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Julen Gracq, un balcon en forêt

Étude de cas : Julen Gracq, un balcon en forêt. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  6 Janvier 2013  •  Étude de cas  •  546 Mots (3 Pages)  •  677 Vues

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« Peut-être qu'il n'y a plus rien? » La terre lui paraissait belle et pure comme après le déluge; deux pies se posèrent ensemble devant lui sur l'accotement, à la manière des bêtes des fables, lissant avec précaution sur l'herbe leur longue queue. « Jusqu'où pourrait-on marcher comme ça? » songea-t-il encore, médusé, et il lui semblait que ses yeux se pressaient contre leurs orbites jusqu'à lui faire mal: il devait y avoir dans le monde des défauts, des veines inconnues, où il suffisait une fois de se glisser. De moment en moment, il s'arrêtait et prêtait l'oreille: pendant des minutes entières, on n'entendait plus rien; le monde semblait se rendormir après s'être secoué de l'homme d'un tour d'épaules paresseux. "Je suis peut-être de l'autre côté" songea-t-il avec un frisson de pur bien-être; jamais il ne s'était senti avec lui-même dans une telle intimité. Il se mit à siffloter et retira son casque ; il le balançait à côté de lui par la jugulaire à la façon d’un panier ; de temps à l’autre, il touchait la crosse de son pistolet dans l’étui, qu’il avait débouclé ; tout sentiment de danger s’était volatilisé, mais le contact de l’arme lui rafraîchissait les doigts ; il aiguisait le sentiment étrange qu’il avait soudain de se suffire, de porter tout avec lui. « La canne à la main !... » Il pensa à Varin avec un pétillement de gaîté, puis le souvenir de Mona lui traversa la tête avec le parfum des branches de mai : il commençait à comprendre ce que Varin avait deviné à sa manière, ce que sans le savoir elle était venue démuseler dans sa vie : ce besoin de faire sauter une à une les amarres, ce sentiment de délestage et de légèreté profonde qui lui faisait bondir le cœur et qui était celui de lâchez tout. « J’ai toujours été rattaché par un fil pourri. » se dit-il avec un petit rire de gorge. De temps en temps, il donnait un coup de pied dans les cailloux du chemin. « La forêt…pensa-t-il encore. Je suis dans la forêt. » Il n’aurait su en dire plus long ; il lui semblait que la pensée aussi se couchait en lui au profit d’une lumière meilleure. Marcher lui suffisait : le monde s’entr’ouvrait doucement au fil de son chemin comme un gué.

- Il n’y a pas d’Allemands, prononça-t-il tout à coup en hochant la tête, et en élevant l’index devant lui, avec la voix mûre de connaissance des ivrognes. Il se sentait un peu comme un ivrogne, qui vacille seulement parce que tous les axes à la fois, soudain, passent par lui : législateurs et juges, invulnérables, racheté.

Julien Gracq, Un balcon en forêt.

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