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Analyse film: Le Voyage De Chihiro de Miyazaki

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Par   •  20 Septembre 2014  •  2 313 Mots (10 Pages)  •  2 895 Vues

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Le monde des bains (Aburaya) et les dieux-esprits

Contrairement à une croyance occidentale, Le Voyage de Chihiro ne fait pas appel à tant de références mythologiques des contes et légendes japonaises qu’il n’y paraît, mais plutôt à un mélange de culture contemporaine et d’imagination de son réalisateur.

Le monde des bains jouit de certaines règles mais surtout de sa propre logique, qui peut paraître absurde aux étrangers. Un des exemples les plus forts et candides est le réveil des filles après les pluies torrentielles : un océan s’est formé au loin, ce dont Chihiro s’étonne, alors que Lin trouve cela normal. À ma connaissance, ce n’est pas lié à quelconque croyance japonaise mais à une simple création de Miyazaki sur la physique de cet univers fantasmé.

Selon la pensée japonaise, le monde des dieux (kami) et des esprits (yokai) se superpose au nôtre. Pour simplifier, pensez à Totoro. Le Voyage de Chihiro utilise des symboles carrolliens (tunnel, rivière, pont) non seulement pour marquer un franchissement, mais également pour signifier la difficulté à retourner dans son propre monde. En extrapolant, on marque la différence de dimensions comme dans Le Magicien d’Oz ou Alice au Pays des Merveilles. D’ailleurs, Chihiro partage avec Alice ce rapport capital à l’alimentation : le repas fastueux transforme les parents de Chihiro en cochons ; le médicament de Haku la sauve de la disparition et ses onigiri la réconfortent ; la boulette du dieu des rivières soigne le sans-visage et Haku, etc.

Le monde des bains agit également comme une critique de la société contemporaine. Son existence même révèle que les dieux / esprits doivent se délasser, voire se purifier ou même se soigner. Aburaya est un établissement de thermes (appelés onsen ou sentô) comme il en existe des centaines au Japon ; à ceci près que celui-ci leur est réservé. Qui les fatigue ou les salit ? Le client putride agit comme un révélateur du caractère écologique sous-tendu : lorsqu’elle libère le dieu des rivières, c’est aussi bien une prise de conscience pour Chihiro qu’une réparation des actes pollueurs de ses pairs humains, que l’abandon de détritus avait rendu méconnaissable même de ses congénères.

Une autre donnée soulignée est la critique de l’argent comme vecteur de corruption des mœurs. Lorsque Chihiro demande à son père d’arrêter de manger sans l’autorisation des restaurateurs, celui-ci lui répond qu’il a de l’argent et même sa carte bancaire, pourtant encore peu utilisée au Japon, pour régler un éventuel problème. Le Sans-visage (traduction littérale de son nom japonais « Kaonashi ») semble agir sur une réflexion analogue : le moyen de paiement, en l’occurrence l’or, peut tout acheter. C’est Chihiro qui lui fait prendre conscience de l’inverse : elle n’aura jamais rien accepté de lui directement, car ce qu’elle recherche ne peut pas être payé ou consommé. De là se crée une perte de repère pour le sans-visage (son schéma relationnel s’écroule), d’où sa phase de folie et de destruction. Sa gloutonnerie n’est pourtant que le moyen de combler une insatisfaction, tant il semble démuni et plaintif lorsqu’il ne régit pas le rapport social par sa distribution de pépites. À l’autre bout de la chaîne, les employés d’Aburaya sont eux aussi corrompus par la vue de richesses. Mais celui-ci est illusoire, en témoigne le pourrissement du tas d’or récupéré par Yubaba.

D’un point de vue occidental, il est difficile de vouloir placer les protagonistes sur un échiquier manichéen. Dans Le Voyage de Chihiro, peut-être plus encore que dans les autres films de Miyazaki, c’est un classement inutile. Même les sorcières jumelles ne répondent pas aussi simplement à ces codes bien / mal. Yubaba, qui apparaît à première vue comme la « méchante » idéale, de par son autorité et son avidité, respecte à la lettre les lois de son monde comme donner du travail à qui en demande, ou encore tenir sa promesse en libérant les parents de Chihiro. Zeniba, elle, n’est pas son pendant modèle de gentillesse (elle cherche à tuer Haku pour le vol de son sceau), mais elle pardonne immédiatement et sa sagesse libère les protagonistes. Il y a un jeu de mot d’ailleurs sur leurs prénoms : « Yubaba » signifie littéralement « la vieille des bains », mais lorsque l’on attache leurs premiers kanji (caractères japonais) « zeni » et « yu », on obtient « sento », qui signifie « bain public ».

Enfin, il reste un geste mal compris des Occidentaux, lorsque Chihiro écrase plus ou moins volontairement le ver de corruption de Yubaba recraché par Haku. Comme souillée et dégoûtée, elle se tourne vers Kamaji qui lui demande de faire « engacho » (du vocabulaire enfantin, contraction de « en ga chogireru », littéralement « lien coupé »). Elle a alors les deux index et pouces joints, formant un cercle qu’il s’empresse de séparer avec sa main. Il s’agit d’un vieux rite qui dit que l’impureté ou la « crasse » disparaît grâce à ce geste. On le fait plutôt aux enfants, par exemple lorsqu’ils ont marché dans une crotte de chien, pour dire qu’ils n’ont pas été « contaminés » par l’impureté. On peut alors dire « engacho kitta, kagi shimeta! » qui se traduit par « on a coupé le lien [avec l’impureté] et on l’a enfermé à clé ! ».

Perdre son identité pour se construire : la dualité Sen / Chihiro

Un point capital du Voyage de Chihiro est la déconstruction de la jeune protagoniste vers une certaine forme de schizophrénie positive pour son évolution personnelle. Le moment charnière est la modification du nom de Chihiro par Yubaba ; cet acte ne se dévoile pleinement qu’en connaissant un peu de japonais, je vais donc vous l’expliquer.

Dans la langue japonaise, les noms et prénoms sont constitués de caractères appelés kanji qui ont un sens, mais également plusieurs lectures selon qu’ils sont utilisés seuls ou accompagnés. En l’occurrence, le nom de « Chihiro » est formé par les kanji « sen » (pour « mille ») et « jin » (qui signifie « recherche » ou « interrogation »). Son nom de famille, « Ogino », peut être traduit par « champ de roseaux ». Il faut savoir que le choix des kanji est très important pour constituer les prénoms japonais ; comme la langue est constituée d’énormément d’homophones, on donne toujours la signification des kanji lorsque l’on parle de son prénom (pour savoir ce que les parents ont voulu qu’ils signifient). En ne conservant que le premier caractère du prénom, sur les quatre que son nom compte en tout, Yubaba ôte à Chihiro la dénomination

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