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Est-il Juste De Penser, Comme Le Dit Éluard, Que Les Poètes "parlent Pour Tous" ?

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Par   •  15 Mai 2013  •  3 883 Mots (16 Pages)  •  1 560 Vues

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La figuralité [ce qui renvoie à l'imaginaire] de la poésie a souvent été mise en débat. C'est ainsi que Paul Éluard revendique au contraire sa littéralité [ce qui est conforme à la vérité], seule apte d'après lui à rendre compte de la réalité concrète du monde. Dans une conférence prononcée à Londres le 24 juin 1936 à l'occasion de l'exposition internationale du Surréalisme, l'auteur n'hésite pas à prendre ses distances avec nombre de ses contemporains en stigmatisant, au nom de l'"évidence poétique", toute représentation par trop élitiste ou individualisante de la poésie : "les poètes, écrit-il, sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n'ont plus de dieux". Cette conception particulière de l'engagement que défend Éluard passe donc par la volonté de toucher le lecteur dans son expérience la plus concrète et la plus universelle : comme il l'affirme plus loin, les poètes "ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse [...], ils ont maintenant l'assurance de parler pour tous."

[Annonce du plan]

Prononcé dans un contexte de crise internationale grave marqué par la Guerre d'Espagne, le Front populaire, la montée des fascismes, le discours de Paul Éluard se justifie d'abord par la nécessité de confronter la poésie aux réalités concrètes [Thèse]. Cependant, les poètes ne parlent-ils que pour tous ? Si nul n'oserait récuser la pertinence d'un tel jugement, il convient cependant de le nuancer au nom d'une autre "évidence poétique" qui a toute sa légitimité : l'énonciation lyrique, par définition individualisante, n'est-elle pas à la base même de la poésie ? On ne saurait négliger l'état affectif que provoque l'écriture d'un poème, et qui s'inscrit dans le moi le plus intime de chacune et chacun d'entre nous. [antithèse]. Cela dit, faut-il s'en tenir à ce dualisme quelque peu réducteur ? Le but ultime de la poésie n'est-il pas d'ouvrir au monde des signes et du déchiffrement ? N'est-ce pas dans sa singularité même que le langage poétique est le plus universel ? [synthèse]

[Première partie. Thèse. Les poètes parlent pour tous : confrontation entre la poésie et les réalités concrètes]

[1-1 : la poésie n'est pas un but en soi mais un moyen]

Dans la perspective éluardienne de l'engagement, il y a en premier lieu la quête de l'existant : de fait, le poète appartient à l'histoire, à la société, aux idéologies. Son chant est par définition universel : il "parle pour tous". Comme l'écrivait Juan Carlos Baeza Soto à propos du poète espagnol Emilio Prados, "l'essentiel de la poésie engagée réside alors dans l'action avec la réalité et dans la relégation au second plan de la voix individuelle, sinon, le poète se séparerait de la réalité." Ce contact avec la réalité physique et matérielle rend le poète infiniment présent au monde qui l'entoure. On pourrait citer ici ces vers célèbres d'Hugo dans "Fonction du poète" qui condamnent explicitement le retranchement dans l'individualisme :

Malheur à qui dit à ses frères :

Je retourne dans le désert !

Malheur à qui prend ses sandales

Quand les haines et les scandales

Tourmentent le peuple agité !

Honte au penseur qui se mutile

Et s'en va, chanteur inutile,

Par la porte de la cité !

Ce réquisitoire sans appel contre l'art pour l'art est à la base même de toute poésie engagée. En libérant les hommes de la fiction, les poètes engagés les forcent ainsi à s'interroger sur la légitimité de la parole poétique. S'il fut reproché aux Romantiques, à juste titre souvent, de se couper du réel en privilégiant le moi, c'est que pour eux, la poésie n'était pas un vecteur à l'action collective. Par opposition, le propre du poète engagé est de transformer sa révolte individuelle en révolte collective et en lutte politique. Comment ne pas citer ici "Les dernières paroles du poète" de René Daumal :

Aux armes ! À vos fourches, à vos couteaux,

à vos cailloux, à vos marteaux

vous êtes mille, vous êtes forts,

délivrez-vous, délivrez-moi !

je veux vivre, vivez avec moi !

tuez à coups de faux, tuez à coups de pierre !

Faites que je vive et moi, je vous ferai retrouver la parole !

Comme nous le voyons, l'engagement n'est pas inconciliable avec l'émotion la plus profonde. Mais c'est une émotion plus proche du cri que du chant lyrique qui transparaît ici : nul gémissement déploratif, nul épanchement pathétique, mais la force de l'Appel, dépouillé de toute emphase. Si René Daumal a parfois pris ses distances avec la poésie, c'est qu'elle lui semblait trop souvent subordonner la quête collective à l'illusion et au leurre de l'introspection. Faire du lyrisme, n'est-ce pas en quelque sorte "s'écouter parler" ? Dès lors, comment pourrait-il constituer le mode privilégié d'action pour revendiquer la liberté ou plaider pour une cause collective ?

[1-2 : la nécessité d'un langage accessible à tous]

A l'opposé du lyrisme qui se réfugierait souvent dans l'artifice, la poésie doit donc exprimer les sentiments humains par un langage compris de tous. Car c'est bien là que réside son enjeu : comment les masses pourraient-elles percevoir le message s'il ne lui est pas donné d'être accessible ? Prenons pour exemple la poésie symboliste : avant tout "élitiste", elle aboutira immanquablement au culte du moi, comme le suggère très bien cette sentence sans appel de Mallarmé : "Que les masses lisent la morale, mais de grâce ne leur donnez pas notre poésie à gâter"

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