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Commentaire réparer les vivants

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Par   •  29 Mai 2017  •  Commentaire de texte  •  2 043 Mots (9 Pages)  •  4 372 Vues

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Objet d'étude : le personnage de roman, du XVIIème siècle à nos jours

Étude d'une oeuvre intégrale : Réparer les vivants de Maylis de Kerangal (2014)

Lecture analytique n° 3 :

« My heart is full »

De l'influence des rayons gamma

sur le comportement des marguerites,

Paul Newman, 1973

        Ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, depuis que sa cadence s’est accélérée à l’instant de la naissance quand d’autres cœurs au-dehors accéléraient de même, saluant l’événement, ce qu’est ce cœur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l’a étourdi, ce qui l’a fait fondre – l’amour ;  ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d’un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l'écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d’un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l’effort, l'émotion qui précipite, l'énergie prodiguée  pour se comprimer  près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu’à cinq litres de sang,  oui, seule cette ligne là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, lui, échappe aux  machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit-là, nuit sans étoiles, alors qu’il gelait à pierre fendre sur l’estuaire et la pays de Caux, alors qu’une houle sans reflets roulait  le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d’un organe qui se repose, d’un muscle qui lentement se recharge – un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute – quand l’alarme d’un portable s’est déclenché au pied d’un lit étroit, l’écho d’un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l’écran tactile les chiffres 05:50, et quand soudain tout s’est emballé.

https://www.youtube.com/watch?v=oqNclnCEKp4

        Si on se penche sur la première page, avant même le début du roman, on notera que Réparer les vivantscommence par l’extrait d’un film réalisé par Paul Newman, De l’influence des rayons gamma sur le comportement des Marguerites – « My Heart is Full ». Tout simplement. « Mon cœur est plein ». « Que deviendra tout ce qui emplissait ce cœur, ses affects lentement déposés en strates depuis le premier jour ou inoculés ça et là dans un élan d’enthousiasme ou un accès de colère…? » se demande la mère de Simon Limbres. Le cœur est un organe certes, mais c’est aussi le centre de nos émois, de nos peurs et de nos tristesses. Réparer les Vivants l’envisage sous toutes ses formes et se balance entre différents points de vue, celui des médecins et infirmiers et celui des patients et de leurs proches, tous ayant des approches et des interrogations différentes. 

Beatrice Hunsdorfer est devenue veuve sans avoir revu son mari, qui l'avait abandonnée. Péniblement, elle élève ses deux filles dans une morne banlieue. Psychologiquement perturbée et fragile, Beatrice a de fréquentes disputes avec son aînée, Ruth, qui ne songe qu'à courir les garçons entre deux crises d'épilepsie. Tilly, la cadette, est d'un naturel renfermé. Elle affectionne par-dessus tout les expériences de sciences naturelles. Beatrice aimerait inculquer à ses filles cette méfiance que lui inspirent les hommes, méfiance qui lui a pourtant fait perdre mari, amants et amis... 

Sans emploi, elle loue une chambre à des vieillards impotents largués par leurs familles. Elle a deux enfants, Ruth, brune, un peu dévergondée, et Mathilda, blonde et introvertie, respectivement 16 et 11 ans (plus ou moins). Le mari les a abandonnées, avant de mourir subitement dans une chambre de motel. Ruth, la nuit, fait des crises d’épilepsie, se réveille en panique. Mathilda, obnubilée par ces cours de biologie et par le mot « atom » (qu’elle ne cesse de se répéter), réalise un projet sur l’influence des rayons gammas sur la croissance des marguerites, qui scandera la progression temporelle du film.

Une scène.

Mathilda a remporté le premier prix à la foire des sciences à son école. Sa mère, ivre, folle, trop maquillée, habillée en robe de soirée et en talons hauts qui la font trébucher, est arrivée trop tard pour la remise des prix. Elle avait préparé la phrase qu’elle devait dire si sa fille remportait le prix : « My heart is full ». Elle surgit dans l’auditorium et s’avance vers l’assemblée. Par trois fois, sous les rires d’une petite peste, sous le regard de ses enfants honteux, et d’une foule rassemblée sur l’estrade, elle répétera la phrase, un peu plus haut, en s’époumonant au final : « My heart is full ».

Je me demande si on a déjà filmé de façon aussi magnifique, sensible et bouleversante la douleur d’une mère perdue au monde, que ces enfants finissent par prendre violemment en pitié ? Et la cruauté inouïe qui en découle, dans les yeux des enfants, le visage d’une mère déjà plus très jeune, et qui était déjà une « loonie » au collège (tout le monde s’en rappelle). A-t-on déjà filmé une plus belle adhésion à la vie — et la tristesse devant ceux qui ont perdu l’espoir — que celle qui surgit à la toute fin du film ? On entend la voix de Mathilda, posée, calme, sur le dernier plan, un arrêt sur image sur son visage : « Atom. Atom. What a beautiful word. No, Mama, I don’t hate the world. »

p. 120

- échange oral autour de cet extrait

  • Entraînement commentaire : trouver un plan et une problématique

        Cet extrait constitue le tout début du roman : ce que l'on appelle l'incipit, qui a traditionnellement pour fonction de constituer un horizon de lecture pour le lecteur, c'estt-à-dire donner les informations nécessaires à la compréhension, mettre en place l'histoire ou encore donner un aperçu du style de l'auteur. Ce passage qui est isolé ensuite par un blanc, est original car il donne en effet des informations sur la suite mais il fonctionne de manière quasiment autonome. Il met en valeur le coeur qui constituera le fil rouge du roman en lui conférant déjà toute sa portée symbolique : à la fois organe vital mais aussi siège des sentiments et des émotions.

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