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Les Sources Du Droit

Note de Recherches : Les Sources Du Droit. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  24 Novembre 2013  •  6 905 Mots (28 Pages)  •  912 Vues

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RTD Civ.

RTD Civ. 1996 p. 299

Les sources du droit : le déplacement d'un pôle à un autre (1)

Philippe Jestaz, Professeur à l'Université de Paris Val-de-Marne (Paris XII) ; Membre de l'Institut universitaire de France

Comment le droit devient législatif après avoir été prétorien (Rome) ou coutumier (l'ancienne France) à moins que la coutume ne laisse place à la jurisprudence (Angleterre d'avant la révolution industrielle). Comment à l'époque contemporaine la France légaliste et l'Angleterre casuistique ont quelque peu rapproché leurs positions. L'étude de ces déplacements renouvelle la théorie, ordinairement trop statique, des sources, même si aujourd'hui les déplacements ne sont plus que de simples (mais instructives) oscillations.

Ce titre exige une explication. Je suis parti de cette constatation banale que le classement des sources du droit ne suscite aucun accord général. En France, chaque auteur y va de sa présentation qui a plus de détracteurs que de partisans et qui souvent ne le satisfait pas lui-même. Or cette présentation, qui d'ailleurs ne s'attache qu'au statut juridique de chaque source ou à sa validité propre, ne renseigne guère sur le fonctionnement, même théorique, du système et pas du tout sur la vie réelle du droit. Tout comme, en économie, les chiffres du produit national ventilés par catégories - et encore ce sont des chiffres ! - ne donnent du pays qu'une vision abstraite.

Le point faible de ce genre d'instantané, c'est qu'il n'indique pas le mouvement, l'oscillation, l'interaction perpétuelle entre loi, jurisprudence, doctrine, pratique, etc. Toutefois je pense que pour y voir plus clair, il faut non pas entrer tout de suite dans les détails, mais paradoxalement prendre de la hauteur. On constate alors que les divers systèmes juridiques ont à l'heure actuelle une dominante ou légale ou jurisprudentielle, mais qu'ils ont pu jadis être exclusivement l'un ou l'autre (ou encore être purement coutumiers) avant que la source du droit ne se déplace, en tout ou en partie, d'un pôle à un autre. Or l'étude de ces déplacements paraît nécessaire pour comprendre la situation d'aujourd'hui, pour mieux recenser les pôles émetteurs du droit et pour mesurer leur influence réciproque. L'idée de base de cette dynamique des sources, c'est que les lentes évolutions du passé aideront à expliquer les convulsions actuelles, bref que la connaissance du court terme suppose l'étude du long terme (2).

Il est à peu près avéré que les premiers hominidés ne se sont jamais réunis dans la grotte de l'un d'eux pour édicter un corps de lois ! Dans les sociétés primitives, l'expérience juridique a commencé par le juge. Le droit est à l'origine une intuition, un sentiment commun que traduit et exprime un personnage occupant le milieu entre le juge et le sorcier.

De nos jours au contraire, beaucoup de juristes, en tout cas en France, identifient le droit à la loi lato sensu, au droit légiféré. Et force est de reconnaître que le volume des codes, recueils et journaux officiels paraît bien leur donner raison.

Dès lors, on sera tenté de considérer que les sociétés humaines obéissent à un déterminisme scientifique, qu'elles vont nécessairement du juge à la loi. Dans l'ensemble ce n'est pas faux, mais il faut y regarder de plus près. Sans remonter aux époques obscures dont nous ne savons presque rien, je me propose d'étudier le déplacement des sources avant la révolution industrielle (I) et ensuite à l'époque contemporaine (II). Puis j'esquisserai une théorie du déplacement (III).

I. - Le déplacement avant la révolution industrielle

Pour retrouver nos racines, une excursion à Rome est indispensable. Je la ferai donc (A). Elle éclaire par analogie l'histoire de l'ancienne France (B) et a contrario celle de l'Angleterre à la même époque (C).

A. - Rome : du droit prétorien à la loi

Rome a commencé comme tout le monde par le juge, exactement par le pontife qui était un prêtre-juge. Au terme de cette première expérience juridique, on trouve la squelettique loi des XII tables dont les historiens ne savent pas si c'était une vraie loi (imposée par le pouvoir en place et apparemment la première du genre) ou peut-être une simple compilation de jurisprudence non obligatoire. A tout le moins présentait-elle un caractère législatif dans la mesure où elle a laïcisé la procédure et divisé le procès en deux phases, la phase de recevabilité devant le préteur, la phase de décision devant le juge. Là se situe le second et le véritable démarrage du droit romain.

Chacun sait que, du point de vue juridique, la phase la plus importante a été la première, car il s'agissait de savoir si le préteur accorderait ou non une action au plaideur qui la lui demandait. Une fois l'action accordée, la question de principe est réglée et le juge - un simple arbitre - ne statue plus que sur les modalités concrètes d'application. Donc le personnage important est le préteur et le droit romain, le vrai droit romain qu'on admire encore, a été prétorien.

En réalité et dans un premier temps, le rôle créateur appartient surtout aux anciens pontifes reconvertis en jurisconsultes. C'est eux qui, avec une science incomparable, élaborent des constructions et des argumentations juridiques pour convaincre le préteur. Et ce dernier ne fait d'abord que suivre. Parallèlement à cette activité, les jurisconsultes enseignent le droit. Bientôt leur prestige devient tel qu'on les appelle les « prudents », ce qui indique une idée tout à la fois de savoir et d'empirique sagesse. C'est eux qui font le droit et le droit des prudents porte le nom tout simplement - de jurisprudence. Ainsi la jurisprudence, au sens primitif du terme, c'est la doctrine ! Le droit romain a donc été doctrinal avant de devenir prétorien. Le déplacement a eu lieu quand le préteur a pris de l'assurance et s'est affranchi de la tutelle de fait qu'exerçaient sur lui les jurisconsultes. Par compensation, le rôle doctrinal de ces derniers s'est alors accru : désormais les jurisconsultes mettent en mémoire et systématisent, commentent et enseignent le droit prétorien.

Ainsi, et cela durera jusqu'à la fin de la République, le droit romain se construit cas par cas sous forme d'actions

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