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Spleen, Baudelaire

Commentaire de texte : Spleen, Baudelaire. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  25 Avril 2021  •  Commentaire de texte  •  1 850 Mots (8 Pages)  •  569 Vues

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Proposition de commentaire linéaire sur le poème de Baudelaire, « Spleen ».

Ce poème est extrait de la première partie du recueil Les Fleurs du Mal, intitulée « Spleen et Idéal ». Il est le deuxième des quatre poèmes à porter ce titre.

Il s’agit d’un poème de vingt-quatre vers répartis en trois strophes de longueurs inégales, la première étant un monostiche, suivie d’une strophe de treize vers, puis d’une strophe finale de neuf vers. Le texte est donc émaillé de deux blancs typographiques, marquant des pauses qui viennent distordre le rythme du poème et semble le dilater. L’impression de lenteur ainsi créée trouve son explication dans le titre lui-même, le spleen désignant un état de profonde mélancolie que semble illustrer la voyelle longue du mot anglais prolongée par la nasale sonore.

Le thème du texte apparaît d’emblée : il sera question de ce « je » que le poète comparera tour à tour à des objets ou à des lieux témoignant d’époques révolues et évoquant tous une certaine inertie : « un gros meuble à tiroirs » (v.2), « un immense caveau » (v.6), « un cimetière » (v.8), « un vieux boudoir » (v.11), « un granit entouré d’une vague épouvante » (v.20), « un vieux sphinx ignoré » (v.22). Un troisième élément contribue à la structuration du texte, en plus des strophes et de la succession des comparaisons : ce sont les tirets, habituellement utilisés pour marquer un changement de locuteur, mais qui semblent correspondre ici à de simples changements de points de vue, comme si la voix du poète portait en elle une vision diffractée du monde.

Le premier vers pourrait être l’incipit de mémoires ou d’une autobiographie : il y est question de « souvenirs ». Mais le je poétique peut tout aussi bien avoir une dimension lyrique, plus universelle que dans l’autobiographie. D’autant plus que l’hyperbole du deuxième hémistiche témoigne d’un sentiment de vieillesse extrême qui corrobore le propos du titre :

« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ».

Ce poème n’a donc pas pour but de nous raconter une histoire mais de décrire le mal-être dont le poète est l’objet. C’est le sentiment qui compte et non le récit. L’assonance en [i] accentue d’ailleurs, par son côté strident, l’impression de souffrance.

Les quatre vers suivants constituent une seule et même phrase, construite autour d’une première comparaison : le comparé, « mon triste cerveau », est rejeté à la toute fin, tandis que le comparant est longuement décrit des vers 2 à 4. Il est question d’« un meuble à tiroirs » dont les épithètes précisent qu’il est « gros » et « encombré », livrant une image peu reluisante d’un objet que l’article indéfini « un » présente de surcroit comme relativement anodin. À l’intérieur, un fourre-tout d’objets hétéroclites qui mêle indifféremment les vestiges d’une vie amoureuse aux restes, plus prosaïques, d’une vie administrative, financière et juridique : les « vers », les « billets doux », les « romances », les « lourds cheveux » cohabitent avec les « procès » et les « quittances » pour offrir au lecteur, une vision allégorique des souvenirs du poète. L’énumération, marquée avec rigueur par l’emploi de virgules au vers 3, semble soudain s’emballer dans l’évocation « de lourds cheveux roulés » qui enjambe la césure, là même où le vers bascule d’un hémistiche à l’autre : un effet de symétrie sonore mime le mouvement évoqué :[(d)e-l-ou-r (cheveux) r-ou-l-é]. Mais l’impression ainsi créée se heurte ensuite à une série de consonnes dentales : « dans des quittances ». L’allitération vient mettre un coup d’arrêt aux sensations voluptueuses qui imprégnaient le début du vers. L’intertexte à l’évocation des « cheveux » pourrait être un indice autobiographique, souvenir du poème « La chevelure », que l’auteur a dédié à sa maîtresse Jeanne Duval, et que l’on trouve un peu plus haut dans le recueil Les Fleurs du Mal. La rime du cinquième vers crée un effet de chute : jusqu’alors, la nasale claire et sonore -an dominait, et c’est soudain le [o] fermé qui clôt le vers de façon dissonante. Ici, la comparaison entre le cerveau et le meuble à tiroirs n’établit pas un rapport d’équivalence entre le comparant et le comparé, car le premier contient davantage de choses, tout comme il contenait davantage de souvenirs que n’en auraient accumulé mille ans d’existence. S’il peut apparaître comme l’écrin d’une vie riche, il s’agit néanmoins d’un organe et non d’une entité abstraite comme l’âme ou l’esprit que privilégie la tradition poétique lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie intérieure. La dissonance n’est pas seulement sonore : elle repose sur le refus d’une réalité transcendante et sur la rupture avec les inclinations romantiques qui prévalaient en poésie dans la première moitié du siècle. La chute est donc également celle d’un certain idéal supplanté par un monde matériel et anatomique.

Le vers 6 marque le début d’une nouvelle phrase et d’une nouvelle comparaison : cette fois-ci, le cerveau, siège des souvenirs du poète, prend la forme d’une pyramide : édifice exotique qui, avec son nimbe de mystère, prolonge l’idée de « secrets » du vers précédent. Il introduit par ailleurs le champs lexical du sépulcre, suivi de « caveau (v.6), morts (vv. 7, 10), fausse commune (v.9) ». Le poème prend la coloration du deuil et le thème de la mort, récurent dans Les Fleurs du Mal, émerge de nouveau ici.

Le vers 8 s’ouvre sur un tiret et sur le retour du pronom « Je » : la métaphore qui peint le poète en « cimetière » a des accents lyriques par sa radicalité et par la dimension visuelle voire pittoresque qu’elle donne au marqueur de la première personne. Le lecteur plonge dans un imaginaire fantastique. Ici, le cimetière est « abhorré de la lune », contrairement à ceux de Marceline Desbordes-Valmore par exemple, dans le recueil Bouquets et Prières, publié quelques années plus tôt. L’obscurité domine donc, avec l’isolement. Le deuil est alourdi de « remords », dont on ne connaît pas la cause, mais qui « traînent de longs vers / Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers ». L’auteur joue sur l’homonymie de vers, qui peut désigner l’unité métrique ou encore la vermine qui dévore les cadavres, les alexandrins se gorgeant, eux aussi, des défunts qui inspirent le poète. L’allitération en [r] du vers 10 laisse entendre ce travail de grignotage des chairs mortes :

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