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Les filles du feu, Nerval

Commentaire de texte : Les filles du feu, Nerval. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  4 Février 2022  •  Commentaire de texte  •  4 104 Mots (17 Pages)  •  296 Vues

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« Le sommeil est divin » écrit Marcel Proust dans La Prisonnière (p.126, Pléiade, deuxième édition), cinquième tome d’À la recherche du temps perdu, publié en 1923. Le sommeil et le rêve sont des thématiques que l’on retrouve tout au long de l’œuvre proustienne et nervalienne. Ils permettent le voyage, la concrétisation des fantasmes et le recouvrement du temps perdu.

Le texte qu’il nous est proposé à l’étude est un extrait du chapitre deux de la nouvelle Sylvie, intégrée en 1854 dans le recueil des Filles du feu. Dans cet extrait, le narrateur est sur le point de s’endormir, et commence à rêver. Lors de cette « ébauche de rêve », le narrateur se rappelle une scène de sa jeunesse, lorsqu’il rencontra Adrienne. Dans un état de « demi-somnolence », le narrateur va parsemer ses souvenirs de rêves. Cet état est aux arcanes de tous les éléments du texte.

Ainsi, nous étudierons dans quelle mesure cet extrait aussi entre rêve et réalité.

Nous ferons tout d’abord apparaître l’ambivalence du cadre spatio-temporel de cet extrait, qui oscille entre le souvenir et le songe. Cela nous conduira à l’analyse des personnages de Sylvie et d’ Adrienne, véritables incarnations de cette oscillation. Il s’agira pour conclure de se concentrer sur la symbiose du souvenir avec le fantasme, à travers le personnage de Adrienne.

Le cadre dressé par l’auteur est un véritable tableau oscillant entre le souvenir et le songe. C’est ce que l’auteur désigne par la « demi-somnolence » (l.2). Le narrateur est dans un « état » (l.3) entre le monde réel et le monde onirique. Cette idée est présente dès l’ouverture du texte : « Je regagnai mon lit et je ne pus y trouver le repos » (l.1). Le narrateur est dans le lieu le plus propice aux songes ( le « lit » l.1), mais ne parvient pas à « trouver le repos » (l.1). Cette incapacité de trouver le sommeil est au cœur même de ce balancement entre rêve et réalité. Notons que le narrateur est « plongé dans une demi-somnolence » (l.2). Le verbe est fort de sens, car il renvoie au monde sous-marin. Le narrateur devient en quelques sortes plongeur. Un plongeur est un homme qui n’est pas dans son élément naturel. Ainsi, comme le plongeur, le narrateur est « plongé » dans un autre monde. Pourtant, le narrateur n’est pas complètement en train de rêver. Notons la personnification de l’esprit du narrateur, qui « résiste » « aux bizarres combinaisons du songe » (l.3-4). Le verbe « résister » illustre parfaitement ce conflit entre la réalité et le rêve, dont cette « demi-somnolence » est le fruit. Cette personnification permet à l’auteur de présenter clairement le conflit, entre l’ « esprit » et les « bizarres combinaisons du songe » (l.4). Nous relevons aussi un certain conflit dans le rythme de cette « demi-somnolence ». En effet, cet « état » accélère le temps : « voir se presser en quelques minutes les tableaux ». Dans cette citation, l’accélération passe avant tout par le verbe presser qui a une temporalité rapide et brusque. Mais d’un autre côté, on retrouve cette « longue période de la vie » (l.6), qui vient ralentir le tempo. Deux temporalités sont donc confrontées. Cette « demi-somnolence » est semble donc être partagée entre une dimension réaliste ( « l’esprit », un narrateur qui ne trouve pas le sommeil ), et une dimension plus onirique, qui lutte contre l’esprit et accélère le passé.

