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Commentaire composé sur "Rhinocéros" d'Eugène Ionesco

Commentaire d'oeuvre : Commentaire composé sur "Rhinocéros" d'Eugène Ionesco. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  3 Février 2023  •  Commentaire d'oeuvre  •  3 490 Mots (14 Pages)  •  173 Vues

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Né en Roumanie d’une mère française, Eugène Ionesco s’est installé définitivement en France, au début de la seconde guerre mondiale pour fuir le fascisme. Après l’échec de ses premières créations très innovantes comme La Cantatrice Chauve, La Leçon ou Les Chaises, reconnues aujourd’hui comme des chefs d’œuvre du théâtre de l’absurde, il triomphe en 1960 avec la pièce en trois actes Rhinocéros. Dans cette comédie, Ionesco entend montrer comment les hommes peuvent basculer facilement dans la monstruosité en renonçant à leur liberté et à leur individualité. Il critique notamment certains intellectuels de son temps tentés par les communautarismes et les dictatures, les défenseurs d’un nouvel humanisme, alors que pour lui, comme il l’écrit dans ses Notes, « ils ne font que propager les rhinocérites et ne font que soutenir des hystéries collectives dont les peuples entiers deviennent périodiquement la proie ». Dans cet avant-avant dernier tableau de l’acte III, Dudard, un collègue juriste très instruit, vient trouver Bérenger, le personnage principal, un employé alcoolique, ulcéré par la transformation de son ami Jean en rhinocéros. Bérenger, dont le lieu de travail a été détruit par un autre rhinocéros, se claquemure chez lui dans l’espoir d’échapper à la contagion galopante. Deux visions s’opposent dans ce passage : pour Bérenger, le monde court à sa perte et l’homme est en train de disparaître ; pour Dudard, il ne s’agit que de simples transformations inoffensives et justifiées. Nous allons nous demander comment Ionesco montre que les élites incarnées notamment par Dudard, loin d’être un rempart contre la folie collective, l’encouragent et laissent seul et faible un homme pourtant convaincu de la nécessité de résister à la disparition de l’humanité. Nous nous intéresserons d’abord au décalage comique entre les deux personnages dans ce faux huis-clos, avant de voir que cette discussion déséquilibrée ne peut qu’aboutir à une impasse et que le dramaturge cherche surtout à faire ressortir la solitude tragique de son personnage principal face à l’impuissance du langage rationnel dans un monde en cours de déshumanisation.

En pleine épidémie de « rhinocérite », dans une chambre avec deux fenêtres, qui pourrait être un lieu clos mais qui ne l’est pas, Ionesco tire des effets comiques des réactions divergentes de Bérenger et de Dudard.

Tout d’abord, Ionesco a choisi ce lieu pour montrer que Bérenger veut se protéger, en s’enfermant chez lui, des métamorphoses en rhinocéros qui gagnent peu à peu ses semblables. Ce personnage ne quitte plus sa chambre depuis la transformation de son ami Jean et la destruction de son lieu de travail par un rhinocéros. Dudard, un collègue de travail, vient prendre de ses nouvelles.  Contre toute attente, Bérenger ne reste pas en place et déambule sans cesse d’une fenêtre à l’autre, puisqu’il s’agit d’une chambre qui donne sur deux rues. Bérenger n’est ni prostré ni terré ; il ouvre même paradoxalement les fenêtres pour faire entrer le bruit assourdissant des cavalcades dans son intérieur alors qu’il devrait plutôt se boucher les oreilles. A l’opposé, son collègue Dudard, qui vient de l’extérieur, est moins enclin à bouger ; il reste la plupart du temps assis dans un fauteuil, ce qui est le comportement normal et poli pour lui d’un visiteur. Il ne semble pas gêné par les bruits de sabots et il ne se lève qu’une fois pour aller à la fenêtre, poussé sans doute par la curiosité, lorsque Bérenger lui annonce à grands cris que le Logicien, un homme de science, son homologue, s’est transformé lui aussi en rhinocéros. Notre passage se termine notamment sur un Dudard assis de nouveau dans un fauteuil, un Dudard rêveur, qui compare en aparté et presque avec envie les rhinocéros à « de grands enfants » (l.60) qui jouent à cache-cache en tournant autour de la maison. On a une opposition comique entre l’attitude énervée de Bérenger qui ne cesse d’aller et venir, comme l’indiquent les didascalies, et la sérénité imperturbable, à la limite de l’apathie, de Dudard.

Ionesco nous présente donc deux personnages aux comportements opposés tant par les gestes que par la voix.

Bérenger ressemble par certains côtés à un fou furieux qui ne veut pas lâcher prise et qui se cherche des alliés pour résister tandis que Dudard se rapproche par son calme olympien de la figure d’un intellectuel de plus en plus attiré par l’exemple commun. Au début, le spectateur ne peut que reconnaître que Bérenger cède à la panique et que Dudard a raison de signaler qu’il est hors de lui à la ligne 1, constat renforcé par la didascalie « affolé » pour l’acteur qui incarne Bérenger. Bérenger devient sans conteste violent tant en paroles qu’en actes, même s’il est conscient de la nécessité de retrouver son calme pour échapper à l’animalisation et essayer de « ne pas devenir comme Jean », une brute. Il recourt ainsi très souvent aux insultes et aux phrases exclamatives brèves ou aux monosyllabes qui sont des cris de colère comme « Assez ! Assez ! Salauds ! » (l.29) qui font suite à un autre groupe ternaire « Encore eux ! Ah ! ça n’en finira pas ! ». Il lâche par deux fois l’expression ordurière « Salauds !» (l.29 et 34) en regardant par la fenêtre ceux qui ont renoncé à leur condition d’homme. Il laisse aussi échapper un « Mille fois merde » (l.40), lorsqu’il comprend que le Logicien est devenu rhinocéros. Dudard est d’ailleurs choqué par la grossièreté de Bérenger quand il lui rappelle que « ce n’est pas une raison pour être grossier » (l.41) ou qu’il l’invite à être « plus poli » (l.34). Les didascalies soulignent à plusieurs reprises que Bérenger crie très fort pour se faire entendre des rhinocéros et qu’il perd son sang-froid (l.53 et 57). Il se laisse tant dominer par la colère qu’il va jusqu’à lever le poing en direction du Logicien devenu rhinocéros. Il ne le montre plus seulement du doigt, comme dans la didascalie de la ligne 44 mais il exprime sa révolte à la ligne 50 lorsqu’il accompagne son geste de la répétition « Je ne vous suivrai pas ! je ne vous suivrai pas ! ». Le langage de Bérenger est vif et saccadé ; il est uniquement constitué de phrases exclamatives minimalistes, pleines de colère ou de désarroi du deuxième tiers du texte jusqu’à la fin (l.24 à 60). Bérenger peut donc apparaître comme ridicule et pitoyable face à un Dudard, maître de ses émotions, à la voix posée, qui pourrait faire figure d’arbitre ou de sage, s’il n’était pas lui-même un personnage impliqué dans la discussion.

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