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Jacques Le Fataliste, Diderot

Dissertation : Jacques Le Fataliste, Diderot. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Avril 2012  •  1 571 Mots (7 Pages)  •  1 620 Vues

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Diderot : Jacques le fataliste

Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.

LE MAÎTRE: C'est un grand mot que cela.

JACQUES: Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d'un fusil avait son billet.

LE MAÎTRE: Et il avait raison... Après une courte pause, Jacques s'écria: Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret!

LE MAÎTRE: Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n'est pas chrétien.

JACQUES: C'est que, tandis que je m'enivre de son mauvais vin, j'oublie de mener nos chevaux à l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit; il se fâche. Je hoche de la tête; il prend un bâton et m'en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy; de dépit je m'enrôle. Nous arrivons; la bataille se donne.

LE MAÎTRE: Et tu reçois la balle à ton adresse.

JACQUES: Vous l'avez deviné; un coup de feu au genou; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.

LE MAÎTRE: Tu as donc été amoureux ?

JACQUES: Si je l'ai été!

LE MAÎTRE: Et cela par un coup de feu ?

JACQUES: Par un coup de feu.

LE MAÎTRE: Tu ne m'en as jamais dit un mot.

JACQUES: Je le crois bien.

LE MAÎTRE: Et pourquoi cela ?

JACQUES: C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.

LE MAÎTRE: Et le moment d'apprendre ces amours est-il venu ?

JACQUES: Qui le sait ?

LE MAÎTRE: A tout hasard, commence toujours...

Jacques commença l'histoire de ses amours. C'était l'après-dîner: il faisait un temps lourd; son maître s'endormit. La nuit les surprit au milieu des champs; les voilà fourvoyés. Voilà le maître dans une colère terrible et tombant à grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup: "Celui-là était apparemment encore écrit là-haut..." Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait.

Qu'est-ce qui m'empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d'embarquer Jacques pour les îles ? d'y conduire son maître ? de les ramener tous les deux en France sur le même vaisseau ? Qu'il est facile de faire des contes! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai.

Lecture méthodique de cet incipit

Avec cette ouverture d'un roman atypique, on étudiera successivement deux thèmes antithétiques :

- d'une part la façon dont l'auteur s'y prend pour dénoncer l'illusion réaliste que veulent créer les romanciers ; on étudiera ainsi la façon dont Diderot s'amuse à démonter les mécanismes du récit, tout en en créant un, plus original ;

- d'autre part, on décèlera l'idée philosophique du fatalisme, grave au contraire, qui se profile derrière le cadre du récit.

Thème 1 ludique :

Les premières lignes, sous forme de questions adressées au narrateur concernant ses personnages, questions auxquelles il répond par des platitudes du type "Par hasard, comme tout le monde", "Du lieu le plus prochain" ou ne répond pas en répondant par une nouvelle question : "Que vous importe ?", "Est-ce que l'on sait où l'on va ?" sont totalement atypiques dans la tradition narrative du XVIIIè siècle. Le ton est celui de la provocation amusée.

On a l'impression que le narrateur se moque du lecteur en voulant le désintéresser du comportement de ses personnages soit par leur vide "Le maître ne disait rien", soit par un emboîtement de parole au style indirect qui rend la lecture pénible : "et Jacques disait que son capitaine disait que…"

Cette moquerie aboutira à la fin de notre extrait à l'interruption de l'histoire commencée par le narrateur, qui affirme sa création artificielle et sa totale liberté, sans aucun souci de vérité par rapport à la réalité de l'histoire vécue : "Vous voyez, lecteur,

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