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Lecture analytique : Voltaire, Candide ou l'Optimisme, chapitre 19 « Ce qui leur arriva à Surinam et comment Candide fit connaissance avec Martin»

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Par   •  10 Mars 2018  •  Fiche de lecture  •  1 869 Mots (8 Pages)  •  955 Vues

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Lecture analytique : Voltaire, Candide ou l'Optimisme, chapitre 19 « Ce qui leur arriva à Surinam et comment Candide fit connaissance avec Martin»

        Bourgeois cultivé et grand voyageur, François-Marie Arouet (1694-1778) incarne l'esprit contestataire et ambitieux de la philosophie des Lumières. Il est l'auteur d'une œuvre très diverse : traités, lettres, essais, dictionnaire, apologues, théâtre, pamphlets, tous marqués par un esprit frondeur et une ironie caustique mis au service d'une lutte contre les injustices, les inégalités et toutes les formes de fanatisme. Il revendique ainsi une écriture de combat. Ses écrits et ses positions lui valent d'ailleurs de nombreuses difficultés avec le pouvoir (exil, emprisonnement). Aussi publie-t-il Candide de manière anonyme en 1759. L'ouvrage est diffusé à Paris, aux Pays-Bas, en Angleterre et dans toutes les cours européennes où il connaît un succès sans précédent : 20 000 exemplaires sont vendus la seule première année.

        Candide, conte philosophique nourri de l'actualité de son temps, est pour Voltaire une nouvelle occasion de prôner la liberté et la tolérance. Il y est en effet question de la guerre de Sept Ans, de l'influence de l'Église, mais aussi de l'institutionnalisation de l'esclavage et de ses ravages.

        Le texte proposé est précisément un extrait du chapitre 19. Candide, couvert des trésors de l'Eldorado, parvient à Surinam où il rencontre, étendu au sol, un esclave. Cet événement donne lieu à un retour brutal à la réalité du mal et à une mise en question de cette traite humaine. Il s'agira donc de voir en quoi la mise en scène de l'esclave et son discours concourent à dénoncer le commerce de l'humain. Nous étudierons d'abord la description physique et morale de l'esclave puis la structure et le sens de son plaidoyer.

        I) Description de l'esclave et art de la mise en scène romanesque

        Les premières lignes de notre extrait inscrivent d'ores et déjà, par la posture spatiale des personnages, une hiérarchie : l'esclave est en effet au sol, « étendu par terre » (l.1), alors que le personnage principal, Candide, est debout. Cette position révèle d'emblée la situation d'infériorité dans laquelle est confiné le nègre. La position physique manifeste ici la position sociale des différents protagonistes. L'activité des personnages est tout aussi révélatrice : l'esclave demeure immobile comme il le confie lui-même : il « attend » son maître dans une forme d'inertie et de fatalisme, alors que Candide est en mouvement. Cette attitude reflète leur condition : l'un est libre de ses mouvements, l'autre pas.

        La description physique du nègre est par ailleurs marquée par l'isotopie de la misère et du dénuement avec le substantif « esclave », l'adjectif qualificatif « horrible », la comparaison avec les chiens, les singes ou les perroquets « Les chiens, les singes, et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous », la négation restrictive « n'ayant plus que la moitié de son habit ». La structure de la première phrase pose également question puisque le fait que l'esclave n'ait qu'une moitié d'habit et le fait qu'il soit amputé d'une jambe et d'un bras sont exposés sur le même plan. La priorité mise sur l'absence d'une partie du vêtement est aberrante, tout comme le ton de la banalité que choisit le narrateur. Celui-ci semble ne pas faire la différence entre une amputation et un vêtement déchiré. Il y a là une distorsion ironique. Le décalage entre l'objectivité froide du constat et l'horreur de la situation déconcerte, interroge et interpelle le lecteur. Les sévices semblent d'autant plus atroces qu'ils sont énoncés avec distance.

        Le personnage, mutilé dans sa chair, est également brisé dans son âme comme en atteste l'échange entre les deux protagonistes. Il est à noter que le discours utilisé est ici le discours direct : la parole laissée à l'esclave devient alors, pour le lecteur, un témoignage saisissant et pathétique de la condition des esclaves. L'esclave apparaît ici résigné. Ses paroles sont marquées par un respect du blanc instinctif ( il répond un « oui monsieur » à Candide plein de politesse) et par une grande fatalité. Il affirme une attitude de soumission, de passivité («J'attends mon maître» ) et paraît accepter son sort («c'est l'usage» l.7). Il explique ensuite calmement l'usage, qui renvoie au Code noir. Le personnage construit des phrases, quasi uniquement de type déclaratif, faisant apparaître la même structure (l.8 à 10 : parallélisme de construction : « quand nous … on nous» ): le résultat semble être obtenu sans aucune émotion. L'esclave apparaît spectateur de sa propre vie, et du sort qui lui est réservé : il est absent à lui-même. Ainsi Voltaire met-il en relief un formalisme administratif par le ton faussement détaché qu'emploie son personnage, renforçant de fait l’horreur de la situation : « je me suis trouvé dans les deux cas » l.10.  Ce formalisme du discours rend compte de l'institutionnalisation de la violence que constituent l'asservissement d'un peuple, sa réification et sa commercialisation. Cette chosification de l'humain se manifeste d'ailleurs jusque dans la syntaxe : l'esclave est en effet régulièrement en position d'objet lorsqu'il parle de lui-même « on nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement » (COI), « on nous coupe la jambe » (COI), « ma mère me vendit dix écus patagons » (COD), « elle me disait » (COI), « les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches » (COD puis COI). Privé de sa liberté de mouvement et de décision, l'esclave est dépouillé de son humanité et de ses droits élémentaires, pour autant son discours n'en demeure pas moins le lieu d'une véritable argumentation et d'un procès à charge fait aux esclavagistes.

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