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Les Yeux des pauvres, Baudelaire, analyse linéraire

Commentaire de texte : Les Yeux des pauvres, Baudelaire, analyse linéraire. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  22 Mars 2021  •  Commentaire de texte  •  3 033 Mots (13 Pages)  •  5 181 Vues

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Cet extrait est tiré du poème « Les Yeux des pauvres » qui paraît dans le recueil baudelairien Le Spleen de Paris, paru en 1869. Même si le poème ne fut pas signé dans la Vie parisienne de Louis Marcelin, Baudelaire souhaite faire acquérir à ce poème sa légitimité. Il écrit dans une première lettre destinée à sa mère vouloir « produire un ouvrage singulier, où [il associera] la tendresse avec la haine »*. Dans une seconde désormais destinée à Sainte-Beuve, il dit vivre une « excitation bizarre qui a besoin de spectacles, de foules »*. Dans un esprit de vaporisation, Baudelaire va flâner dans les rues et analyser des situations banales, puis dans un esprit de concentration, il va essayer de « capter l’étrangeté du quotidien et ses paradoxes »* et les intégrer dans son recueil sous forme de poèmes en prose. Comme choix de villes énormes, il va évidemment favoriser la capitale parisienne, qui va devenir son thème de prédilection et dans les rues de laquelle vont se dérouler des scènes « qui révèlent l’obscène avec une espèce d’ingénuité, situations paradoxales, souvent insupportables, où se rencontrent dans le conflit de vivre les individus sociaux »*. En effet, Baudelaire, à travers ce poème, rapporte l’anecdote d’une rencontre banale et quotidienne entre un couple de bourgeois amoureux, assis sur la terrasse d’un café nouveau dans les boulevards parisiens, et une famille de pauvres, prenant l’air du soir. Cet « affrontement » muet et l’unique prise de conscience de la part du narrateur face à la misère ouvrière débouche sur une rupture du couple, dont l’idéal amoureux n’est pas commun.

Comment le poème, d’abord analytique et prosaïque, puis pathétique, ironique et paradoxal, mène-t-il la simple anecdote de la rencontre avec une famille d’yeux à la séparation amoureuse du narrateur et de son amante par la différence du regard, alors qu’il est plongé dans un silence absolu ?

Le passage commence par un dispositif théâtral semblable à une scène d’exposition, qui permet au lecteur d’imaginer la situation à travers les yeux du narrateur et qui constitue un premier moment du texte (l.1 à 10). Il est caractérisé par l’étonnement et l’admiration d’une famille devant le café nouveau. Dans un second temps du texte (l.11 à 18), la famille qui contemplait le bâtiment devient l’objet du regard porté. Le champ lexical du regard monopolise le mouvement entier. Les yeux des pauvres, aussi titre du poème, sont interprétés par le narrateur, qui leur fait porter un discours sur l’exclusion sociale et économique. Le troisième mouvement (l. 19 à fin) est caractérisé par la rupture du couple, dont l’union des pensées et de l’âme n’est qu’une vision idéaliste. Le poème se clôt par une phrase identique à celle d’une fable, qui contient une morale.

D’abord, dans le premier mouvement, la scène s’ouvre sur une analyse scénique

(« Droit devant nous ») qui plonge le lecteur immédiatement dans l’espace de la scène, mais aussi dans le regard du narrateur par le pronom personnel « nous ». Ce pronom indique une proximité et unité, d’abord entre les pauvres et le poète, puis entre le lecteur et le narrateur. Il s’en suit une seconde indication de lieu (« sur la chaussée »), car Baudelaire donne un sens moderne de la ville, en favorisant les emblèmes post-haussmanniens, donc après la Restauration, comme les boulevards et les grandes brasseries. Ces lieux inachevés s’ouvrent sur Paris et servent d’espaces publics pour les personnes ayant réussies socialement.

A l’effet analytique vient s’ajouter un aspect anecdotique, renforcé par l’emploi de l’imparfait et du plus-que-parfait (« était planté »), qui a une valeur d’accompli et exprime une antériorité. L’utilisation du verbe « planter » suggère un langage familier lorsqu’on parle d’ « un brave homme ». Le lecteur est surpris, car il s’attend à une chose plantée et non à un homme objectivé. Il s’ouvre deux formes d’interprétations : soit l’homme est planté tel un arbre, tel qu’il est immobile, soit il est planté comme s’il s’était perdu dans son sens de l’orientation. Les deux interprétations trouvent leur légitimité, car l’homme est « frappé » par la beauté du café nouveau et il se trouve sur un boulevard destiné aux riches gens, alors que lui est pauvre. La familiarité se manifeste aussi par la liaison article-adjectif-nom, surtout avec l’adjectif mélioratif « brave » qui indique un regard bienveillant du poète envers l’homme. L’inconnu « brave » est caractérisé au fil du poème par une accumulation d’éléments descriptifs comme « d’une quarantaine d’années », « au visage fatigué » et « à la barbe grisonnante ». Baudelaire présente l’homme au travers du vocabulaire de la vieillesse et de l’épuisement physique et moral, qui témoignent de l’appartenance à la classe ouvrière de l’homme. Alors qu’il était principalement caractérisé de « brave », la tendance se renverse, et l’homme est désormais décrit par un terme dépréciatif, car il est « fatigué ». Cette fatigue est probablement due suite à une lassitude et un effort physique ou morale. Non seulement, il y a une dégradation de la condition de cet homme, mais encore des individus par le passage de l’ « homme » au « petit garçon », puis à « un petit être ». Cette diminution montre l’importance minime de cette famille dans la société, presque inexistante. L’action de l’individu se résout aussi aux métonymies de sa « main » et de son « bras », qui portent ou accompagnent les enfants. Les enfants sont décrits de manière minimaliste et qualifiés par l’adjectif « petit », aussi bien de la taille que de l’impact sociétal et de l’importance qu’ils ont face aux énormes boulevards qui s’allongent devant eux. L’adjectif « faible », précédé de l’intensif « trop », renforce l’image d’une famille ouvrière, pauvre et épuisée, faible économiquement et physiquement, parce qu’elle doit travailler pour survivre. Mais, l’enfant est surtout trop jeune pour pouvoir marcher indépendamment.

La fatigue de cet homme s’explique par son activité professionnelle, car il « remplissait l’office de bonne et faisait prendre à ses enfants l’air du soir ». Par la périphrase, l’homme errant et rôdant dans le milieu parisien et bourgeois acquiert une légitimité, parce qu’il a comme fonction d’être un « employé de maison » dans les maisons bourgeoises. Cette charge étant principalement accordée aux femmes, l’homme a hypothétiquement perdu la sienne pour quelconques raisons, probablement de pauvreté. En temps que père de famille, il doit s’occuper de ses propres enfants après

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