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Diderot et le romantisme

Dissertation : Diderot et le romantisme. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Avril 2018  •  Dissertation  •  8 744 Mots (35 Pages)  •  1 467 Vues

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Caroline Celle

Le drame bourgeois : influence et limites des théories de Diderot sur le drame romantique (Chatterton, de Vigny)

Master Mondes Anciens, séminaire de littérature du XVIIIe

   Ecrit en 1757 et joué bien plus-tard, en 1771, Le Fils naturel, pièce qui met en pratique les théories de Diderot sur une nouvelle forme de théâtre, n'a pas vraiment à l'époque le succès escompté. Cette claque de la réception publique va longtemps poursuivre le dramaturge et classer son oeuvre théâtrale au rang des théories de l'échec, le diluant dans l'histoire des mouvements littéraires quelque part entre le théâtre classique et le drame romantique. Diderot, c'est pourtant un des grands hommes du siècle des Lumières, un homme qui incarne le siècle du renouveau de la pensée sous toutes ses formes parce qu'il est lui-même un intellectuel complet. Celui qui est du reste l'un des auteurs de l'Encyclopédie s'affirme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, aux prémisses de la Révolution, comme philosophe, savant, mais aussi critique d'art et dramaturge. Le théâtre s'inscrit bien dans la pensée logique de Diderot en ce qu'il doit désormais rompre avec un théâtre désuet, inadapté à une société contemporaine en grande évolution et faire réfléchir le spectateur sans se contenter de le divertir. Partant de ces principes, il est donc d'ores et déjà potentiellement considéré comme le précurseur français du drame, et de ce fait, précurseur de toutes les formes de drame qui suivront. Avec la mise en pratique, Diderot théorise bien-sûr ce concept de drame sous la forme de drame bourgeois par la suite de la pièce du Fils naturel et ses Entretiens, mais aussi par un essai majeur, la Poésie dramatique. Cependant, de même qu'il ne connaîtra pas la Révolution, il ne connaîtra pas l'influence de ses théories. On connaît peu la Poésie dramatique de Denis Diderot, écrasée par la légendaire Préface de Cromwell de Victor Hugo et le théâtre du drame romantique. Mouvement littéraire de la première moitié du XIXe siècle, il met particulièrement l'accent sur le théâtre comme forme idéale pour mêler lyrisme (expression des émotions personnelles), engagement et liberté artistique et connaîtra davantage de retentissement. Et pourtant, bien que cette forme dramatique qui nous intéresse, le drame romantique, se veuille comme un mouvement en rupture très nette avec ses prédecesseurs, un mouvement novateur, avant-gardiste, les romantiques n'ont certainement pas tout inventé et reprennent des bases déjà exprimées par leur prédecesseur un siècle plus tôt. Le mélange des genres, la licence dans le théâtre, le pathétique qui succède à un tragique devenu inadapté sont autant d'éléments qui font de Diderot et de ses théories le véritable pionnier d'une révolution théâtrale. Acteur clé de la dramaturgie, il va fortement influencer le drame romantique, c'est pourquoi nous nous proposerons d'étudier l'étendue de l'influence de ses théories sur ce genre théâtral. Nous verrons ensuite l'étroitesse de ces liens par l'intermédiaire de la pièce de Chatterton, d'Alfred de Vigny. Ce drame constitué en trois actes et écrit en prose est écrit par l'écrivain, poète et dramaturge romantique en 1835 et va connaître, à l'inverse du Fils naturel, un vif succès auprès du public. C'est l'histoire d'un jeune poète anglais qui mène une vie misérable dans la pension d'un riche bourgeois avide et vil. Au fil de l'intrigue, le poète, personnage éponyme, va se laisser conduire vers la mort dans une dramatisation croissante, tiraillé entre bourreaux et victimes, comme lui, de la société. Mais Chatterton, c'est aussi un drame romantique, genre considéré comme un véritable mouvement littéraire puisqu'il existe par lui-même et prône la rupture avec la tradition littéraire. Il ne saurait alors être en parfaite harmonie avec le drame bourgeois, cherchant à le remettre en question et à le dépasser, et dans cette optique, nous tâcherons enfin de comprendre les limites de l'apport de Diderot au drame romantique, les échecs de son influence.  

