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La poésie, un genre privilégié d'expression de soi

Étude de cas : La poésie, un genre privilégié d'expression de soi. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Février 2015  •  Étude de cas  •  1 755 Mots (8 Pages)  •  2 363 Vues

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Introduction

[Amorce] Si l’on ouvre une anthologie poétique, les poèmes inspirés par l’expérience vécue des poètes occupent une place prédominante. Il est question des joies et des peines de leur vie, du temps qui passe, de l’amour, d’une séparation ou d’une mort, d’un voyage, etc. [Problématique] Cependant, en dehors de cette constatation statistique, on peut s’interroger sur la vocation du poète : est-elle seulement de nous parler de son vécu, de lui, de son moi intime ? [Annonce du plan] À travers cette inspiration personnelle, ne nous parle-t-il pas aussi de nous, de l’homme en général, d’autrui ? Et, au fond, la poésie ne dépasse-t-elle pas toute expérience vécue pour prendre d’autres fonctions, notamment retranscrire une expérience artistique, celle de la création poétique ?

I. La poésie, genre privilégié de l’expression de soi

1. Le poète s’inspire de ses propres expériences

La lignée des poètes qui ont choisi dans leur poésie d’exprimer leur vécu personnel tisse un lien depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours : Villon dès le xve siècle, Hugo et ses Contemplations, Baudelaire et le « Spleen », Apollinaire et ses Poèmes à Lou ou son « Pont Mirabeau »…

Les poètes s’inspirent des voyages, ancrés géographiquement dans la réalité : au xvie siècle, Du Bellay nourrit ses Regrets de son séjour en Italie et de la déception qu’il lui a occasionnée. Rimbaud raconte ses fugues à la belle étoile dans « Ma Bohême ». Blaise Cendrars dans sa « Prose du transsibérien » évoque « Moscou », le « Kremlin » et la « Place Rouge ».

Mais le poète revient le plus souvent sur les expériences plus douloureuses de sa vie : Orphée vient de perdre Eurydice lorsqu’il prend sa lyre pour raconter ses malheurs. Au xixe siècle, Hugo dans « Je fus comme fou… » raconte la mort de sa fille Léopoldine et les moments qu’il a vécus dans les jours qui ont suivi : « Oh ! je fus comme fou dans le premier moment, / Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement. / […] Je voulais me briser le front sur le pavé ; / Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, / Je fixais mes regards sur cette chose horrible… »

2. Le poète exhale émotions et sentiments

Ce retour sur une joie ou une épreuve personnelle donne aux poètes l’occasion de rendre compte de leurs sentiments intimes. En effet, dès l’origine, la poésie est fortement liée au lyrisme. Les poètes lancent souvent « je » en tête de leur poèmes, comme pour en donner immédiatement le ton : « Oh ! je fus comme fou » se souvient Hugo, et Tardieu hésite : « Je n’irai je n’irai pas… » Cette expression de soi se fait dans une langue musicale, propre à épouser les fluctuations de l’affectivité.

Parfois le poète feint la distance – en utilisant par exemple la troisième personne du singulier –, mais ce n’est qu’un détour pour parler de soi. Lorsque Rimbaud lance dans « Roman », « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », derrière le « on » se profile le poète lui-même qui rend compte de ses sensations et de ses émois d’adolescent.

3. Le poète, un être sensible

Mais pourquoi la poésie privilégie-t-elle l’expérience vécue et l’expression des sentiments ?

Cela tient essentiellement à la nature du poète. Être plus sensible que le commun des mortels, il perçoit le monde de façon plus aiguë et ressent d’une façon plus intense tout ce qui l’entoure. Rimbaud, à seize ans seulement, choisit la poésie pour exprimer ses émois d’adolescent dans « Roman », mais aussi ses colères contre toutes règles et contraintes, dans « Les Poètes de sept ans ».

Par ailleurs, le poète est un être d’imagination et non de logique. Ses sensations le guident et il trouve dans la poésie, riche en images et en notations sensorielles, le champ idéal pour faire ressentir son état d’âme. Lorsque Baudelaire veut exprimer sa soif de bonheur et son désir intense d’évasion, il recourt instinctivement à des images et à des synesthésies poétiques évocatrices : « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants / Doux comme les hautbois, verts comme des prairies » (« Correspondances »).

Mais surtout, le poète dispose du langage poétique. Ainsi, c’est par des hyperboles que Cadou peint sa passion pour Hélène : « c’était toi […] / Ces astres ces millions d’astres qui se levaient ». La richesse du vocabulaire affectif, les libertés syntaxiques qui permettent de disloquer la phrase, le jeu sur les rythmes, tout cela permet de traduire les fluctuations de l’âme.

La poésie permet une sorte de « catharsis » intime. Elle a même le pouvoir de faire revivre l’absent (« Vois-tu, je sais que tu m’attends… », dit Hugo à Léopoldine ; ailleurs : « Tenez ! Voici le bruit de sa main sur la clé… / Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! »).

II. Mais, le lyrisme prend une portée universelle

Il serait très réducteur de cantonner la poésie dans la seule expression du vécu intime et des sentiments personnels.

1. Le poète, un homme qui « porte en lui la forme entière 
de l’humaine condition »

Selon la célèbre formule de Montaigne, « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». Au xixe siècle, Victor Hugo, dans la préface de son recueil Les Contemplations, répond à ceux qui se plaignent des écrivains qui disent « moi » : « Ah ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. » Baudelaire lui fait écho quand il lance à son lecteur, dans Les Fleurs du mal : « – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! » (« Au lecteur »).

