Le serpent qui danse, Gainsbourg
Commentaire d'oeuvre : Le serpent qui danse, Gainsbourg. Recherche parmi 303 000+ dissertationsPar BlackB.0901 • 16 Octobre 2025 • Commentaire d'oeuvre • 2 713 Mots (11 Pages) • 9 Vues
[pic 1][pic 2]
[pic 3]
« La femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves ».[1] Voici ce que disait le poète Charles Baudelaire, connu pour présenter les différentes formes physiques et psychiques de la femme à travers ses œuvres. Il consacrera notamment la section Spleen et Idéal de son recueil Les Fleurs du Mal à Jeanne Duval, l’une de ses maitresses, qu’il associera à une portée exotique, voire à de l’érotisme, mais aussi à un amour qui lui était tout autant passionnel que source de souffrance. Nous contemplerons alors cette dualité féminine au sein de l’un de ses poèmes les plus représentatifs de cette passion, Le serpent qui danse, évoquant la figure d’une femme envoutante qui suggère à la fois la séduction et le danger. Cela intrigue alors un chanteur français au XXème siècle qui va décider d’en faire une réinterprétation musicale, Serge Gainsbourg. En vérité, quatre poèmes de l’auteur vont être repris par des figures musicales du XXème siècle : Léo Ferré, Jean-Louis Murat, Mylène Farmer et, évidemment, Serge Gainsbourg. Cependant, bien que les deux premiers chanteurs se restreignent davantage par rapport aux textes, qui ont fait scandale à leur publication, Bertrand Guyard dit : « Serge Gainsbourg le maudit, et Mylène Farmer, la poétesse libertine ont approché au plus près son esprit (celui de Charles Baudelaire) en créant des mélodies subversives en adéquation avec la geste baudelairienne qui proclamait au début des Fleurs du Mal ; « C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent ! » ». [2]
Ce devoir va alors porter sur la problématique suivante : Comment Baudelaire et Gainsbourg abordent-ils les thèmes de la sensualité et du désir dans leur vision respective de l’œuvre originelle, et quelles différences ou similitudes peut-on observer dans le traitement qu’ils font de ces thématiques ? Pour cela, nous allons tout d’abord analyser comment Serge Gainsbourg a réussi à retranscrire l’atmosphère mélancolique et érotique du poème de Baudelaire, puis, comment les deux versions de l’œuvre traitent de la transgression des normes sociales et morale liées à l’amour et au désir. Enfin, nous verrons comment le chanteur renouvelle le discours baudelairien sur l’art et la beauté, à travers sa reprise musicale, en restant ancré dans la tradition poétique.
Serge Gainsbourg, en choisissant de reprendre le poème Le serpent qui danse de Charles Baudelaire, cherche à retranscrire son atmosphère mélancolique et érotique. Nous pouvons voir l’aspect mélancolique du poème dès le titre de la partie donnée par le poète : Spleen et Idéal. Le concept de Spleen est alors un concept baudelairien par excellence qui désigne un sentiment de mélancolie profonde, d’ennui ou de désespoir. La seconde valeur, érotique, n’est alors pas éloigné de celle utilisée habituellement pas le chanteur. En effet, Serge Gainsbourg est connu, que ce soit au niveau national mais aussi international, pour ses créations subversives qui tendent sur un style poétique maitrisé et principalement basé sur le double sens. Alors qu’il annoncera tout au long de sa carrière musicale et cinématographique qu’il ne souhait pas intentionnellement évoquer des sujets à scandale comme dans son film Charlotte for ever avec sa fille, il fera pour autant des allusions érotiques voire sexuelles dans ses chansons ainsi que celles qu’il co-chantera avec sa compagne, Jane Birkin. Ce sera notamment le cas avec les chansons Je t’aime… moi non plus et celle qu’il partagera avec France Gall lorsqu’elle sera âgée d’à peine dix-huit ans, Les sucettes. Bien que Charles Baudelaire ne partage pas cet aspect érotique presque dégradant, il s’axe[a] principalement sur l’aspect mélancolique de l’atmosphère, en utilisant la valeur érotique de certains de ses poèmes comme dans Le serpent qui danse pour marquer un sentiment de défiance sociale. Il s’inscrit alors dans une description visuelle et presque graphique de la femme en tant que serpent qui ondule dans un mouvement dansant, la rendant ainsi comme [b]une figure de spectacle aux yeux des hommes. On peut le voir dès le premier vers avec « j’aime voir » qui marque une expression du plaisir, ici visuel avec le verbe aimer lié au verbe de la vision et « chère indolente » qui est une façon d’exprimer une affection amoureuse mais qui en sera la seule marque sur tout le poème. Ainsi, le nom « indolente » oriente la lecture vers un aspect plus charnel du désir[c], qui s’apparente à la personnalité musicale et cinématographique de Serge Gainsbourg dans sa reprise musicale ainsi que dans ses œuvres personnelles. Nous pouvons aussi constater que dès la création du poème, Baudelaire apporte une portée féminine au « serpent » en utilisant une caractérisation au féminin dès le début de son œuvre, ne laissant pas de doute au lecteur quant au destinataire du texte. Par ailleurs, un aspect plus personnel et intime est ajouté au poème dès le deuxième vers avec « de ton corps si beau ». En effet, en utilisant le tutoiement lorsqu’il semble s’adresser à la femme qui semble danser devant nous, Charles Baudelaire souligne l’intimité qu’elle partage avec lui.
« Ne mépriser la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » [3], voici les mots de Charles Baudelaire face à la notion de sensibilité chez autrui. Serge Gainsbourg apporte alors sa propre sensualité au texte originel, notamment par sa voix singulière et langoureuse qui est amenée par un ton plutôt grave et las, se montrant comme un instrument à part entière. Son timbre rauque et presque velouté par moments, associé à sa diction langoureuse, apporte au texte une sensualité qui transcende la musique et rend l’érotisme du texte palpable. Jouant avec les intonations et les silences, il crée cette tension sensuelle que Charles Baudelaire avait tout d’abord initié dans le texte de Le serpent qui danse sans pour autant pouvoir en concevoir une qui touche intrinsèquement chaque auditeur. De plus, sa manière de prononcer les mots, presque chuchoté, et en particulier sur le dernier vers « D’étoiles mon cœur », ajoute une dimension supplémentaire d’intimité à l’interprétation. Là où Baudelaire exposait une intimité singulière entre lui et la femme à laquelle il s’adresse dans le poème, Gainsbourg, lui, adresse cette sensation d’intimité autant à cette même femme, mais aussi aux auditeurs. Il nous plonge ainsi dans une position où le public se sent presque de trop dans l’expression sentimentale et érotique faite par les deux hommes, nous bilocalisant dans une écoute entrainante et obsédante qui nous pousse à continuer notre écoute, mais aussi dans une posture où nous ressentons que la sensualité exprimée ne nous est pas destinée, perturbant quelque peu les auditeurs[d].
...