La structure de ce texte est à l’image du rêve. D’abord l’on retrouve une dimension que l’on pourrait qualifier de réaliste  ( les trois premiers paragraphes ), dimension qui s’évapore au fil du texte pour laisser place au rêve ( le reste du texte). Cette structure est donc au service du fond, et semble être l’analogie de l’endormissement. Concentrons-nous ainsi sur la dimension concrète dans la description du cadre. La représentation que se fait le narrateur du cadre du récit est très précise. La précision des détails de la description renvoie directement aux « tableaux » évoqués ligne 5. Nerval dresse un véritable tableau en décrivant le cadre. Tout au long de la description, de nombreuses couleurs sont évoqués : « ardoises »(8), « rougeâtre »(9), « pierres jaunies »(9), « grande place verte »(10), « ormes »(10), « tilleuls »(10), « soleil couchant »(11), « feuillage »(11), « enflammé »(12), « pelouse »(12). D’autres couleurs sont évoquées plus loins dans le texte mais ne sont pas avant tout au service du cadre. Tous les termes cités font allusion aux couleurs. Notons que les couleurs ne sont pas forcément nommées, mais souvent sous entendues : « feuillage », « pelouse », « enflammé », « soleil couchant »). Cela est au service d’une peinture réaliste et locale. Locale car en effet, Nerval va rattacher cette description à la « France »(16), et plus particulièrement au «  pays du Valois »(15). Cette dimension régionale est très importante. Elle est transmise par les couleurs décrites, mais aussi par la voix. La voix et la langue permettent au narrateur d'ancrer son souvenir dans le réel. Ce « français si naturellement pur » (L.14) apparaît comme une langue magique qui permet de faire ressusciter le pays. L’adverbe « naturellement » permet d’associer la langue française à la nature et ainsi la glorifier. Ajoutons de plus que le chant de « vieux airs transmis par leurs mères » (l.13) est porteur d’histoire et de culture régionale. Le phénomène de transmission s’opère ainsi par la langue, soit les « vieux airs ».  Cette dimension locale est donc très importante, à tel point que la France est personnifiée : « le cœur de la France ». Cette personnification permet de valoriser la France et d’en faire une entité à part entière, une personne. Dès lors, le cadre que dépeint le narrateur ne semble quasiment pas relever du rêve. Au contraire, les détails et l’ancrage culturel rendent le souvenir très concret.

Cependant, au fil du texte ( et peut-être au fil du sommeil du narrateur ), vient s’entremêler le songe. Observons tout d’abord un fait : le narrateur est seul, entouré de jeunes filles ( « J'étais le seul garçon dans cette ronde » l.17 ). Il pourrait semblerait que ce détail relève de l’érotisme. Cette figure de l’homme seul face à un groupe de femmes rappelle le sérail. Aussi, peut-être ce détail est-il dû à une dimension plus onirique. Mais cette notion de songe qui vient s’entremêler tout au long du texte s’illustre par bien d’autres aspects. Notamment, le rythme saccadé du récit. En effet, tout au long de l’extrait nous retrouvons différentes locutions qui traduisent la surprise : «   — jusque-là ! » l.22 et « Tout d'un coup ». Les tirets que l’on retrouve tout au long du texte ont la même fonction. Ils permettent de dynamiser le récit, et illustrent le cheminement du rêve. Cela donne un rythme saccadé, comme lors d’un rêve où les surprises s’enchaînent. Nous relevons une occurrence de quatre tirets. Leur usage a toujours la même visée : signaler un événement important. Le premier tiret annonce la rencontre avec Adrienne, le deuxième annonce le début du chant, le troisième clôture le chant, et le dernier annonce le couronnement. Lors d’un rêve, nous ne contrôlons pas ce que nous faisons. Nous sommes en quelque sorte dépendants du rêve. Nous retrouvons cette exacte même idée à travers notre texte. Il semble que le narrateur soit quelque peu soumis à quelque chose. En effet, nous retrouvons plusieurs interjections impersonnelles comme « On nous dit de » (26), « Je ne pus m’empêcher de »(29) « devait » « On s’assit » (33). Il s’agit ici soit d’ordres, soit de mouvement de groupe dans lequel le narrateur n’a pas de liberté. Il est soumis à l’intrigue de son propre rêve et à la ronde. Nous serons amenés à analyser la symbolique de la ronde. Concentrons-nous pour finir sur les couleurs et éléments qui rappellent cette dimension onirique. Dans la dernière partie du texte, nous retrouvons une recrudescence d’éléments liés aux songes. Notons la présence de l’ombre et de la lune : « l'ombre descendait des grands arbres » l.44 « le clair de lune naissant ». Ces deux éléments renvoient au monde de la nuit, et donc du songe. Les couleurs quant à elles sont à l’image du rêve. Elles sont plus douces, au contraire des couleurs du début du texte. Une transparence et un certain éclat se dégage de ces couleurs : « faibles vapeurs condensées » l51, « clair de lune naissant »(l.44, « l’ombre » l43, les « flocons » l52, « feuilles lustrées »(l58), « rayons pâles de la lune »(59). Toutes ces couleurs renvoient au ciel : la « vapeur », la « lune », les « flocons ». Ces termes vont donc de concert avec le terme de « paradis » l53, qui incarne le rêve à proprement parler. Le « paradis » est un lieu issu de l’imagination, du rêve. Il est donc la représentation même de cette dimension onirique. Ainsi, ne serait-ce que dans la description du cadre, Nerval traduit parfaitement cette ambivalence entre le souvenir concret et le songe, qui résultent de cette « demi-somnolence ». Il s’agira désormais d’observer en quoi les personnages de Sylvie et d’Adrienne symbolisent cette oscillation entre réalité et rêve.

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