Le mariage de Figaro, acte V, scène 3

Le mariage de Figaro,

Acte V scène 3

Présentation de l’auteur :

• 1732 : fils d’un horloger parisien, il devient en 1753 horloger du roi. Il rend des services à des financiers et obtient une charge. Il est anobli (1761).
• 1764-7765 : pour des intérêts financiers et pour venger sa sœur il voyage en Espagne
• 1767 : début de sa carrière d’auteur de théâtre avec des pièces sérieuses
• 1773-1774 : un procès qu’il perd le rend célèbre. Il dénonce le rôle de l’argent dans la justice
• 1775 : Le Barbier de Séville. Il effectue des missions secrètes pour le roi, en Angleterre et en Allemagne. Il est chargé de faire parvenir les armes envoyées par la France pour des insurgés d’Amérique.
• 1777 : il crée la Société des autours pour s’opposer aux exigences des comédiens
• 1784 : Le Mariage de Figaro triomphe malgré les tentatives de censure. Beaumarchais manque de modestie et est emprisonné quelques choses.
• 1791-1795 : exilé, pris dans des affaires de vente de fusils, il vit dans la misère à Hambourg, rentre en France en 1796 et meurt en 1799 après une vie mouvementée pendant laquelle l’activité d’auteur est secondaire.

Présentation du texte :

Lexique :

• Perfide : traitre
• Sérail : où les émirs enferment leurs nombreuses femmes
• Chétif : fragile
• Benêt : idiot
• Derechef : de nouveau
• Echu l34 : pas d’argent pour payer le loyer
• Lancette vétérinaire : seringue
• Recors : usurier, qui prête de l’argent
• Obscur pensionnaire : a été enferme en prison car ne peut payer son loyer
• Las : fatigué, usé
• Censeurs : ceux qui pratiquent la censure
• Fiacre : carrosse
• Jouter : affronté

Beaumarchais s’impose dans le genre de la comédie avec deux pièces, Le barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. Elles forment avec la Mère coupable une trilogie qui met en scène trois épisodes de la vie d’un grand seigneur, le comte Almaviva. Sans renoncer à la visée morale de l’œuvre théâtrale, Beaumarchais revendique pour la comédie une totale liberté d’inspiration. Il impose aussi un principe dynamique qui doit emporter l’adhésion du spectateur : la gaieté. Cette gaieté il la partage avec son personnage fétiche, Figaro qui en a fait une arme pour affronter l’existence et ses aléas. Notre passage est l’un des plus connus de la comédie Le mariage de Figaro jouée en 1784 puisqu’il s’agit du monologue du personnage éponyme situé à l’acte 5 scènes 3. Ce monologue n’a guère d’importance sur le plan dramatique puisque l’action est arrêtée mais il est décisif sur le plan psychologique ; il nous fait voir l’âme de Figaro dont nous partageons la souffrance, l’énergie, les doutes. En quoi ce monologue est-il révélateur du personnage de Figaro ? Il est tout d’abord l’occasion d’un feu d’artifice verbal où Figaro se dévoile pour enfin donner cours à sa verve contre différentes injustices sociales et politiques.

1. Un monologue exceptionnel par l’ampleur (longueur) et le dynamisme

• Monologue : temps d’arrêt dans le développement de l’action
• Risque 🡪 lasser le spectateur
• Beaumarchais résout cette difficulté en conjuguant ampleur et dynamisme

1. Un récit romanesque

• Au cœur du monologue de Figaro : déroulement de toute sa vie « fils de je ne sais pas qui » l 12 jusqu’au moment présent
• Récit 🡪 dimension rétrospective : Figaro se retourne sur son passé
• Ponctuation du monologue :

• A partir des déplacements, changements d’attitudes corporelles de Figaro
• Le personnage se lève, s’assied à plusieurs reprises « il s’assied sur un banc » l 11, «  il se lève » l 27-28 et toujours à des moments décisifs
• Après un 1er mouvement, il se calme et 1er retour dans le passé : se lève au moment de son emprisonnement et attaque les autorités politique censurant l’écrit

• A la fin «  il se lève en s’échauffant » l 54 🡪 agitation intense qui se conclut par un geste de lassitude, comme si d’avoir parcouru toute sa vie passée avait épuisé Figaro

