Ruy Blas, Victor Hugo, Acte 1 Scène 1

V

ictor Hugo, né en 1802 et décédé en 1885, appartient au courant littéraire du romantisme. Son œuvre est immense. Le drame hugolien s’exprime tant dans la poésie (Les contemplations) que le domaine romanesque (Les misérables) ou théâtral (Ruy Blas, Cromwell). En 1827, animateur du cercle de jeunes écrivains appelés « cénacle », il s’affirme romantique et libéral. Il publie la même année, Cromwell, drame en vers dont la préface définit le drame romantique et confère à l’auteur l’autorité d’un chef de file. Ruy Blas met en scène, au XVIIème siècle, la vengeance de Don Salluste, un grand d’Espagne, contre la reine, Donia Maria de Neubourg, responsable de sa disgrâce. En effet, il a l’intention d’utiliser Ruy Blas pour compromettre celle-ci. L’extrait constitue une scène d’exposition et réunit Ruy Blas, Don Salluste et son homme de main, Gudiel. Dans quelle mesure ce passage annonce-t-il les caractéristiques du drame romantique ? Avant d’aborder l’écriture romantique, nous montrerons que l’exposition garde des principes classiques et nous introduit dans un univers où le suspense domine.

Dans cette pièce le dramaturge présente tous les personnages importants de la pièce : deux protagonistes sont sur scène : Ruy Blas et Don Salluste tandis qu’un troisième est évoqué. Il s’agit de la reine Maria de Neubourg. Gudiel et la suivante de la reine, personnages d’arrière-plan, sont également présentés. La répartition inégale de la parole, accaparée par Don Salluste, souligne les différences sociales qui existent entre le maître et ses valets.

Les fils de l’action sont également posés : Don Salluste évoque sa situation en deux étapes : du vers 5 à 22 : Il annonce sa disgrâce, dominé pa le champ lexical « mon règne est passé », « renvoyé, disgracié, chassé» : V3 et 4 (gradation ascendante de cette énumération qui accentue la situation déplorable du personnage).  « On m’exile » vers 13 et 14 : Don Salluste a séduit la suivante de la reine et a refusé de l’épouser lorsqu’elle est tombée enceinte. La reine, à qui il a désobéit, l’a donc disgracié. Les vers 31 à 43 évoquent la vengeance qu’il prépare contre la reine.

La double énonciation, caractéristique essentielle de l’écriture théâtrale, est importante dans ce passage. En effet, Don Salluste s’adresse à Gudiel dans de longues répliques que l’on peut qualifier de tirades. Il interpelle souvent son valet (V4, 6, 26, 31, 39, 45, 46). Mais ce dialogue est tout à fait artificiel comme en témoigne l’inconsistance des réponses de Gudiel qui ne jouera pas un autre rôle dans la pièce. Le discours de Don Salluste est en réalité surtout destiné aux spectateurs qui doivent apprendre à connaître le personnage et sa situation afin de comprendre l’intrigue à venir.

Une ambiance mystérieuse qui accentue le suspense, Hugo crée une atmosphère mystérieuse : « Le jour va naître » ; « il fait encore nuit » (vers 2) et on apprend que la disgrâce de Don Salluste est un secret « l’aventure est secrète / Encor, n’en parle pas ». Plusieurs éléments sont encore inconnus pour le lecteur, ce qui permet de créer le suspense. Don Salluste évoque le « drôle que tu sais « (Vers 40) mais ne sait toujours pas comment il se vengera (vers 43). Enfin, la métaphore du trou et le champ lexical de l’architecture, à travers les expressions « sape profonde » ; « obscure et souterraine » (Vers 29) ; « architecte » (vers 35) et « puits » (Vers 36) dévoilent stratagème inquiétant.

...