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Droit Civil: la séparation des pouvoirs

Mémoire : Droit Civil: la séparation des pouvoirs. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  18 Mars 2015  •  4 945 Mots (20 Pages)  •  722 Vues

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Nous disposons de nos jours d’une classification ternaire pour penser la séparation des pouvoirs. La doctrine, dite classique, distingue en effet les régimes dans lesquels le principe est appliqué de manière rigide, ceux qui admettent quelques assouplissements, et enfin ceux qui reposent sur la négation même de ce principe : on discrimine de la sorte la séparation absolue ou stricte, la collaboration et la confusion des pouvoirs.

Dans ce cadre, le régime présidentiel, fondé sur la séparation rigide des pouvoirs, est caractérisé par deux traits qui sont d’une part l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct ou quasi direct et d’autre part et surtout l’irresponsabilité politique des membres de l’exécutif devant le parlement, « ce second caractère constitu[ant] le véritable critère du régime présidentiel qui le différencie fondamentalement du régime parlementaire » [1]. Ainsi, dans ce schéma, les pouvoirs publics s’absorbent dans leur fonction respective et sont autonomes, de sorte qu’à une spécialisation fonctionnelle correspond une irrévocabilité mutuelle. En regard, le régime parlementaire ou gouvernement de cabinet, fondé sur la séparation souple des pouvoirs et répondant à la logique de collaboration des pouvoirs présente des domaines d’action communs aux divers organes de l’État et des moyens de pression réciproques entre les pouvoirs, sous forme notamment d’un droit de récusation réciproque par la voie de la responsabilité politique du gouvernement devant le parlement et du droit de dissolution attribué à l’exécutif. Enfin, le régime d’assemblée, appelé aussi « régime conventionnel » par allusion au régime de fait de la Convention, se distingue radicalement des deux précédents en ce qu’il participe pour sa part de la confusion et de la concentration des pouvoirs où l’exécutif est juridiquement subordonné à l’assemblée unique et souveraine [2].

En regard, on peut, dans un premier mouvement, être tenté d’appliquer ces outils conceptuels et cette grille de lecture à l’œuvre constituante des années 1789 à 1791 – transposée ici sous le terme de Moment 1789, ce par quoi nous entendons le premier trait français du constitutionnalisme écrit depuis la rédaction des cahiers de doléances jusqu’au vote de la Constitution des 3 et 14 septembre 1791 – pour comprendre tant l’économie du texte que le dessein de ses auteurs. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est pratiqué dans la très grande majorité des manuels de droit constitutionnel. Or, il s’agit là d’une erreur de principe, qui procède d’un anachronisme coupable : à l’époque, en effet, cette classification n’existait pas, puisque d’une génération postérieure. Par le fait, elle apparaît dans le dernier tiers du XIXe siècle, précisément à la suite d’un livre fameux, à savoir La Constitution anglaise de Walter Bagehot. Publié en 1867, traduit en français dès 1869, il devait marquer son époque tant en Grande-Bretagne, en France qu’aux États-Unis d’Amérique, produire des disciples et bientôt un courant doctrinal dominant dans les facultés de droit.

« C’est l’indépendance du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif », notait dans cette étude le publiciste anglais, « qui est la qualité distinctive du gouvernement présidentiel, tandis qu’au contraire la fusion et la combinaison de ces pouvoirs sert de principe au gouvernement de cabinet » [3].

Bref, l’absence du droit de dissolution et de la responsabilité politique de l’exécutif faisait du régime américain l’antithèse du régime anglais, « le système rival », et se dessinaient ainsi les contours principaux de l’opposition entre séparation stricte et séparation souple des pouvoirs, dans le cadre de laquelle nous vivons toujours aujourd’hui.

Participant de cette école, Adhémar Esmein, agissant en l’occasion davantage en acteur engagé qu’en théoricien du droit, ajoutera bientôt une troisième catégorie, celle du régime d’assemblée, afin de tenter de convaincre ceux qui en doutaient, destinés à devenir de plus en plus nombreux, que le régime parlementaire de la IIIe République participait bien d’une séparation souple et non d’une confusion des pouvoirs [4]. Ainsi, disposait-on à compter du début du XXe siècle d’une classification opératoire des constitutions fondée sur une certaine acception de la séparation des pouvoirs. Le tort devait être de la considérer universelle dans le temps et l’espace, au point d’imaginer qu’elle était familière aux acteurs de cette fin du XVIIIe siècle, alors même que, datée, elle leur était inconnue et ne répondait pas à leur champ doctrinal.

Si donc la formalisation de la séparation des pouvoirs et la classification subséquente des constitutions dont nous disposons aujourd’hui, non seulement ne nous est pas utile pour comprendre le Moment 1789, mais plus encore nous induit en erreur, il nous faut restituer la formalisation propre aux publicistes de l’époque (I) afin de comprendre les débats relatifs aux institutions politiques qui structurèrent les années 1789 à 1791, depuis la rédaction des cahiers de doléances jusqu’à la confection de la Constitution des 3 et 14 septembre 1791 (II).

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Notes

[1] Benoît Jeanneau, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 4e éd., Paris, Dalloz, 1975, pp. 84-85.

[2] Cette doctrine classique structure encore aujourd’hui la grande majorité des manuels de droit constitutionnel. Nous en voulons pour preuve les citations suivantes, tirées des plus récentes livraisons de deux manuels de référence, que nous proposons ici tant en raison de leur qualité que de leur représentativité. Dans le premier, les auteurs expliquent qu’il existe au sein des régimes pluralistes deux manières principales de rechercher l’équilibre entre les pouvoirs : « D’une part », écrivent-ils en ce sens, « on peut chercher à réaliser l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif en organisant leur collaboration et en dotant le gouvernement et les assemblées de moyens d’action réciproques, de telle sorte qu’ils soient toujours en accord étroit ou, si cet accord vient à manquer, qu’il puisse être très rapidement rétabli, par modification de la composition politique de l’un des deux partenaires. C’est la voie du régime parlementaire. D’autre part, on peut chercher à réaliser l’équilibre de ces mêmes pouvoirs en cantonnant les organes exécutifs et les organes législatifs dans l’exécution

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