En parlant de son vécu, en exprimant ses sentiments, le poète cherche à dévoiler la nature humaine. Il part de lui-même pour donner une image de l’âme humaine. Et Hugo, à propos de ses Contemplations dit encore : « C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ».

2. L’expression de sentiments universels

Les poètes parlent de sentiments universels, qui peuvent toucher tout le monde et ont les mots pour rendre compte de ce que le commun des mortels éprouve mais ne sait pas exprimer. Quand Hugo parle du deuil de sa fille, il traduit la douleur qu’éprouve tout parent devant une telle injustice. Dans un de ses poèmes, il s’adresse directement à ceux qui ont vécu la même expérience : « Pères, mères, dont l’âme a souffert ma souffrance, / Tout ce que j’éprouvais, l’avez-vous éprouvé ? » Qui ne reconnaît pas les tourments de l’amour dans le sonnet de Louise Labé : « Je vis, je meurs : je me brûle et me noie » ?

De la même façon, de nombreux adolescents se reconnaissent dans « L’Adolescent souffleté » de René Char, qui se termine comme une vérité générale : les « coups » et la douleur rendent « à la fois plus vulnérable et plus fort ». La poésie devient réflexion sur l’homme.

3. Le poète parle de lui, mais aussi de l’autre

Il est en outre rare que le poète ne parle que de lui. Le sujet central d’un poème est très souvent l’autre. Ronsard dédicace ses poèmes à Hélène, Apollinaire destine à la femme aimée un recueil au titre significatif : Poèmes à Lou ; Baudelaire dédie un sonnet « À une passante ».

Ainsi, très souvent au « je » du poète sont associés des indices personnels de la deuxième personne qui renvoient à l’autre, être aimé ou perdu. Cadou mêle dès le premier vers le « je » et le « tu », pour mieux faire ressentir les liens qui l’unissent à Hélène : « Je t’attendais ».

Le tempérament du poète le pousse aussi à dépasser sa propre affectivité pour traduire les sentiments des êtres qui l’entourent avec lesquels il se sent en résonance et au nom desquels il « parle » : Baudelaire a-t-il vu des « Petites Vieilles » ? En rapportant cette expérience personnelle, il fait ressentir les joies et les peines de « Ces monstres disloqués […] / [Qui] Se traînent comme font les animaux blessés […] / Ils ont les yeux divins de la petite fille / Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit. […] / Ces yeux sont des puits faits d’un million de larmes ».

III. Les multiples natures de l’expérience poétique

Mais la véritable nature de la poésie n’est pas dans l’expérience vécue ; on ne peut la réduire à la peinture de soi ou de l’autre. Elle est avant tout un art aux multiples aspects et fonctions.

1. La poésie, un travail sur le langage

Le poète est avant tout un artisan des mots ; son art consiste à « déraciner les mots », à jouer avec eux, à inventer un nouveau langage. Rimbaud, dans « Voyelles » donne une couleur aux lettres par une cascade d’associations d’images, Queneau joue avec les sonorités qui s’appellent l’une l’autre, Max Jacob joue avec les familles de mots : « Ménage ton ménage / Manège ton manège / Ménage ton manège / Manège ton ménage ».

2. La poésie, un moyen de décrypter et de réinventer le monde

Ce travail sur les mots fait de la poésie un moyen de connaître le monde, de le décrypter, en rompant avec l’habitude, à en rendre compte par le jeu des images nouvelles : « [La poésie] dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement » (Cocteau).

Ainsi Ponge nous fait (re)découvrir des objets quotidiens que nous ignorions, comme « Le Pain » et ses merveilles en faisant de sa croûte la « Cordillères des Andes », Hugo nous fait entendre les bruits d’un matin à travers ses « Fenêtres ouvertes ».

Pour Baudelaire et Rimbaud, le poète est avant tout un « voyant » qui a pour mission de « percer » le mystère des choses et du monde, par la création de liens inattendus.

La poésie dépasse la réalité de l’expérience vécue et crée (le mot « poésie » a pour étymologie le verbe « poiein » qui signifie « créer » en grec ancien) des mondes nouveaux, inconnus et merveilleux, où « La terre est bleue comme une orange » (Éluard).

3. La poésie, « une arme chargée de futur » (Célaya)

Parce que le poète peut donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ou qui ne savent pas l’utiliser, il peut s’en servir comme d’une arme au service de grandes causes. Oubliant sa propre affectivité, il dénonce la guerre, l’injustice ou les tyrans, « Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps » (Saint-John Perse).

Hugo dans ses Châtiments dénonce violemment Napoléon le Petit et dans « Ultima verba » revendique vigoureusement ce rôle du poète : « Je serai […] / La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non ! » Desnos crie « Révolte contre Hitler et mort à ses partisans ! » (« Ce cœur qui haïssait la guerre »).

Mais, au fond, ces révoltes et ces combats ne s’appuient-ils pas sur le vécu du poète et ne sont-ils pas aussi une façon pour lui d’exprimer son moi, ses sentiments personnels ? « L’histoire a pour égouts des temps comme les nôtres… » dit Hugo (Châtiments).

Conclusion

[Synthèse] Toutes les missions que le poète assigne à la poésie supposent, à des degrés divers, l’expérience personnelle et l’expression des sentiments du poète. [Ouverture] Et si, au fond, la poésie n’était qu’un art au même titre que la peinture, la sculpture ou la musique n’ayant pour but que de créer un bel « objet », le poème ?

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