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La morale

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Par   •  10 Avril 2018  •  Cours  •  43 435 Mots (174 Pages)  •  696 Vues

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La morale

     « Morale » est un terme synonyme d’« éthique ». Si divers auteurs redéfinissent et contre-distinguent les deux mots – Hegel en est le cas le plus célèbre, caractérisant la « moralité » (Moralität) par son aspect abstrait, formel, tandis que l’« éthique » (Sittlichkeit) est chez lui concrète, ancrée dans la vie réelle d’un peuple[1] –, leur synonymie se manifeste pourtant aussitôt qu’ils se trouvent rapportés à leur sens originel, étymologique : « éthique » provenant du grec ethos, au pluriel ethè, renvoie aux manières de vivre, aux coutumes, aux mœurs ; et « morale » provenant du latin mos, au pluriel mores, renvoie également aux mœurs, aux habitudes, aux façons. Il est au reste remarquable que le terme mores, transposé dans le français « mœurs » (où il n’existe qu’au féminin pluriel), a habituellement servi dans un contexte latin à traduire le grec ethè. Notons alors que la morale – ou l’éthique – renvoie aux manières de vivre mais sans pourtant nous ramener à l’ordre du pur factuel, ces manières exprimant également du sens, des orientations, des valeurs. Disons alors que la morale – la morale des mœurs si l’on peut dire – renvoie à la fois au factuel des modes de vie et au « valoriel »[2], et nous nous trouvons ici aux confins du descriptif et du prescriptif, le fait devant servir de norme, ce qui se fait devant aussi bien être fait. Nous nous trouvons ainsi dans un ordre où règne la tradition. Mais sitôt que ce règne s’use, s’érode, perd de son évidence, dès lors que la subjectivité émerge, s’affermit, affirme sa valeur et son droit, déploie sa critique, la morale tend à se déprendre des mœurs et, s’en distanciant les critique, recherchant un autre fondement que la vie coutumière qu’elle est à même désormais de réformer.

     Ainsi, si « morale » et « mœurs » sont des termes qui ont la même racine, il nous faut certes bien penser d’un côté une « morale des mœurs », celle qui, issue d’elles, s’ancre en elles, s’étaye sur elles, mais aussi d’un autre côté un type différent de morale qui trouve son fondement en dehors même des habitudes de vie d’une communauté ou d’un peuple – soit, pour rappeler les positions les plus connues, en Dieu (la Bible), dans la nature (la philosophie grecque), dans la subjectivité universelle (la raison pratique de Kant), la subjectivité individuelle (la liberté individuelle chez Sartre, le positivisme). Ce second type de morale, trouvant un ancrage en dehors des mœurs, prétend pour cela même à l’universalité (sauf quand il s’agit d’une fondation dans la subjectivité individuelle bien sûr[3]) alors que la morale des mœurs reste liée à la particularité de celles-ci. Il nous est en tout cas apparu que la morale peut être envisagée dans le prolongement des mœurs mais également en conflit avec elles : en collusion ou collision avec une culture donnée et ses coutumes, telle est le double possible qui s’impose à une toute première approche introductive. Commençons par analyser le premier cas.