1. La vivacité du récit

• La vivacité du récit tient à : la prédominance du récit + emploi de nombreux raccourcis

• Certains passages du récit rétrospectifs rapportés au passé « fussé-je »l 16 « meurtrissent » l 21 mais l’essentiel est au présent🡪 actualise les évènements lointains, les donner à voir comme s’ils se déroulaient sous nos yeux « Non, Monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas » l 4

• Raccourcis narratifs 🡪 beaucoup de vitesse au récit, enchainant les actions de façon accélérée. Parfois, l’enchaînement est si précipité qu’il en devient comique

1. Eveiller la mémoire du spectateur (il est au courant de tout)

• Beaumarchais mobilise aussi la mémoire du spectateur
• Figaro revient sur certaines péripéties :

• Début du monologue : revient sur le moment où il avait suggère que Suzanne accepte le rendez-vous du comte à l’acte 2 scène 2 puis sur la « trahison » de Suzanne de l’acte 4 scène 9
• Fin du monologue : il résume dans un style quasi télégraphique les trois premiers actes «  Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. » l 47-48

1. Figaro se dévoile

Un monologue est l’occasion pour un personnage de théâtre de dire sans contraintes ce qu’il ressent, de réfléchir sur soi, sur son passé. Figaro met ainsi son âme à nu devant nous.

1. Le désarroi

• Dans cette scène : nous écoutons et voyons un homme qui souffre
• Désarroi du personnage 🡪 à travers le ton de la voix comme le souligne la didascalie initiale

• Perceptible dans certaines interruptions du discours « … » l 1,2 : la proposition principale reste suspendue, interrompue par des signes de ponctuations 🡪le trop-plein de rage ou de désarroi
• Fin du monologue 🡪 émotion si forte qu’elle s’exprime par un mot répété comme un cri « désabusé… Désabusé » l 65

• Figaro se croit trahi par Suzanne, ce qu’il fait s’écrouler une nouvelle fois l’espoir de trouver une place dans le monde « et partout je suis repoussé ! » l 13-14

• Perspective de bonheur et de stabilité une fois de plus déçue

• Il souffre aussi de se retrouver dans la position ridicule du cocu « me voilà faisant le sot métier de mari » l 10-11
• Le fait que le comte lui prenne sa future femme a un retentissement social qui va bien au-delà de l’humiliation personnel : signifie à nouveau la défaite de l’homme humble face « au grand seigneur » l 5
• En donnant à voir et à écouter un Figaro souffrant, Beaumarchais éveille une forte sympathie chez le spectateur
• Désarroi du valet 🡪 nouvelle image du personnage : ce n’est plus seulement un esprit brillant, qui a réponse à tout, c’est aussi un homme blessé, faillible et sensible.

1. Les tumultes du passé

• Figaro récapitule les vicissitudes (soucis) de son existence dans son récit autobiographique :

• Naissance restée longtemps énigmatique « fils de je ne sais pas qui » l 12
• Appartenance au bas de l’échelle sociale « perdu dans la foule obscur » l 8 et même à la lie de la société « volé par des bandits ; élevé dans les mœurs » l 12-13
• Expérience de l’emprisonnement et de la pauvreté

• Une vie ou les échecs succèdent aux réussites, les hasards heureux aux hasards funestes mais plein de ressources et d’énergie, Figaro n’est jamais abattu par les épreuves

• Il atteint le comble du découragement « le désespoir m’allait saisir » l 41-42, il est tente de se suicider «  je quittais le monde et 20 brasses d’eau m’en allait séparer » l 48-49
• Le hasard ou bien quelque force extérieure « un dieu bienfaisant » l 59 ou intérieure « en frémissant, je m’évertue » l 24  font qu’il repart dans l’existence

