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Littératures francophones, réflexion sur l'identité

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Par   •  6 Juin 2017  •  Dissertation  •  3 159 Mots (13 Pages)  •  1 729 Vues

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        Meursault, contre enquête est le premier roman de Kamel Daoud, paru en 2013 en Algérie. Il fait partie de la littérature francophone. L'auteur est né en 1970, bien après la guerre d'indépendance de l'Algérie (1954-1962). Il est journaliste chroniqueur en langue française au Quotidien d'Oran. Ses articles font polémique au sein de la société algérienne et questionnent l'évolution du pays après l'indépendance, la place de la femme et de la religion, la liberté d'expression. Son livre est comme un contrepoint à L'étranger et un hommage à l'œuvre de Camus, enfant de l'Algérie française, défenseur des injustices envers les autochtones à l'époque coloniale.

        Dans le roman de Kamel Daoud, le narrateur Haroun est le frère de l'arabe sans nom ni famille, tué sur une plage de l'Algérie coloniale en 1942, par Meursault le personnage du roman L'étranger d'Albert Camus. Soixante dix ans après le crime, Haroun est devenu vieux et raconte l'histoire de sa famille autour de l'événement tragique survenu par le meurtre de son frère. Il sort ainsi de l'anonymat cet arabe inconnu dans L'étranger et évoque les conséquences qu'on eut le crime sur sa vie et celle de sa mère. Malgré l'aspect dramatique de son témoignage, son discours vif et sa réflexion ne manquent pas de quelques pointes d'humour ironique.

Par son premier roman littéraire et en partant d'un fait réalisé dans le roman de Camus pendant la période coloniale, Kamel Daoud trouve le moyen de continuer d'interroger la société algérienne contemporaine et de questionner, comme dans ses chroniques, ce qu'elle fait de sa liberté.

        L'extrait dont est issu le texte se situe vers la fin du premier tiers du livre, le narrateur a commencé son témoignage plusieurs soirs de suite dans un bar d'Oran. Il coupe parfois son monologue introspectif pour interpeller de manière intime le lecteur perçu comme voisin de bar et à la fin du chapitre, il évoque pour la 2ème fois un personnage fantomatique qu'il semble bien connaître. Nous lirons cet extrait comme une réflexion de l'auteur sur ce qui construit l'identité d'un individu ou d'un peuple.

D'abord à travers l'image paradoxale de la mère que nous étudierons. Puis par le passage de la révolte à cette mère et à la société de l'époque. Enfin nous verrons comment l'auteur aborde aussi un questionnement sur les liens qu'entretiennent la langue et la construction de soi.

        Haroun raconte son histoire à qui veut l'entendre dans un bar, il s'agit de souvenirs dont les temps des verbes sont conjugués aux temps du passé. On peut voir qu'il aime sa mère, il emploie deux fois "M'ma" dans le texte (l 16 & 37), un diminutif affectueux pour la nommer, présent dans toute l'œuvre. Cela montre qu'elle est intégrée dans son monde affectif. Cette affection pour sa mère est confirmée par l'emploi d'une assertion d'évidence "Bien sûr" (l 9), à sa propre question: "L'ai-je-aimée" (l 9), tout en précisant la nature des liens mère fils qui les unissent dans la culture algérienne (l 10): "Chez nous, la mère est la moitié du monde". Ainsi l'auteur présente l'importance du lien mère fils dans la structuration de l'identité individuelle et aussi ce que la mère peut représenter dans la société algérienne en terme de construction sociale et culturelle. Sa vision concernant la mère est d'ordre psychologique et sociologique.

Cependant au départ, ces liens se montrent sous un aspect plutôt fusionnel comme le sous entend le diminutif affectif. Mais l'affection pour sa mère s'exprime aussi dans des rapports plus distanciés, dans la mesure où le narrateur témoigne de compréhension envers les souffrances subies par sa mère, souffrances qu'il considère comme causes de certains comportements. Une adversité dont la violence est soulignée par un arrachage de la mère à sa famille d'origine, sa racine, elle est "arrachée à sa tribu" (l 2), et d'un abandon, elle est "offerte" à un inconnu. Cette mère ne choisit pas sa vie et l'amour n'y a pas de place, elle est comme un objet que l'on déplace selon les déterminismes de la culture autochtone du pays, une presque esclave dont on a volé la liberté individuelle, elle est "obligée de travailler" et ce n'est pas pour vivre, mais pour "survivre" (l 6). L'auteur accentue le caractère dramatique et misérable de la situation de la mère, avec les souffrances opprimantes comme source de perte de soi.

Haroun a donc un regard compréhensif envers les causes du trouble maternel et il en discerne quelques particularités, en effet sa mère semble avoir érigé ses malheurs en religion qu'elle incarne par un ensemble de comportements existentiels pour elle: "Elle prit goût pour son martyre". Par rapport à son fils Haroun présenté comme "trop silencieux", elle est étouffante et ses obsessions sont envahissantes: Elle rend "vivants les fantômes" (l 16), elle fait chercher son fils Moussa assassiné, par son petit frère Haroun, de ce fait elle introduit son enfant restant dans un délire mental. Elle croit retrouver le corps, entendre le souffle, reconnaître des empreintes de pas (l 27), de fortes hallucinations qui dénotent un trouble psychique grave. L'auteur semble montrer que la vie soumise d'une part et l'ignorance de l'identité d'autre part - cet arabe sans nom disparu emporté par les eaux (l 41)- atteignent gravement et profondément les individus. Cette image de l'eau monstrueuse et destructrice est aussi reprise dans un des éléments du portrait de la mère que fait Haroun: (l 17 et 18) "d'anéantir ses proches, de les noyer sous ses monstrueux flots". La mère et ses délires sont comme un raz de marée qui envahit la vie des personnes autour d'elle, un envahissement susceptible de faire perdre la personnalité de ses proches, en commençant par son fils restant qu'elle maltraite. Par ses obsessions partagées, elle opprime son fils. Ainsi, même s'il semble aimer sa mère et comprendre ce qui la conduit à adopter ses comportements maltraitants, Haroun discerne aussi dans les dérèglements mentaux qui habitent sa mère et ne veut pas s'y noyer. Le seul moyen de garder sa raison et sa personnalité est la révolte, une nécessaire et salutaire lutte pour se garder de la folie et de la perte de soi. Et c'est ce que fait Haroun, il résiste à différentes oppressions: A celle de sa mère bien sûr mais aussi à celle sociale. Cette oppression a deux source: Celle provenant de sa propre culture et celle dont la source est la culture étrangère introduite dans son pays colonisé par la France.

        Par son regard distancié, le fils se positionne dans une situation de réflexion sur ce qui est arrivé à sa famille et à sa mère en particulier, c'est une première étape. L'auteur met en avant qu'il est important de garder un esprit critique par rapport à la vie. Haroun discerne et comprend certes, mais il ne va pas jusqu'au pardon des attitudes destructrices de sa mère à son égard: "Mais je ne lui ai jamais pardonné sa façon de me traiter" (l 11). De plus Haroun refuse de subir la mort de son frère ainé, en faisant cela il est puni par sa mère, mais il se dissocie plus encore et entre en résistance contre la fabulation autour de la mort de son frère, l'histoire familiale réinventée par sa mère et ignorée par Camus, cet aspect représente un autre type de lutte: "j'avais en moi de la résistance" (l 14).

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