  Le drame romantique s'inscrit avant tout dans le sillage du drame bourgeois théorisé et mis en pratique par Diderot, en ce qu'il s'agit de la construction d'une forme de tragédie moderne, d'une rupture avec la tradition austère et distante de la tragédie aristotélicienne. En effet, selon Diderot, cette forme de théâtre définie selon les principes sévères d'Aristote a fait son temps. Il convient désormais de mélanger les genres, les conditions sociales et d'appeler les spectateurs à une véritable prise de conscience; or nous retrouvons ces aspérités au sein du drame romantique.

  Ce mélange des genres est d'abord une initiative révolutionnaire de la part de Diderot. L'idée est de créer l'intervalle entre comédie et tragédie, de les rassembler en une seul genre, le drame ou "genre sérieux". Si certains de ses prédecesseurs avaient déjà tenté ce rapprochement, avec la comédie larmoyante chez Nivelle de la Chaussée notamment ou l'introduction théorique d'une nouvelle catégorie esthétique du sérieux par Fontenelle, Diderot est le premier à donner à la fois une véritable théorie du drame et de ce mélange des genres et à la mettre en acte. Il s'agit d'un théâtre visionnaire au même titre que le théâtre romantique pour lequel le mélange des genres est fondamental, l'idée étant de porter le théâtre à son état de perfection, de réunir la tragédie et la comédie qui, séparément, ne seraient que des ébauches de l'idéal théâtral. Diderot, cependant, ne considère encore que l'aspect esthétique du mélange de la comédie et de la tragédie et se refuse à introduire une forme de bouffonerie, à l'image des comédies moliéresques, dans le drame bourgeois, considéré comme sérieux sur le fond et comique par sa forme et le positivisme de ses caractères qui reviennent toujours à la vertu et connaissent une fin heureuse. Ainsi, le ton est familier et les personnages sont de simples bourgeois qui évoluent dans un monde plus modeste que celui de la tragédie, un monde domestique avec une maison pour décor, et pourtant ces bourgeois vivent un bouleversement familial aux forts accents de tragique. Le dilemme de Dorval dans Le Fils naturel l'illustre parfaitement bien puisque l'amour incestueux du personnage pour sa soeur Rosalie et l'impossibilité de son aveu nous font indubitablement penser à l'amour que porte Phèdre à son beau-fils Hippolyte chez le tragique Racine.  Dans cette optique de mélange des genres, les romantiques iront plus loin en mêlant le grotesque et le sublime, le laid, comique et le beau, tragique dans le but de montrer l'homme tout entier, authentique. Hugo n'hésite donc pas à opposer la dignité magnifique du personnage éponyme de Ruy Blas à la grossièreté hilarante de Don César, et Vigny à jeter le tendre et noble poète Chatterton face à ses grotesques "amis", une bande de lords éméchés et plaisantins. La confrontation de la vertu et du vice peut être aussi individuelle, ce qui se retrouve dans le drame bourgeois de Diderot comme dans le drame romantique de Vigny. Ainsi Dorval est-il déchiré entre l'envie de partager son amour incestueux avec Rosalie, au risque de briser le coeur de son ami auquel elle est fiancée, et sa bonne conscience. Ainsi Chatterton est-il tiraillé entre l'envie, jugée criminelle et égoïste par le Quaker, de se donner la mort et la volonté de faire le bonheur de Kitty Bell en se résignant à vivre.  Le même dessein se retrouve donc dans la conception du drame bourgeois et dans celle du drame romantique, car il faut mêler la vertu et le vice, la légèreté à l'affreux et surtout, se débarrasser de la rhétorique ampoulée, des gestes engoncés des personnages de tragédie qui n'apportent aucune sincérité au théâtre et sont jugés désuets par Diderot. Ainsi, dans le Paradoxe du comédien, l'un des interlocuteurs n'hésite pas à remettre en cause de manière virulente le théâtre des Anciens sur la question de la tonalité du langage : "C'est peut-être que Racine ou Corneille, tous grands hommes qu'ils étaient, n'ont rien fait qui vaille." La pensée subversive de Diderot se cacherait-elle derrière cet interlocuteur fictif ?

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