procédure. Selon les lignes directrices du Parquet national financier de janvier 2023, la convention judiciaire d’intérêt public est « un instrument transactionnel applicable aux personnes morales publiques et privées » qui peut être proposé dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire pour des faits de corruption ou de trafics d’influence, de fraude fiscale ainsi que leur blanchiment ou toute infraction connexe. Cette convention peut imposer différentes obligations comme le paiement d’une amende d’intérêt public au Trésor public, de se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption et de réparer le préjudice causé lorsque la victime est identifiée. Le procureur de la République est le seul compétent pour négocier et signer la convention judiciaire d’intérêt public. Si elle est acceptée par la personne morale, la convention judiciaire d’intérêt public est soumise à la validation du président du tribunal lors d’une audience publique, avant d’être publiée.
Si le Parquet national financier emploie le terme « d’instrument transactionnel », c’est parce que depuis une vingtaine d’années, le droit pénal français connaît un phénomène de contractualisation. En effet, selon la doctrine, la justice pénale française tend de plus en plus à être une justice consensuelle, dans le sens où elle repose sur les concepts d’offre, de négociation et de convention. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large d’efficacité procédurale, visant à désengorger les tribunaux et à adapter la répression aux réalités économiques. La convention judiciaire d’intérêt public, inspirée des Deferred Prosecution Agreements américains, illustre cette mutation en offrant aux personnes morales une alternative aux poursuites, privilégiant la réparation et la mise en conformité plutôt que la sanction pénale traditionnelle.
Toutefois, cette évolution heurte plusieurs principes fondamentaux du droit pénal. D’une part, la convention judiciaire d’intérêt public écarte toute reconnaissance de culpabilité, ce qui questionne son rôle dissuasif et son effet sur la prévention générale. D’autre part, le pouvoir conféré au ministère public dans la négociation de ces accords soulève des interrogations quant à l’équilibre des pouvoirs, le rôle du juge étant réduit à une simple validation formelle. Enfin, cette contractualisation pose la question d’une justice à deux vitesses, où seules les entreprises capables de négocier une amende peuvent éviter les poursuites, tandis que les personnes physiques restent soumises au régime pénal classique.
Dès lors, la convention judiciaire d’intérêt public marque-t-elle une avancée vers une justice plus efficace et adaptée aux réalités économiques, ou constitue-t-elle une forme de justice négociée remettant en cause les principes fondamentaux du droit pénal ?
Nous verrons que la convention judiciaire d’intérêt public s’inscrit dans une logique de justice pénale négociée adaptée aux réalités économiques qui entrainent toutefois une forme de dénaturation de la justice pénale française.
I. La convention judiciaire d’intérêt public, une forme de justice pénale négociée adaptée aux réalités économiques
A) Une alternative aux poursuites pour préserver les intérêts de la personne morale
1) Un alignement sur la culture de la common law
Avant la création de la convention judiciaire d’intérêt public, la répression des infractions économiques commises par les entreprises en France était peu efficace, notamment en matière de corruption. Cette inefficacité s’expliquait par plusieurs facteurs, dont la difficulté probatoire liée aux pratiques corruptives souvent dissimulées et transnationales, ainsi que par l’inadaptation du cadre législatif aux réalités des infractions économiques commises par les personnes morales. Dans ce contexte, les entreprises françaises bénéficiaient d’une quasi-immunité de fait. Face à cette situation et sous la pression des instances internationales, le législateur français s’est inspiré des Deferred Prosecution Agreements américains et britanniques, qui permettent aux entreprises d’échapper aux poursuites pénales en concluant un accord avec le ministère public. Ces dispositifs transactionnels, déjà en vigueur dans plusieurs pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique, sont conçus pour offrir une réponse rapide et efficace aux infractions économiques, tout en évitant les conséquences négatives d’un procès long et incertain. La convention judiciaire d’intérêt public répond ainsi à une double nécessité : d’une part, renforcer la lutte contre la corruption et la fraude fiscale en France, et d’autre part, éviter que les entreprises françaises ne soient plus lourdement sanctionnées à l’étranger par des juridictions plus répressives, notamment américaines. Il s’agit donc d’un mécanisme permettant d’harmoniser la réponse pénale française avec les standards internationaux et d’assurer une certaine compétitivité juridique dans la répression des infractions économiques.
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