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Commentaire sur La Peau de Chagrin de Balzac

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Par   •  8 Février 2023  •  Commentaire d'oeuvre  •  6 572 Mots (27 Pages)  •  2 501 Vues

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Balzac, La Peau de chagrin, texte n°1

Le portrait de Raphaël

Au premier coup d’œil les joueurs lurent sur le visage du novice quelque horrible mystère : ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse, son regard attestait des efforts trahis, mille espérances trompées ! La morne impassibilité du suicide donnait à son front une pâleur mate et maladive, un sourire amer dessinait de légers plis dans les coins de sa bouche, et sa physionomie exprimait une résignation qui faisait mal à voir. Quelque secret génie scintillait au fond de ses yeux, voilés peut-être par les fatigues du plaisir. Était-ce la débauche qui marquait de son sale cachet cette noble figure jadis pure et brûlante, maintenant dégradée ? Les médecins auraient sans doute attribué à des lésions au cœur ou à la poitrine le cercle jaune qui encadrait les paupières, et la rougeur qui marquait les joues, tandis que les poètes eussent voulu reconnaître à ces signes les ravages de la science, les traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse.

Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude et le génie, altéraient cette jeune tête, contractaient ces muscles vivaces, tordaient ce cœur qu’avaient seulement effleuré les orgies, l’étude et la maladie. Comme, lorsqu’un célèbre criminel arrive au bagne, les condamnés l’accueillent avec respect, ainsi tous ces démons humains, experts en tortures, saluèrent une douleur inouïe, une blessure profonde que sondait leur regard, et reconnurent un de leurs princes à la majesté de sa muette ironie, à l’élégante misère de ses vêtements.

Introduction

Accroche

Dans ses Confessions d’un Enfant du Siècle, Musset décrit la génération romantique de 1830, tourmentée par ce qu’il appelle, « le mal du siècle » : « La maladie du siècle présent vient de deux causes [...] : tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore. »

Alfred de Musset, La Confession d’un Enfant du Siècle, 1836.

Or c’est exactement ce qu’on retrouve au début de la Peau de Chagrin : un jeune homme de 1830, à la croisée des chemins, écrasé par un passé trop lourd et désespéré par un avenir funeste.

Situation

Dans les premières pages Raphaël entre dans une maison de jeu, les autres joueurs le dévisagent. Par une série d’indices cachés, ce portrait révèle déjà la suite du roman : le destin tragique du personnage.

Raphaël nous apparaît déjà comme un personnage d’exception, animé par un inquiétant mystère.

Problématique

Comment ce portrait du jeune inconnu nous donne dès le début les principales pistes de compréhension du roman, tout en préservant un mystère qui nous invite à poursuivre la lecture ?

Mouvements

• Le premier mouvement est un premier coup d’œil qui annonce déjà la suite du récit : espérances trompées, résignation.

• Le deuxième mouvement se concentre sur le génie mystérieux de Raphaël, qui semble tout droit sorti d’une lampe.

• Le troisième mouvement lève en partie le voile sur ce qui fait de Raphaël un être d’exception au destin tragique.

Premier mouvement :

Un portrait programmatique

Raphaël est d’abord un peu comme un livre ouvert, où les joueurs essayent de « lire » un mystère. Ce verbe « lire » est au passé simple, c’est l’action de premier plan, qui déclenche ensuite tous les verbes à l’imparfait pour le portrait de Raphaël.

Ces « traits du visage » sont d’ailleurs peut-être l’équivalent des lignes d’écriture qui se trouvent sous nos « yeux » : le lecteur est pour ainsi dire mis à la place des joueurs qui assistent à l’entrée de Raphaël dans l’établissement.

Les procédés de focalisation sont particulièrement subtils chez Balzac, parce que le narrateur ne dit jamais tout ce qu’il sait. Ici par exemple, la focalisation est externe : nous n’avons pas accès aux pensées des personnages. Et pourtant, tout ce que nous percevons nous donne des indices sur leur subjectivité. « Curiosité » et « horreur » des joueurs, déception des « espérances », « amertume », « résignation » du jeune homme.

Mais cela va plus loin : en fait, tout le roman est déjà programmé dans ce portrait. On découvre ce personnage à la fin de sa vie : résolu à se « suicider ». Au théâtre, on parle souvent de début in medias res* (au milieu de l’action), qui tend même ici vers la fin de l’action : s’il se suicide, c’est la fin de l’histoire ! Donc, tout l’enjeu de ce début de roman sera : que va-t-il se passer après, et que s’est-il passé avant ?

On découvre alors un véritable triptyque* (un tableau en trois volets) : le premier chapitre laisse le suicide en suspens. Le deuxième chapitre constitue logiquement une analepse* : un retour dans le passé. On va comprendre comment « mille espérances trompées » le conduisent à une telle décision. Et enfin, le troisième chapitre du roman confirme sans surprise que la mort de Raphaël n’était en fait que retardée.

Ces « mille espérances trompées » préparent déjà les Illusions perdues, tous ces obstacles que la société du XIXe siècle mettent sur le chemin des individus, et les empêchent de s’accomplir réellement, les conduisant soit au cynisme, soit au suicide. Pour Balzac, ces déceptions qui se succèdent sont « les mille et une nuits de l’Occident », comme il le dira lui-même dans une célèbre lettre à Mme Hanska dans laquelle Balzac définit son projet de La Comédie humaine – dont il annonce pour la première fois le plan général – par cette périphrase.

Ce qui est frappant ici, c’est que Raphaël n’a pas encore la peau de chagrin, mais il est déjà pris dans une logique d’épuisement de son énergie vitale : la « pâleur mate et maladive » est la même qui annoncera sa phtisie (tuberculose) à la fin du roman. La question de la fatalité est donc bien présente ici : est-ce que la fin de Raphaël était inéluctable ?

Il est toujours intéressant de chercher à quel moment on bascule dans le tragique. Ici, la décision du « suicide », cette fameuse « résignation » guide le portrait, parce que c’est ce qui marque le plus mentalement et physiquement le personnage, le moment où il signe véritablement son pacte avec la mort.

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