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Lettre Portugaises De Guilleragues

Note de Recherches : Lettre Portugaises De Guilleragues. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  28 Octobre 2013  •  2 211 Mots (9 Pages)  •  1 936 Vues

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Publiées en 1669, Lettres d'une portugaise fût longtemps pris pour un recueil de vraies lettres. Il est acquis maintenant qu'elles furent écrites par Guilleragues et qu'il s'agit donc d'un roman épistolaire. Cinq lettres composent ce court livre. Écrites par une religieuse portugaise, Mariane, elles s'adressent à un officier français qui a été son amant et qui l'a délaissée.

Le style est complexe, recherché et fort de sens et de sous entendu. Si Mariane écrit à son amant, il n'en reste pas moins que ce travail d'écriture et aussi un travail sur elle même, sur le sens de son amour et de sa vie. Elle écrit sur elle-même et pour elle-même. Nous allons voir de quelle manière son style dépasse la simple lettre s'informant sur son destinataire et donnant des nouvelles du destinateur.

«Considère, mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! Malheureux, tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. [ …] vous étiez enfin résolu à un éloignement qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. 1 »

Le début de la première lettre est étonnant. La première phrase a d'ailleurs été le sujet de nombreux commentaires. Il y a une étrangeté à commencer par un tutoiement et continuer par un vouvoiement. Mariane commence sa lettre en s'adressant à l'amour qu'elle porte à l'officier avant de s'adresser à lui. Cet incipit marque d'entrée de jeu le style du roman. En effet, lorsqu'on lit un roman épistolaire (ou de vraies lettres aussi) on suppose lire un contenu qui s'adresse à un destinataire avec tout ce que comporte l'idée d'une lettre : donner des informations sur soi, s'informer sur l'autre, raconter le quotidien, faire des demandes, s'attrister de l'absence de l'autre. C'est une conversation avec un décalage lié au temps d'acheminement du courrier. Ici, le tutoiement montre un monologue intérieur. Les premières lignes du roman semblent être les pensées que Mariane aurait eu avant de commencer à écrire mais qu'elle inclut en introduction à sa lettre. L'entrée en matière nous montre d'emblée l'épistolière tourmentée, en proie à une réflexion sur ses sentiments, comme si elle savait déjà que tout est fini mais qu'elle va tenter une dernière approche.

L'échec est posé dès les premières lignes mais Mariane n'est pas encore résignée à l'accepter.

1 Lettres portugaises, lettres péruviennes et autre roman d'amour par lettres, Paris, GF-Flammarion, 1983,p71

1

L'acceptation arrivera progressivement avec la quatrième lettre que Mariane termine en écrivant «J'écris plus pour moi que pour vous[ …] 2»

Le roman de Guilleragues pose à travers l'échec amoureux, l'échec de la communication et de l'écriture de Mariane. Le déséquilibre s'instaure par le fait que l'officier ne va presque pas répondre aux lettres de Mariane. On peut imaginer que si des réponses plus fournies avaient été envoyées à Mariane, le roman aurait été plus long. L'intérêt réside ici par le fait que ce ne sont que cinq lettres et que le roman fait à peine vingt cinq pages. L'absence des mots de l'autre ne permet pas de poursuivre une correspondance basée sur l'échange alterné entre deux personnes. Mariane ne peut qu'imaginer, elle ne peut quasiment pas savoir ce que pense l'autre. Le discours de l'officier, en n'étant qu'absence casse le lien habituel d'un échange de lettres. Mariane se retrouve seule face à son écriture. Elle cherche des moyens pour renouer la communication. Elle pose des questions mais finalement fait aussi les réponses. Dans la troisième lettre elle écrit :«Si je vous aimais autant que je vous l'ai dit mille fois, ne serais-je pas morte il y a longtemps ? Je vous ai trompé, c'est à vous à vous plaindre de moi. Hélas ! pourquoi ne vous en plaignez-vous pas? 3» Ces questions directs sont sur la forme de vraies questions mais l'utilisation du «vous» agit comme une obsession. La dernière question appelle l'officier à répondre sans qu'il ne sente de reproche. Elle reprend les questionnements antérieurs de Mariane, elle synthétise le contenu des lettres précédentes. En usant du discours amoureux, Mariane veut manipuler l'officier pour l'obliger à répondre. C'est elle qui se veut fautive. Elle cherche le moyen d'attendrir son amant pour qu'il finisse par répondre. Mais les phrases interrogatives sont rarement faites dans ce roman pour obtenir une réponse à la question posée. Mariane ne reçoit pas de lettre en retour et ses questions se transforment en une métaphore de son désespoir et de son attente. Pour le lecteur du roman, cela montre l'état d'esprit de Mariane et permet de lire ce qu'elle dit et ce que l'officier ne dit pas. Les questions permettent de comprendre une part du dialogue qui n'existe pas. Les quelques lettres de l'officier ne sont pas retranscrites et nous n'avons qu'un seul point de vue, celui de Mariane. Le rôle des phrases interrogatives induisent que la réponse va de soi et qu'elle est comprise dans la question. «La passion d'un autre m'occupera-t-elle? La mienne a-t-elle pu quelque chose sur vous?4» «[ …]qu'avez-vous fait qui dût me plaire? Quel sacrifice m'avez-vous fait? N'avez-vous pas cherché mille autres plaisirs?5»

2 ibid., p83

3 ibid., p80

4 ibid., p91

5 ibid., p93

2

Les questions sont une accusation contre le silence de l'officier. Il n'y a pas besoin d'attendre de réponse, Mariane se parle plus à elle qu'à l'amant. Elle se raconte mais en ayant pour cela besoin d'avoir l'officier comme destinataire. Nous ne sommes pas dans le journal intime mais cela en prend le chemin. Ce genre littéraire n'existe pas encore à l'époque de Guilleragues. La différence fondamentale est que le roman par lettre implique l'existence d'un destinataire. C'est parce qu'elle écrit à l'officier et que les réponses n'arrivent pas que Mariane finit par se questionner. C'est à une véritable interrogation de son for intérieur que se livre Mariane. C'est presque une analyse, au sens freudien du terme, à laquelle se livre Mariane.

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