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Fiche de lecture - Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour, 2014

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Par   •  8 Mai 2016  •  Fiche de lecture  •  4 745 Mots (19 Pages)  •  25 594 Vues

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Fiche de lecture

ERNAUX Annie, Regarde les lumières mon amour, Seuil, coll. « Raconter la vie », 72 p.

Annie ERNAUX est une célèbre écrivaine française née en 1940. Excellant dans les écrits romanciers, les principales œuvres qui feront sa renommée sont La Place (1983) et Les Années (2008) pour lesquelles elle sera récompensée. De plus, elle complète son statut d’écrivain grâce à ses interventions en tant que professeur de lettres dans plusieurs établissements, et son statut de chercheuse à la CNED (Centre National d’Enseignement à Distance). Regarde les lumières mon amour est son dernière œuvre littéraire datant de 2014. Son livre retrace une période de sa vie sous le format d’un journal, où elle décrit une grande surface en plein cœur de Cergy : celle d’Auchan des Trois-Fontaines, dont le côté cosmopolite et très hétérogène n’est pas seulement lié à la consommation. Elle se lance alors dans une description intense et déterministe des comportements humains, pour relever la particularité et le potentiel sociologique du lieu.

Annie ERNAUX décide de s’y rendre régulièrement afin de pouvoir capturer le plus de matière possible pour son livre, tout en gardant son style romancé pour simplifier le ton de son œuvre. Elle décrit les clients (leur physique, leur mentalité, leur comportement en public…), le personnel du magasin (leurs habitudes, les obligations vis-à-vis du métier, etc…), l’espace commercial (les fêtes, les occasions particulières, les changements…) dans son ensemble, en maintenant son point de vue extérieur et discret du client lambda qu’elle veut conserver à n’importe quel prix.

Annie ERNAUX apporte un regard nouveau sur l’hypermarché, même si elle n’est pas l’une des premières personnes à l’analyser. En effet, son analyse sur l’hypermarché incarne une revalorisation d’une réalité dénuée d’intérêt, alors qu’il apporte un réel intérêt sociologique. Ce lieu commercial a longtemps été délaissé par la littérature pour deux causes possibles. Premièrement, faire les courses relève d’une activité « féminine » selon le sens commun. Du coup, le domaine de l’hypermarché est un domaine invisible, qui ne mérite pas de l’intérêt comme sujet, et notamment pour la littérature. En second temps, il est possible que les écrivains, qui vivent majoritairement à Paris, ne peuvent connaître les hypermarchés car leur existence est quasi-nulle dans la ville (p.43) Du coup, le livre d’ERNAUX apporte un intérêt sociologique, c’est-à-dire prendre en compte l’hypermarché, qui a longtemps été considéré comme un lieu de vie délaissé et dénué d’intérêt alors que la pratique est très fréquente. Aujourd’hui, faire ses courses à l’hypermarché est une pratique hyper répandue et ne concerne peut-être pas toute une population mais une bonne partie. C’est une réalité sociale très forte. Donc, sous la lignée des méthodes d’Howard BECKER pour l’art[1] ou de Christian BROMBERGER[2] pour les pratiques culturelles, le rôle du sociologue n’est pas entériner les distinctions opérées dans une société entre ce qui a de la valeur et ce qui n’en a pas, mais au contraire enregistrer le réel, même si ce réel semble banal et sans intérêt : « J’y ai vu l’occasion de rendre compte d’une pratique réelle de leur fréquentation, loin des discours convenus et souvent teintés d’aversion que ces prétendus non-lieux suscitent et qui ne correspondent en rien à l’expérience que j’en ai. » (p. 12-13)

L’auteure veut montrer que l’hypermarché n’est pas seulement un « temple de la consommation », c’est-à-dire un lieu qui illustre la société de consommation. C’est aussi un lieu de socialisation, un lieu où il y a de la vie, des échanges, des phénomènes sociaux, etc. : « je me rends compte qu’à chaque période de ma vie sont associées des images de grandes surfaces commerciales, avec des scènes, des rencontres, des gens » (p. 10), « les super et hypermarchés ne sont pas réductibles à leur usage d’économie domestique, à la « corvée des courses ». Ils suscitent des pensées, fixent en souvenirs des sensations et des émotions. » (p. 11). Dire que l’hypermarché soit le lieu par excellence de la société de consommation est donc une vision restreinte et simpliste. Il faut en effet prendre en compte d’autres dimensions dans ce lieu : une forte fréquentation et une concentration d’individus très différents (« il n’y a pas d’espace, public ou privé, où évoluent et se côtoient autant d’individus différents : par l’âge, les revenus, la culture, l’origine géographique et ethnique, le look » (p.12)), un lieu où on peut tout trouver comme produit, un lieu où il y a de multiples interactions relatives, un lieu qui illustre un certain « laboratoire du social » dont on y retrouve des phénomènes sociaux (organisation du travail, distinction entre les classes sociales, les identités sexuées, un système de normes, etc.), et parallèlement un lieu de production du social (il participe à la construction des identités sexuées, à la production de comportements individuels, etc.). Donc, l’hypermarché représente un lieu qui illustre une société dans toutes ses composantes, où, en gros, la société se donne à voir mais aussi un lieu de production de cette société. L’hypermarché est un fait social total[3].

Pour écrire Regarde les lumières mon amour, la méthode d’Annie ERNAUX correspond à l’observation participante. Non seulement, c’est une observation où elle recueille sur un journal de terrain de multiples et diverses informations, même les plus banales, tout en participant : « Pas d’enquête ni d’exploration systématiques donc, mais un journal, forme qui correspond le plus à mon tempérament, porté à la capture impressionniste des choses et des gens, des atmosphères. Un relevé libre d’observations, de sensations, pour tenter de saisir quelque chose de la vie qui se déroule là. » (p. 15-16). En effet, ERNAUX va en hypermarché en tant que cliente et non seulement en tant qu’observatrice. Elle s’inclut dans l’analyse, non pas en tant qu’observatrice mais en tant que cliente qui observe les autres individus, mais aussi d’elle-même, par exemple quand elle cite sa liste de courses : « J’ai comparé avec la mienne : Ricoré/biscuits cuiller/mascarpone/lait, crème/pain de mie/chat [boîtes et croquettes pour] /post-it » (p.49-50). Cette technique représente bien le principe de l’observation participante : Annie ERNAUX recherche une forme d’anonymat, ne veut pas être reconnue (même si une cliente l’a reconnue : « Vous êtes Annie Ernaux ? » (p. 44)), doit se fondre dans la masse et doit faire partie du groupe tout en n’étant pas distincte de la population étudiée : « voir pour écrire, c’est voir autrement » (p. 71). En conclusion, Annie ERNAUX montre que la place de l’observateur est prendre conscience du pouvoir des mots et de la réception de ces mots pour atteindre une réalité : c’est le cas par exemple où elle hésite d’employer le terme d’« une femme noire » pour désigner l’individu qu’elle observe (p.21-22).

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