Analyse de la scène 12 de l'acte II du Père de famille de Diderot
Analyse sectorielle : Analyse de la scène 12 de l'acte II du Père de famille de Diderot. Recherche parmi 303 000+ dissertationsPar lis fide • 28 Novembre 2025 • Analyse sectorielle • 3 063 Mots (13 Pages) • 11 Vues
Durant le XVIIIe siècle, Denis Diderot s’impose comme l’une des grandes figures du mouvement des Lumières. En plus de son rôle de rédacteur de L’Encyclopédie, il se démarque également en cherchant à transformer le théâtre en un instrument moral, qui illustre les vertus mais surtout les épreuves pour être vertueux. Ce nouveau genre est celui du drame bourgeois, qui cherche a instruire tout en émouvant son public aussi bien par le rire que par les pleurs, en représentant des personnages ordinaires faisant face à des dilemmes moraux réalistes.
Le Père de famille, écrit en 1758, illustre pleinement ce projet. Diderot nous présente l’histoire d’une famille bourgeoise, dont le fils, Saint-Albin, un jeune homme, est amoureux de Sophie, une jeune fille sans fortune, et orpheline. Mais le père ainsi que l’oncle, le Commandeur, homme autoritaire, s’opposent à ce mariage jugé indigne. Ce dernier tente d’imposer sa volonté par l’usage d’une lettre de cachet ou décret, pour faire enfermer Sophie et empêcher définitivement ce mariage. Dans un même temps, Saint Albin réfléchit à la possibilité de s’enfuir avec Sophie pour vivre leur amour. Germeuil quand à lui est un ami de la famille, épris de Cécile, la sœur de Saint-Albin. Il se retrouve sans le vouloir impliqué entre les 2 partis et connaît donc à la fois les intentions de Saint-Albin et les manœuvres de l’oncle. Au moment de la scène 12 de l’acte II, Diderot propose ainsi une pause dans l’action pour donner à entendre le conflit intérieur du jeune homme. Le passage dévoile ses pensées intimes, ses hésitations et ses tourments, Germeuil parle tantôt à lui-même, tantôt à des personnages absents. Il nous livre donc davantage un soliloque qu’un monologue pour moi, puisque Germeuil est vraiment dans un état de repli sur lui même même s’il va progressivement changer d’état d’esprit, ce qui rend compliqué la fixation de cette prise de parole dans une catégorie. Je vais donc employer surtout le terme de soliloque qui me semble plus approprié. Celui-ci ne fait pas réellement avancer l’intrigue, mais il y a un but didactique, Diderot cherche à faire réfléchir le spectateur en voyant Germeuil osciller entre impuissance, et réflexion morale. Ce type de scène est fréquent dans les théâtres de la tragédie classique, mais ce qui distingue Diderot, dans ce drame bourgeois, c’est la volonté de mettre en scène des personnages qui nous ressemblent à contrario des héros de l’antiquité qu’on retrouve dans ces pièces classiques. Ainsi on peut également nommer cette pièce « drame domestique », et qui traite donc du cercle familial, auquel tout le monde peut se référer plus aisément.
LECTURE Avant de continuer mon propos, je vais désormais passer à la lecture de l’extrait
dans cette scène nous pouvons nous demander Comment le soliloque de Germeuil allie-t-il émotion et réflexion pour devenir un instrument d’éducation morale et sociale ?
Nous verrons dans un premier temps Le désarroi de Germeuil (l. 1 à 6)
Puis La crainte du déshonneur menant à une dénonciation de la société (l. 6 à 19)
Suivi des lignes 19 à 25 Le désespoir face à l’injustice et dans un dernier temps des lignes 25 à 31 La décision de Germeuil, de la complainte à l’action qui fait triompher la vertu
I.
La scène s'ouvre donc par une exclamation interrogative («Le sort m'en veut-il assez !») il y a un ton dramatique, dès la première phrase Germeuil se pose comme victime d'un destin malheureux, d’une situation inextricable pour lui, qui semble le dépasser. Il nous livre ici l’expression de son désarroi, de son malheur, par cette formule désignant l'adversité au quelle il fait face.
Germeuil poursuit des lignes 2 à 3 par une structure binaire, on a d’une part le neveu qui veut enlever Sophie, et de l’autre l'oncle qui veut l’enfermer, ces 2 volontés étant séparées distinctement par une virgule. Cette opposition installe l'idée d'un double danger et d'une situation paradoxale, Germeuil se trouvant lui au centre du conflit. Il nous résume des évènements déjà connu du spectateur, mais de sorte à nous montrer comment lui est impacté ; il y a une double énonciation, qui n’est pas vraiment un procédé puisqu’au théâtre il y a techniquement toujours une double énonciation, mais dans cet extrait elle est particulièrement visible : on a à la fois Germeuil se parlant à lui même, comme s’il peinait à réaliser ses malheurs et comment s’en sortir, mais dans un même temps une adresse à nous, pour que l’on se rende compte à quel point il est accablé. Cette douleur se ressent aussi par le vocabulaire employé, qui est celui de la violence et de la contrainte («enlever», «faire enfermer»), ce qui annonce également le thème du monologue (ainsi que de la pièce) de la liberté menacée, de la possibilité ou non d’agir comme on le souhaite au vu des convenances sociales.
On observe également après « à la faire enfermer » à la ligne 3 la première aposiopèse, trahissant son émotion et son trouble intérieur.
Cette plainte de Germeuil continue des lignes 4 à 5, il ré-expose sa situation entre les 2 camps par l’emploi du « je », et comment la situation à changé en sa défaveur. Cette impression de piège qui se referme sur lui se ressent avec l’allitération en [k] « Je deviens coup sur coup leur confident et leur complice » qui souligne une sorte de poids. Si au début Germeuil était simplement « confident » donc passif, il est désormais, un « complice » et actif, ce qui signifie qu’il est compris dans l’action, il n’a plus moyen de s’en sortir, il subit l’action et des confidences qui font de lui un complice malgré lui. On retrouve également des points de suspension, rendant visible la confusion morale du personnage, Germeuil pense rapidement, il se corrige lui même, hésite dans la marche à suivre. Dans un même temps, cela permet au spectateur d’entendre la naissance d’une réflexion, et non un discours bien ordonné, ce qui apporte un aspect encore plus réaliste à la scène.
Continuité de la lamentation de Germeuil avec cette phrase exclamative l. 5 « Quelle situation est la mienne ! », le fait que dans sa prise de parole soient enchevêtrées tantôt dans des expositions de l’intrigue et tantôt des plaintes, montre son émotion et sa difficulté à réfléchir, il n’y est pas encore prêt, pour l’instant il se sent juste désolé pour lui même. Cette plainte exprime le dilemme d’un homme ordinaire, et son sentiment d’impuissance qui amène notre pitié.
Diderot cherche à nous faire émouvoir en faisant en sorte que l’on puisse s’identifier à ce personnage bloqué par le devoir, situation à laquelle nous avons tous pu faire face.
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