     La morale des mœurs

     Penser une « morale des mœurs », en prolongement avec elles, consiste au fond à envisager une situation qui n’est plus la nôtre, celle où les coutumes d’un peuple, ses manières d’être, d’agir, de penser, de sentir même, sont à la fois des faits et des normes : au sein d’un peuple qui se trouve ainsi « enfoncé » dans la « vie éthique » (allemand : Sittlichkeit) que Hegel nomme aussi « vie substantielle », les individus se comportent de fait selon une modalité particulière qui est en même temps et aussi bien celle qui est exigée. Ce qui se fait est aussi bien ce qui doit se faire et plus un peuple se trouve ainsi immergé dans « l’immédiateté de la vie substantielle » (Hegel) ou en ce que Rousseau nomme la « simplicité des mœurs », moins il y a d’écarts possibles par rapport à ce qu’il convient de faire – l’esprit critique, l’autonomie du sujet, la distance entre l’individu et le peuple n’étant pas encore engendrés et inscrits en cette culture, intégrés à l’état d’esprit des hommes. Dans cette situation que nous cherchons à appréhender ici, la loi, à bien y réfléchir, n’a pas même besoin d’être formulée : il n’est pas nécessaire de dire l’interdit, ce dernier étant précisément déjà dit « entre » (entre ce qui est dit et au sein même de ce qui se fait). Et même : l’interdit ici, s’il était dit, constituerait la thématisation du négatif, de ce qu’il ne faut pas faire, thématisation pour ainsi dire inutile (puisqu’elle suppose la scission, la possibilité de l’écart qui n’est pas une possibilité réelle, effective à ce stade) et aussi bien dangereuse en suggérant la possibilité du mal : à la limite, à ce niveau de la vie entièrement immergée dans les mœurs, l’interdit ne doit jamais être dit, car sitôt dit il risquerait de donner l’idée de l’infraction : interdire, ici (non pas dire entre, en creux, mais dire en plein et expressément), serait ouvrir la possibilité du mal agir. Nous sommes ici au niveau le plus profond de la vie immergée dans les mœurs. À un autre niveau, les normes sont formulées et non remises en cause, acceptées.

     À ces divers niveaux de la morale des mœurs les normes paraissent « naturelles » – au double sens d’évidentes et dans l’ordre ou la nature des choses –, vont de soi et ne sauraient paraître, pour ceux qui se trouvent immergés dans le réel qu’elles structurent, particulières mais universelles. Autrement dit, les normes et les valeurs, quand l’appartenance à la « substance éthique », à une communauté sociale, est pleine, entière, « immédiate » (nous reprenons encore le lexique hégélien) – quand les individus appartiennent immédiatement et donc totalement à leurs appartenances – sont vécues comme absolues. Pour ceux qui en sont imprégnés, elles se manifestent avec la massivité des faits : ce qui se fait vaut et ce qui vaut se fait. Nous sommes au fond dans l’ordre où la tradition règne, où ce qu’il convient de faire est déjà ce qui se fait, ce que l’on fait « de tout temps » et « depuis toujours », où l’impératif, en réalité évident et qui ne se présente pas comme tel, est d’être dans le « droit de fil » d’un passé. Passé à son tour qui n’est pas thématisé comme tel, comme passé – car c’est l’historien, avec son recul, qui thématise, objective, date son objet – mais passé qui se présente, passé-présent, passé qui passe jusqu’au présent (comme on parle en athlétisme, dans les courses de relai, de « passage du témoin »). Pour l’homme de tradition, il ne s’agit pas de se tourner volontairement vers le passé (= commémoration ou histoire) ni émotionnellement en tant qu’il a disparu (= nostalgie), mais de se laisser porter par lui car il vient à lui. La commémoration est un rapport volontaire et existentiel au passé : on commémore un événement fondateur afin qu’il continue de jouer son rôle de fondement : on a ainsi fêté en 1989 le bicentenaire de la Révolution française, mais en cherchant en elle un appui pour le présent et l’avenir, maximisant le positif (l’affirmation de la liberté, de l’égalité, la déclaration des droits de l’homme) minimisant le négatif (la terreur) que les historiens se sont alors faits fort de rappeler aux organisateurs des cérémonies commémoratives. La tradition, elle, contrairement à l’histoire qui est liée aux documents écrits et autres traces objectives, est essentiellement orale : elle vient jusqu’aux oreilles, plus qu’aux yeux, et n’éprouve le besoin de l’écrit que quand elle se dévitalise : surgit alors Homère qui recueille les traditions hellènes, plus qu’il ne les invente, et leur donne une forme poétique, le romantisme allemand qui cherche à renouer avec les traditions germaniques anciennes, les recueille et les transcrit (les frères Grimm). Mais tradition n’est pas traditionalisme (= attitude volontariste de revenir à un univers traditionnel, ce qui est contradictoire avec la tradition qui est transmission et force du passé passant de lui-même jusqu’au présent).

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