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La Loyauté Procédurale

Mémoire : La Loyauté Procédurale. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  1 Mars 2014  •  6 423 Mots (26 Pages)  •  2 054 Vues

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INTRODUCTION

Peut-on, en justice, plaider tout et son contraire : réclamer l'exécution d'un contrat après avoir argué de sa nullité ; soutenir qu'une sentence arbitrale est nulle au prétexte que la juridiction aurait statué sans convention d'arbitrage après avoir pourtant soi-même formé la demande et participé sans réserve à la procédure... Bref, peut-on ne pas hésiter à se contredire pour faire feu de tout bois ? Le droit, on le sait, souffre d'être considéré comme une école de la pure rhétorique, qui encouragerait et récompenserait toutes sortes d'arguties. Si l'on peut comprendre que les conseils des parties souhaitent couvrir toutes sortes d'hypothèses juridiques et procédurales, ne faut-il pas sanctionner le défaut de cohérence constaté dans les thèses d'un plaideur ? Plus généralement, la jurisprudence ne peut-elle imposer une exigence de bonne foi et de loyauté procédurale ?

Des éléments de réponses se sont très vite dégagés dans les pays de la common law dont le droit est d’essence jurisprudentielle. Ils ont tôt fait d’ériger en principe une interdiction de se contredire au détriment d’autrui : c’est la théorie de l’estoppel. Ce principe peut être défini comme l’interdiction faite à une personne qui, par son comportement ou ses déclarations, c’est-à-dire par la « représentation » qu’elle a pu donner d’une situation donnée, a conduit une autre personne à modifier sa position, d’établir en justice un fait contraire à cette « représentation » initiale. L’estoppel sanctionne, en réalité, la trahison de la confiance légitime. « Il sert à empêcher celui qui, par ses paroles ou son comportement, a créé une apparence trompeuse, de contredire cette apparence dès lors qu’elle a servi de base à l’action d’un partenaire ou d’un tiers ». Pendant longtemps pour la doctrine française, il n’était pas question de se livrer à une transposition de cette règle générale et complexe de "l’estoppel", issue d’un "droit venu d’ailleurs". Dans son ouvrage sur l’estoppel, Mme Fauvarque-Cosson n’hésite pas à écrire que "l’estoppel" demeure l’une des institutions les plus impénétrables du droit anglais. Aussi d’autres auteurs ont-ils exprimé leurs réserves sur l’importation de l’estoppel en droit français : tel a été le cas de Roger Perrot, Loïc Cadiet, Philippe Le Tourneau et même Bénédicte Fauvarque-Cosson.

Ainsi, selon Philippe Le Tourneau, l’estoppel est nécessaire en droit anglais, parce que ce dernier ne connaît pas la bonne foi ; mais là où celle-ci existe déjà comme moyen de contrôle, il est inutile d’ajouter un nouveau principe, qui recèle le risque de perturber l’ordonnancement juridique plus qu’il ne donne l’espoir de l’améliorer.

Pour Loïc Cadiet, "l’évolution contemporaine du droit nous a habitués à la volatilité des lois, et la tendance est grande, de nos jours, à espérer, voire revendiquer une norme nouvelle pour tout nouveau problème. D’où la tentation de vouloir ici élaborer de nouvelles dispositions pour donner corps (...) à la sanction d’irrégularités de procédure. Mais c’est prendre le risque d’écrire la loi dans le sable (...). Plutôt que vers le très particulier principe de l’estoppel, c’est donc vers le principe plus général de bonne foi qu’il conviendrait de se tourner...".

De son côté, Bénédicte Fauvarque-Cosson relève que l’estoppel est un leurre : concept "étrange et pénétrant, chaque fois ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre", dit-elle en évoquant un poème de Verlaine, l’estoppel est "aussi impénétrable qu’un bouclier, aussi dangereusement glissant qu’une épée". Cet auteur ajoute que "lorsqu’une institution est reçue par un régime différent de celui dans lequel elle a pris naissance, selon un phénomène bien connu d’acculturation, elle change souvent de régime et de fondement". Il en est ainsi avec l’application de l’estoppel en droit français, qui ne ressemble plus à celui du droit anglais. Mieux vaut donc parler de l’internationalisation d’une même exigence : le respect de la parole donnée, la bonne foi et la sanction de celui qui trahit la confiance de l’autre, que l’on retrouve dans tous les systèmes juridiques, mais sous des formes variées.

Cependant, force est de constater que par une décision du 6 juillet 2005, la Cour de cassation a semblé consacrer le principe de l’estoppel solution dans le domaine spécifique de l'arbitrage international, jugeant irrecevable le moyen contraire à ce qui pouvait avoir été antérieurement soutenu. Le 7 juillet 2006, l'assemblée plénière, déjà, devait imposer, à peine d'irrecevabilité, l'obligation pour le plaideur de « concentrer » ses moyens, autrement dit l'obligation de faire juger en une fois, devant le même juge, l'ensemble des arguments juridiques qui tendent au même objectif (par exemple : se libérer d'un contrat, obtenir réparation, etc.).

Pour ce qui concerne le droit commun, s’il est vrai que les moyens fondés sur le principe de l’estoppel n’ont guère trouvé d’écho jusqu’en 2005 en droit procédural, il faut ajouter cependant que de nombreux arrêts se sont inspirés de la même idée pour sanctionner la contradiction dans l’argumentation d’une partie faite au détriment d’autrui, mais en se référant à la bonne foi dans le procès. La Cour de cassation semble alors consacrer un nouveau principe directeur des débats.

Toujours fidèle à sa doctrine, Bénédicte Fauvarque-Cosson souligne notamment dans son commentaire à la Revue des contrats "qu’en se référant à l’estoppel, la cour de cassation ne s’est certainement pas livrée à un processus de réception déformante d’un concept anglais. Elle a plutôt accueilli un concept international, qui possède une vie propre, libéré des particularismes et carcans du droit anglais, grâce au rôle que joue le droit comparé dans l’arbitrage commercial international".

Le déroulement du procès est donc guidé par des principes fondamentaux qui visent à garantir son caractère équitable. La procédure obéit à une exigence de dignité et de justice : la garantie des droits du plaideur.

Cette exigence fondamentale est synthétisée autour de l’idée d’une règle imposant l’obligation de loyauté du procès.

Consacré progressivement pour l’ensemble des contentieux comme principe directeur dégagé de la doctrine, elle a une portée générale (I) car s’impose au bénéfice de toutes les parties au procès et devant toute juridiction.

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