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Les metamorphoses de claude frollo

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Par   •  11 Juin 2015  •  4 261 Mots (18 Pages)  •  650 Vues

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LES METAMORPHOSES DE CLAUDE FROLLO

J'ai toujours été surprise, à la lecture de Notre-Dame de Paris, par la liberté avec laquelle Hugo a peint le personnage de Claude Frollo: non seulement parce qu'il est prêtre, mais aussi parce que la description de son désir et de sa frustration me paraît d'une audace extrême. Plusieurs critiques ont accusé l'auteur d'irreligion, de matérialisme, et ont été gênés par le manque de "lumière venue d'en haut", ou comme Montalembert par les "peintures lascives"; le roman a d'ailleurs été mis à l'index par l'Eglise en 1834. Mais somme toute, le livre a été un succès et le personnage de Frollo, ecclésiastique fou d'amour et de désir, ne semble pas avoir provoqué de trop violentes réactions.

Pourtant, quand on s'intéresse d'un peu près aux adaptations du roman dans les livrets d'opéra, on s'aperçoit une fois de plus que ce qui était plus ou moins accepté dans un livre, malgré des réserves, ne l'est plus du tout sur une scène (ou sur un écran, mais ce n'est pas ici mon propos). Claude Frollo est soumis à de nombreuses métamorphoses et surtout, dans la plupart des cas, s'il demeure troublé par la belle Esmeralda, il n'est plus prêtre, ce qui rend son désir moins transgressif, et permet de s'arranger avec la censure.

J'analyserai les représentations du personnage à partir de quatre exemples qui m'ont paru révélateurs et qui permettront d'aborder diverses époques et divers pays: la France de 1836, avec La Esmeralda de Louise Bertin, l'Espagne de 1875 avec le Quasimodo de Felipe Pedrell, l'Allemagne de 1913 avec Notre-Dame de Franz Schmidt, la France de 1998 avec Notre-Dame de Paris de Cocciante. Même si cette dernière oeuvre tient plutôt, par sa musique, de la comédie musicale, elle a été qualifiée d'opéra par son compositeur -en partie à cause de l'absence de dialogues parlés.

Hugo, à la demande de Louise Bertin, a travaillé au livret de Notre-Dame de Paris de l'automne de 1831 au début de 1836 . La copie destinée à la censure est enregistrée le 29 janvier 1836. Celle-ci exige que le titre soit changé et le mot "prêtre" remplacé partout où il se trouve. Ce que Hugo avait pu écrire dans son roman, il ne peut donc plus le faire admettre sur la scène de l'opéra. Pourtant, comme l'explique Arnaud Laster, qui a étudié en détail l'histoire de l'oeuvre, on ne s'y trompe guère au cours des premières représentations de novembre 1836: "le ministère de l'Intérieur est informé" que le livret de Hugo "est vendu <<pendant la représentation, dans l'intérieur de l'Académie royale de musique>>" où l'opéra est représenté "et qu'il <<contient presque tous les passages dont la suppression avait été exigée par la censure>>; quelques-uns <<ont même été récités par les acteurs>>. L'interprète de Claude Frollo, la basse Levasseur, <<s'excuse sur la nature de sa mémoire qui ne se prête que difficilement>> aux changements tardifs ".

Le livret original, tout en comportant beaucoup de concessions -Hugo explique dans sa préface qu'il a été obligé de se plier aux exigences du genre- ne renonce pas, il est vrai à certaines hardiesses, n'hésitant pas, par exemple, à faire de son personnage, comme dans le roman, un voyeur. Premier indice: Frollo se cache "derrière un pilier" pour guetter Esmeralda et l'observer à loisir, puis, manifestation plus explicite, est introduit à sa demande par Clopin dans "un enfoncement derrière une tapisserie" afin d'assister au rendez-vous de Phoebus et de la jeune fille. Le roman insiste beaucoup sur son regard -Frollo, qui ne peut avoir de contact physique avec Esmeralda doit, la plupart du temps, se contenter de la toucher, de la caresser ou de la dévorer des yeux. Et Hugo le décrit à plusieurs reprises comme un milan ou comme un tigre qui guette sa proie. Pour compléter cet aspect du personnage, le librettiste précise dans les indications scéniques que Frollo se camoufle, afin de voir sans être vu ou du moins sans être identifié: il enveloppe à plusieurs reprises son habit de prêtre sous un grand manteau, son visage sous une capuche.

Son attirance pour Esmeralda est révélée dès la première scène: "Je souffre! oh! jamais plus de flamme/ Au sein d'un volcan ne gronda", s'écrie-t-il en l'observant, et on comprend d'emblée que cette passion est déjà à son paroxysme et qu'elle est irréversible. Que Frollo ait résolument choisi l'enfer ne fait plus de doute après un grand air, le plus important de son rôle, au cours duquel il manifeste sa folle passion. Il y crie notamment: "L'enfer avec elle, / C'est mon ciel à moi", formule saisissante qui reprend de manière plus concise les cris d'amour qu'il jettera plus loin dans le roman à Esmeralda, au moment où il ira la voir en prison: " Grâce! si tu viens de l'enfer, j'y vais avec toi. J'ai tout fait pour cela. L'enfer où tu seras, c'est mon paradis; ta vue est plus charmante que celle de Dieu !"; ce qui devient: "L'enfer avec elle/ C'est mon ciel à moi !". Mais surtout, est posée par Frollo la question cruciale: un prêtre doit-il renoncer à l'amour? choisir entre le ciel et l'amour? A l'évidence, s'il se révolte contre Dieu c'est parce qu'il ne lui laisse que cette alternative. Un Dieu qui exige cela est, conclut-il, un Dieu capricieux; autant donc choisir le démon et assouvir ses désirs. La problématique était posée par le narrateur dans le roman: celui-ci disait que le célibat imposé aux prêtres pouvait produire des monstres .

Autre difficulté dans cette irréversible passion: Esmeralda ne répond pas à l'amour du prêtre, ce qui paraît quasiment inconcevable à celui-ci. Comme il n'a aucune expérience de l'amour et qu'il a toujours cru qu'aimer était diabolique, il ne comprend pas que cette créature envoyée sans doute par le démon puisse se refuser à lui. Hugo suggère à merveille ce malentendu dans le livret, toujours dans le grand air de Frollo: "Viens donc, ô jeune femme!/ C'est moi qui te réclame!/ Viens, prends-moi sans retour!" La souffrance qu'il éprouve d'aimer contre son devoir va donc se doubler de la souffrance de ne pas être aimé. Ce qui entraîne chez le personnage à la fois le besoin de se détruire et de détruire l'objet aimé. Cette dualité

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