• Figaro🡪 animé par une prodigieuse vitalité, un immense appétit de vivre « je me jette à corps perdu » l 16, « jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les gouts pour jouir » l 61-62
• Il a la volonté de multiplier l’expérience « j’ai tout vu, tout fait, tout usé » l 64-65 : manière de répondre à l’adversité
• C’est un génie de l’action et donc s’inscrit dans la lignée des valets de comédies intrigants
• Esprit vif, inventif, entreprenant quasi-universel, s’y connait en science, en médecine, en musique, en économie, s’implique dans la vie artistique et littéraire
• Rien de semble échapper à sa curiosité intellectuelle🡪 parfait représentant de son temps, le siècle des Lumières
• Derrière le personnage de théâtre se profile Beaumarchais, qui nourrit le monologue de réminiscences (souvenirs) de sa propre existence, elle aussi haute en couleurs
• Malgré les aléas de l’existence, Figaro a toujours obéi à des principes vertueux : attaché à la liberté d’agir, de penser, de créer
• Une probité acquise dès la jeunesse « veux courir une carrière honnête » l 13 ; une estime de soi et une fierté fondées sur la conscience de sa propre valeur 🡪 il laisse «  la fumée aux sots » l 50; un optimisme à toute épreuve, résume par la métaphore « je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis » l 58-59

1. Des interrogations sur l’existence et sur soi

• Figaro 🡪 conduit à une interrogation sur le sens de la vie humaine

• Succession de questions sans réponses insiste sur cette interrogation « est-il rien de plus bizarre que la destinée ! » l 12, « comment cela ?,  pourquoi ces choses ? qui les a fixées ? » l 56-57

• Sens de la vie échappe à la volonté « forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir » l 57-58 d’après le personnage
• En traçant son propre autoportrait, le valet en dégage une impression non pas d’unité mais d’une grande disparité
• Il se regarde comme un être composite « assemblage » l 60, une somme fragile d’expériences « chétif être imbécile » l 60-61

1. Un monologue polémique

Revenir sur le passé est pour Figaro l’occasion de régler ses comptes avec les puissances qui se sont opposées et continuent de s’opposer à lui.

1. La verve (éloquence) de Figaro

• Figaro : brillant causeur
• Monologue 🡪 confirme et accentue cette qualité, ici mise au service de la polémique
• Figaro : sens de la formule frappante
• Différentes sentences émaillent son discours : « grand seigneur » l 5, « grand génie » l 5, « petits », « il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits » l 31, « ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant » l 22-23 qui met en valeur un effet de sonorité
• Figaro use de l’ironie qui est une arme efficace 🡪 permet d’attaquer sans trop s’exposer : Beaumarchais soumis à la censure tout comme son Figaro. On trouve ici des moyens efficaces pour dénoncer les cibles de Figaro.

• Accumulation ironique de toutes les interdictions « pourvu que je ne parle,… » l 36 🡪 finissent par réduire à néant la liberté de la presse établie à Madrid
• Euphémisme ironique « retraite économique » pour évoquer l’emprisonnement
• Antiphrase «  douce liberté » l 39 pour dire « censure »

1. Les cibles

• Critique l’injustice de l’organisation sociale dont la hiérarchie ne repose pas sur le mérite individuel
• Roturier (qui n’est pas de la noblesse) 🡪 compenser le hasard de sa naissance humble par des efforts et des mérites considérables «  il m’a fallu déployer…pour subsister » l 8-9 qui pourraient ne pas être récompensés « on pense à moi pour une place … propre » l 42
• Figaro dévoile un véritable manifeste contre la censure des écrits dans la littérature avec son expérience de la comédie interdite pur plaire aux « princes mahométans » l 21, l’essai économique qui le conduit en prison et dans le journalisme.
• Profite pour souligner en termes ironiques le caractère arbitraire des emprisonnements pour « délit d’opinion » (emprisonner seulement par un cachet parce qu’il a déplu) conjuguant :

• grandiloquence (excessif dans son éloquence) «  je laissai l’espérance et la liberté » l 27 et allusion « le pont d’un château fort » l 27 🡪 la Bastille (prison)

En conclusion, ce monologue de Figaro représente un morceau de bravoure. Jusque-là, ce personnage s’imposait comme beau parleur et homme d’intrigues plein d’imagination : ici il nous touche par son désarroi, sa combativité. Figaro n’est plus seulement un serviteur. Il acquiert une dimension humaine qui rompt avec la tradition antérieure du valet de comédie : son épaisseur psychologique, son existence tumultueuse (bouillonnant), en font tout à la fois un être à la personnalité complexe, romanesque, un homme des Lumières et un porte-parole de Beaumarchais.

...