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Philosophie cas

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Par   •  30 Janvier 2016  •  Cours  •  2 513 Mots (11 Pages)  •  810 Vues

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ar David SOURDILLON

La mort apparaît pour Montaigne comme étant la conséquence directe de la vie et la vraie sagesse doit ainsi conduire à l’acceptation de cette mort ; d’où cette fameuse formule, inspirée des sagesses antiques, qu’il reprend à son compte : « que philosopher c’est apprendre à mourir. » Ce qui sous-tend cette maxime, c’est l’idée que la philosophie serait à même de préparer l’individu à sa propre mort, qu’elle serait un remède contre l’angoisse quotidienne que suscite cette fatalité. Les circonstances de la mort, sinon la mort elle-même, sont imprévisibles, on ne sait jamais dans quelles conditions elle nous frappera. Vladimir Jankélévitch écrit à ce propos dans ses entretiens avec Béatrice Berlowitz (Quelque part dans l’inachevé) : « je sais que je mourrai, mais je ne peux répondre à aucune question circonstancielle ni faire fonctionner aucune des catégories aristotéliciennes de l’énonciation : ni la « manière », ni la « quantité », ni le « lieu »… ni surtout la « date », qui est la question fondamentale. » Nous savons tous que nous allons mourir, un jour, mais dès lors comment nous y préparer ? Peut-on seulement s’y préparer ? Peut-être devons nous dissocier la mort, l’instant, l’événement du verbe mourir, du processus. La question de la mort constitue comme un défi pour la philosophie et l’on peut légitimement se demander si elle constitue un objet pour la pensée. Car cette idée ne va pas de soi : Epicure déjà, dans sa Lettre à Ménécée, annonce que « la mort n’est rien pour nous » car « tant que nous existons, la mort n’est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus ». De même, Jankélévitch a souhaité, en écrivant son livre La mort, qu’il fût le dernier sur le sujet : il espérait secrètement mettre un terme à toute tentative de saisie de la mort par la philosophie. « Vouloir penser la mort est donc une folle entreprise condamnée à l’échec », écrit-il. Celle-ci n’offrirait aucune prise à la méditation, il n’y aurait rien à penser en elle. Il s’agit donc de s’interroger sur les limites qu’impose la mort à la pensée, et dans le même mouvement de s’interroger sur la définition même de la philosophie et de son rôle que permettent d’approcher ces limites. Car définir n’est-ce pas également fixer des limites, circonscrire ?

Platon définit la philosophie comme une démarche d’abstraction ; philosopher, c’est s’abstraire du monde sensible, du monde des apparences pour accéder au vrai. C’est par là même que le philosophe apprend à mourir : en accédant au monde des Idées, il accède à l’éternel, à l’immuable, à l’immortel. Il ne craint plus la mort. Cette élévation est illustrée par le très fameux mythe de la caverne du livre VII de la République : initialement, nous sommes tous ignorants et impuissants, plongés dans le monde sensible que la lumière ne peut atteindre. Nous sommes impuissants parce que nous sommes prisonniers des apparences que nous prenons, par habitude, pour des réalités. Or selon la théorie platonicienne, ces apparences ne sont que des reflets trompeurs, des images dénaturées et dérivées de concepts généraux : les Idées. La philosophie est cette discipline qui consiste à se faire violence pour s’arracher à ce monde décrit comme souterrain dans l’allégorie. Philosopher, c’est donc s’arracher au sensible et monter vers l’intelligible, vers la lumière des Idées, c’est se délivrer de nos erreurs et de nos fausses certitudes. Dès lors, philosopher c’est partir à la conquête de ces Idées, réalités intelligibles et éternellement identiques à elles-mêmes et qui ne sont pas soumises au changement comme peuvent l’être les choses sensibles.

Ainsi, on peut penser que philosopher c’est apprendre à mourir, mais à mourir au sensible. En partant en quête des Idées, le philosophe parvient à toucher du doigt l’immortalité. Platon énonce dans le Phédon que « mourir au sensible, c’est une purification qui consiste à séparer le plus possible l’âme du corps, à l’habituer à vivre en elle-même et pour elle-même. Tel est le souci des philosophes : délier et séparer l’âme du corps. » (67 c-d). C’est en ce sens que philosopher constitue un exercice de la mort. Le Phédon raconte précisément la mort de Socrate, le plus sage des hommes. Le philosophe doit être ce guerrier courageux qui n’a pas peur d’affronter la mort ; il est celui qui s’emploie à détacher son âme de son corps car ce dernier est ce qui nous distrait de l’essentiel, il est le lieu où se déploient toutes les passions. Il convient de s’en séparer et de mourir au sensible, c’est-à-dire confirmer l’âme dans son immortalité. En effet, mourir au sensible c’est mourir à ce qu’il y a de périssable en nous pour ne conserver que ce qui perdure éternellement, à savoir les Idées vraies. La mort permet au philosophe d’approcher le Ciel des Idées car le corps est un obstacle : « aussi longtemps que nous aurons notre corps, et que notre âme sera pétrie avec cette chose mauvaise, jamais nous ne posséderons suffisamment l’objet de notre désir », la sagesse, le vrai (Platon, Phédon, 66-d). La mort serait donc l’indépendance accomplie de l’âme et apprendre à mourir serait apprendre que la mort n’est pas fermeture, mais délivrance. La philosophie, cet entrainement à la mort, nous soustrait donc à la crainte de mourir.

Cependant la mort est avant tout individuelle et le cri de l’individu conscient de son trépas vient s’insurger contre la mise sous système platonicienne de la mort. Léon Tolstoï par exemple s’est révolté contre cette systématisation. Selon lui, on ne peut déduire d’un raisonnement syllogistique que je suis mortel. Vladimir Jankélévitch écrit ceci dans son commentaire de La Mort d’Ivan Illitch : « Au début d’Ivan Illitch, Tolstoï dit que les syllogismes ne nous apprendront rien sur la mort de Pierre ou d’Ivan ; tous les hommes sont mortels, je suis un homme : donc je suis mortel aussi. Mais de là, vous ne pouvez conclure à ma mort personnelle. » On ne peut systématiser la mort ni la déduire de ses prémisses dans la forme du syllogisme, ce serait là nier que le passage de la vie à la mort est également le passage au « Tout-autre-ordre », comme le dit Pascal. La philosophie, dans la lignée de Platon, a osé, comme l’écrit Franz Rosenzweig dans L’Etoile de la Rédemption, « rejeter la peur du terrestre, enlever à la mort son dard venimeux, son souffle pestilentiel à Hadès ». Elle ose regarder l’âme s’envoler tout en abandonnant le corps à la merci de la mort. Mais c’est là oublier le cri terrible de l’individu, l’angoisse de la mort qui n’a

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