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Ulysse ou la transgression du langage

Dissertation : Ulysse ou la transgression du langage. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Octobre 2020  •  Dissertation  •  3 045 Mots (13 Pages)  •  377 Vues

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Ulysse ou la transgression du langage

« L’écrivain est celui qui se joue des limites et des interdits : il les érige et en rit[1]. »

En tête du palmarès des livres que l’on a dans sa bibliothèque pour avoir l’air intelligent mais qu’on ne finira jamais, serré entre un Heiddeger et À la recherche du temps perdu se trouve l’un des romans les plus importants de la littérature moderne : L’Ulysse de James Joyce. Né en banlieue de Dublin le 2 février 1882, poète, essayiste, romancier et même dramaturge, la plupart d’entre nous le connaissons pour son colossal Ulysse, qui divise les lecteurs, même à ce jour. Stigmatisé ou encensé avant même sa publication, il choque pour des raisons évidentes ; : obscène, « illisible », élitiste, prétentieux ou simplement surfait, il va sans dire que cet ouvrage a fait couler beaucoup d’encre. Joyce s’inspire des aventures du Ulysse d’Homère et fait de son protagoniste, Leopold Bloom un anti-héros, c’est-à-dire un homme ordinaire qui n’a aucun talent particulier, un peu paresseux, mou et par-dessus tout, loin du Ulysse qui massacre les prétendants de Pénélope à son retour à Ithaque. Léopold, lui, s’endort plutôt dans le lit marital acceptant le fait qu’il ne soit pas le seul homme à s’y être allongé en cette journée du 16 juin.

Inspiré librement du schéma narratif de l’Odyssée homérique, cette œuvre respecte les règles du théâtre classique, soit l’unité de temps, de lieu et d’action : l’histoire se déroule en moins de vingt-quatre heures (dix-neuf pour être précis), ne dépasse pas les limites de la ville de Dublin et suit les pérambulations ordinaires de deux hommes dans la capitale irlandaise : Léopold Bloom et Stephen Dedalus. L’action du premier serait bien entendu le voyage du retour au lit conjugal où l’attend sa femme, Molly Bloom, mais la trame narrative symbolise aussi père et fils métaphoriques qui finiront par se réunir, à l’image d’Ulysse et de Télémaque. 

Une chose est certaine, ce roman a eu l’effet d’une bombe. Ulysse sera rejeté par plusieurs imprimeries et maisons d’éditions, notamment la Hogarth Press de Virginia et Leonard Woolf, leurs effectifs ne permettant pas l’impression d’une œuvre de cette ampleur[2]. Il sera premièrement sérialisé par épisodes dans The Egoist, un magazine littéraire anglais, puis imprimé par le Little Review des américaines Margaret Anderson et Jane Heap qui seront toutes deux arrêtées et accusées de « pornographie » par la Société pour la prévention du Vice de New York après la publication de l’épisode « Nausicaa », en 1921. Ce sera enfin Sylvia Beach de Shakespeare and Company (Paris) avec l’aide de sa compagne, Adrienne Monnier (La Maison des Amis des Livres)[3], qui auront le courage d’imprimer en un volume ce roman colossal comptant quelques 933 pages et dont le manuscrit original contient plus de deux mille erreurs typographiques[4]. L’œuvre sera bannie pendant treize ans aux États-Unis et des centaines d’ouvrages seront brûlés en masse à leur arrivée aux frontières canadiennes, états-uniennes, irlandaises et britanniques. Il faudra faire montre de grande ingéniosité et d’une bonne dose de courage afin de faire passer le roman outre-Atlantique. Il sera finalement publié aux États-Unis par Random House en 1934, à la suite d’un procès interminable. Ulysse fait bien évidemment éclater les morales conservatrices du XXe siècle par un contenu jugé obscène, mais la véritable nature transgressive de cette œuvre réside plutôt dans sa forme et son style atypiques, dans son caractère illisible

Les bas de Gerty MacDowell

Parmi les passages jugés scandaleux se trouvent des scènes d’adultère (Circé, Pénélope), d’urination (Protée, Ithaque) de défécation (Calypso), de bordel (Circé) et aussi (par dessus tout) s’y trouve l’épisode « Nausicaa », celui qui a choqué la Société pour la prévention du Vice de New York et qui a entraîné des accusations contre Joyce et ses publicatrices du Little Review. Dans cet épisode, Léopold Bloom, ayant quitté le pub et ses connaissances, décide de faire une promenade le « long du rivage de Sandymount[5] » où il observe trois jeunes femmes assises sur un rocher qui, à leur tour, surveillent deux jeunes garçons jouant au ballon ainsi qu’un bambin dans sa poussette. Gerty, une des jeunes femmes, réalise bien vite que « le monsieur en noir qui était assis là tout seul » (p. 579), « c’était bien elle qu’il regardait et son regard en disait long » (p. 581). Le lecteur comprend aussi rapidement la nature du regard de Bloom sur Gerty, puisqu’il se masturbe en la regardant alors que les feux d’artifice de la kermesse Mirus fusent et explosent dans le ciel. Joyce suggère cela par la description imagée de cette scène : « alors une fusée pulsa et splasha en spasmes de blancs flashes et Oh ! elle éclata la chandelle romaine et ce fut comme si elle soupirait : Oh! et tout le monde cria Oh ! Oh ! et il en jaillit en gerbe un flot de cheveux d’or...» (p. 596) Gerty MacDowell en retire aussi un plaisir, s’exposant aux yeux de Bloom jusqu’à l’extase : « et elle le laissait et elle voyait qu’il voyait et puis cela monta si haut qu’on le perdit de vue un instant et elle tremblait de tous ses membres à force de rester renversée à ce point qu’il avait vue bien au-dessus du genou là où personne n’avait jamais pas même à la balançoire...» (p. 596)

L’aspect le plus choquant de cet épisode n’est pas le voyeurisme/exhibitionnisme mutuel de Leopold Bloom qui se masturbe quasi-publiquement et de Gerty qui retire du plaisir à s’exposer devant un homme qui se masturbe en la regardant, mais de sa juxtaposition avec des éléments religieux tout au long de l’épisode.  En effet, les personnages assistent de très loin à une messe : « Les fenêtres ouvertes de l’église diffusaient le parfum de l’encens et avec lui les noms parfumés de Celle qui fut conçue sans la tache du péché originel, vase spirituel, priez pour nous...» (p. 580), alors que, Gerty MacDowell « pouvait se représenter toute la scène dans l’église, les vitraux illuminés, les cierges, les fleurs... » (p. 583) De plus, d’après le schéma Gorman[6] (ou Gilbert), la jeune femme (vêtue de bleu et de blanc, précisons-le) deviendrait la « Vierge » dans la séquence « Vierge-Mères-Putain » (Nausicaa-Les Bœufs du Soleil-Circé). L’obscénité vient donc du fait que Gerty MacDowell représente de façon archétypale la Vierge Marie, Bloom se masturbant ainsi devant la suggestion d’une image de la Sainte Vierge[7], ce qui est on ne peut plus blasphématoire.

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