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Civilisation de la lumière

Étude de cas : Civilisation de la lumière. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  19 Janvier 2015  •  Étude de cas  •  1 977 Mots (8 Pages)  •  576 Vues

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illes Lipovetsky : Dans tous les domaines, oui, mais de manière inégale…

En vous lisant, on a le sentiment que tout ce que l’on gagne en allègement, on le paie d’une autre façon…

Tout à fait. Mais il y a une nuance à apporter, qui est importante.

Dans le domaine énergétique, on n’est pas encore dans le léger. La production d’électricité, pour l’essentiel, sur la planète, provient du charbon. Le charbon, ce sont les mines, l’empreinte carbone qui provoque le réchauffement climatique. C’est aussi les centrales nucléaires dont la catastrophe de Fukushima n’a nullement arrêté le développement. On est dans le lourd, là. Dans mon livre, je dis que "nous entrons dans la civilisation du léger", cela veut dire que c’est une civilisation naissante, qui n’en est qu’à ses débuts. Dans le domaine énergétique, il est clair qu’il est impératif de développer les énergies renouvelables – via les éoliennes, l’utilisation du mouvement des marées – afin d’arriver à une énergie douce. La transition énergétique qui nous fera entrer de plain-pied dans le léger n’est pas une coquetterie : c’est un impératif écologique fondamental si on ne veut pas se retrouver avec cinq-six degrés de plus sur la planète.

S’il y a un impératif de légèreté dans le domaine énergétique, dans les autres domaines, le léger s’est, pour ainsi dire, imposé de lui-même…

La civilisation du léger est très récente. Au moment de la Révolution Industrielle, au XIXe siècle, on est dans le lourd : l’acier, le charbon, le pétrole, les chemins de fer, les barrages, tout cela n’a rien de léger. Le mouvement de bascule s’opère après la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi ? Il y a d’abord les inventions technologiques comme le plastique, que Barthes avait parfaitement repéré. Le plastique permet en effet la fabrication de tout un tas de produits légers pour la maison ou les loisirs, comme les appareils photo, les premiers transistors, etc. Plus globalement, dans la société de consommation qui est la nôtre, tout bascule dans une logique de recherche de légèreté. Parallèlement, sur le plan culturel, on célèbre l’hédonisme : le consumérisme, c’est l’hédonisme, la jouissance du présent. C’est la loi de l’entertainment, dans l’information, la publicité. On a une actualité ennuyeuse, sombre et on cultive l’humour, la bonne humeur, les clins d’œil.

Nous sommes entrés dans un capitalisme de séduction, dites-vous… La séduction n’est plus un jeu social, c’est le principe d’organisation de notre économie…

L’économie ne marche plus à la nécessité, à la contrainte. Certaines économies, en effet, reposaient sur l’exercice d’une certaine violence, d’autres sur la nécessité de trouver des moyens de subsistance. Le capitalisme de consommation repose sur l’industrialisation du léger. La voiture, aujourd’hui, est un bien à la fois utile et un bien qui reflète la mode, un style… tout le système repose sur une logique légère qui est celle du renouvellement permanent, c’est-à-dire de l’éphémère. Le modèle de la mode – le paraître, le vêtement – s’est insinué partout : l’économie repose aujourd’hui sur une logique de mode, qui est une logique de séduction. Il faut capter le désir, proposer de la nouveauté…

Et générer, quelque part, de la frustration ?

Oui, c’est vrai. Mais il ne faut pas trop charger la barque. J’imagine que vous ne passez pas vos vacances au Carlton à Cannes, que vous ne voyagez pas en première… Est-ce que cela vous empêche pour autant de passer de bonnes vacances ? Vous sentez-vous frustrée ?

Non (rires) !

Partir avec Easyjet ne vous empêche pas de passer un bon moment ! La vraie frustration, c’est quand on ne peut plus joindre les deux bouts. C’est moins la légèreté qui frustre que sa négation, lorsqu’on ne peut plus profiter des choses. Ce qui est le plus lourd, c’est quand on n’arrive plus à payer la facture du smartphone, ou à partir en vacances. Cela dit, sur un plan plus philosophique, cette forme dominante de la logique légère a quelque chose moins de frustrant que d’insatisfaisant pour l’image qu’on peut se faire de l’être humain.

C’est-à-dire ?

L’être humain n’est pas qu’un consommateur. Il peut l’être, c’est vrai. Mais c’est réduire considérablement l’homme et ce qu’on voudrait qu’il soit que de ne le considérer que comme tel. Dans une vision humaniste, l’homme est un être qui pense, qui réfléchit, qui peut créer, améliorer le monde… Il ne se réduit pas à acheter des marques. Trop de légèreté tue la légèreté.

Vous notez que "le consommateur est moins obsédé aujourd’hui d’affichage social que de plaisirs inédits". "Aux luttes symboliques de classe, écrivez-vous, succèdent les visées d’allègement du vécu individuel"…

Je montre en effet qu’il y a un retournement. Le consumérisme peut être vécu comme quelque chose de lourd à la longue. On peut donner plusieurs définitions de la légèreté. Traditionnellement, la légèreté, on la dénonce : le léger n’a pas de substance, d’épaisseur, de valeur. Seul le profond, le lourd, est riche. Seul le sérieux mérite l’attention. La légèreté, c’est ni sérieux, ni vrai, ni faux, c’est superficiel.

En même temps, vous démontrez au début de votre livre que "la puissance du léger" ne date pas d’aujourd’hui : il y a toujours eu un besoin, une recherche de légèreté. Ce qui veut dire que le léger est nécessaire. Vous citez en exemple la joie, qui est la forme la plus aboutie de la légèreté et, en même temps, le but vers lequel nous tendons tous…

Absolument. Il y a une nécessité anthropologique de la légèreté. La preuve, c’est qu’aucune société n’ignore les fêtes, les plaisanteries, l’art, la comédie… La légèreté, c’est la respiration. L’être humain a beaucoup de problèmes, de soucis, d’angoisses : la légèreté lui permet d’oublier, d’évacuer cette charge. Quand on dénonce la légèreté, on va un peu vite en besogne. Au fond, chacun recherche le bonheur, et le bonheur, qu’est-ce que c’est ? En grande partie, c’est quand on se sent léger. Quand on est vraiment heureux, on saute en l’air, on est, comme on dit,

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