La fatalité

La fatalité

Contrairement au quadragénaire qu’il côtoyait, Patrick Lalonge menait une vie frappée par les sceaux de la malveillance et de la mesquinerie. Il connaissait son lot d’irritations diverses et de petites rages passagères, tout comme ses clients qu’il devait défendre au quotidien. Cet avocat n’oeuvrait pas dans la dentelle pour défendre ces vautours sans scrupules. Les crimes infâmes qu’il défendait ne l’horripilaient guère, car les revenus étaient satisfaisants.

C’est par une froide nuit de décembre que Patrick, victime de son indifférence, connut une panne d’essence alors qu’il déambulait dans les rues non recommandées de Montréal Nord. La Mercedes de celui-ci contrastait avec le décor délabré de la rue sur laquelle elle s’était immobilisée. Le taxi qu’il avait appelé quelques minutes plus tôt s’arrêta aux côtés de la voiture de l’avocat. La détentrice du taxi avait une mine funèbre et patibulaire. Malgré les nobles efforts de Patrick pour écourter les échanges avec cette énergumène, celle-ci lui fit le portrait de sa piètre existence. Elle lui avoua qu’elle était diseuse de bonne aventure à temps partiel et lui proposa un escompte s’il acceptait de se prêter au jeu.

Une fatalité intérieure le poussait vers l’acceptation de cette proposition insensée. Patrick y vit également l’opportunité d’épargner sur sa fortune tout en effectuant sa bonne action de l’année. Une fois que le réservoir était rempli d’essence, la femme prit les mains de l’avocat sur lesquelles le sang coulait encore. Après de longues minutes, celle-ci lui confia qu’il allait bel et bien se rendre à destination.

Patrick la regardait, désarçonné: il connaissait l’incompétence humaine, mais ne l’avait jamais rencontrée de si près. Il poussa un rire espiègle et monta en toute vitesse dans sa voiture sans même avoir réglé l’addition. Faute d’habileté, les mains de l’avocat glissèrent sur son volant et son pied droit pesa sur l’accélérateur.

Par les bienfaits de l’hiver, une plaque de glace l’envoya s’écraser brutalement contre un poteau électrique érigé sur sa gauche. Il n’entendit, ne vit et ne sentit plus rien. Son âme s’était bel et bien rendue à destination: en enfer où elle méritait d’être.

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