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Étude du récit Un balcon en forêt de Julien Gracq

Dissertation : Étude du récit Un balcon en forêt de Julien Gracq. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  31 Mai 2015  •  5 051 Mots (21 Pages)  •  1 127 Vues

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GRACQ DISSERTATION

En 1958, Julien Gracq publie Un balcon en forêt qui se présente comme un récit de guerre à la troisième personne, et semble être tiré, comme Le Rivage des Syrtes, d’une expérience de l’Histoire. Le choix du sujet, le lieu du récit, le mode de traitement narratif étonnent peu en vue du reste de l’œuvre de Julien Gracq, et pourtant dès sa publication, Un balcon en forêt dérange la critique, déçoit le public, est assimilé à un « exercice de style »[1], à l’une de ces banales « histoires militaires [qui] retombent trop souvent dans la répétition et la monotonie »[2]. En réalité, Un balcon en forêt manifeste une transformation profonde de l’écriture de Julien Gracq, et marque une rupture importante dans l’œuvre. Un balcon en forêt est un récit qui commence en 1939, lors de la prise de commandement de l’aspirant Grange, pendant la « drôle de guerre », de la maison-forte des Falizes située dans la forêt ardennaise, et se finit le 13 mai 1940 après l’attaque allemande. La construction romanesque s’élabore à partir de la ligne de partage entre l’espace clos du chalet d’alpage qui surmonte le blockhaus et l’espace ouvert de la forêt qui peut devenir champ de guerre. Le balcon désigne donc un lieu isolé et en hauteur, un « toit » qui donne sur « ce haut plateau de forêts suspendu au-dessus de la vallée », en même temps qu’il est lié à la chambre où dorment les hommes de Grange, et que ce dernier appelle « le carré de l’équipage ». Espace transcendantal qui rend possible la contemplation, la redécouverte de soi, le balcon devient le lieu d’une theoria » où le personnage principal peut entendre un appel du dehors, et envisager une sortie hors de soi. En tant que le « theorein » peut se définir comme l’aspiration essentielle à la contemplation[3], et que le lyrisme « est du côté de l’appel et de la postulation »[4], qu’il déploie ses vertus dans l’interprétation sans cesse renouvelée du monde, dans le bouleversement de l’intimité du sujet, que son souci est d’opérer une ouverture ontologique, on peut se demander dans quelle mesure le balcon constitue le champ propre d’action du lyrisme. Dans cette perspective, si l’espace du balcon engage une définition possible d’une expérience lyrique comme subjectivation poétique et reconquête théorétique de soi, et si l’interrogation propre au « theorein » est coextensive d’une angoisse, d’une appréhension du néant et de la rupture du rapport à l’être, peut-on demeurer sur le balcon ? Quel est le risque de l’expérience poétique ? Pour répondre à ces questions, le balcon sera d’abord envisagé comme frontière entre le réel et la fiction, puis comme ouverture sur l’ailleurs, et enfin comme lieu de guet.

Un balcon en forêt a suscité de vives critiques lors de sa publication pour son aspect réaliste qui, pour une partie de la presse et de l’opinion publique, laissait peu de place aux élans lyriques et poétiques des précédents récits de Gracq. De telles critiques dénotent une certaine conception de la littérature, une utilisation de catégories littéraires assez peu valables pour appréhender l’originalité d’Un balcon en forêt, elles n’en restent pas moins pertinentes pour comprendre une première strate narrative. Le récit commence en octobre 1939, et se termine dans la nuit du 13 au 14 mai 1940, ce qui signifie que le temps du récit couvre exactement la durée de la « drôle de guerre ». Le lieu du récit, non loin de la frontière belge, dans les Ardennes, est traité de façon réaliste, et l’on peut d’ailleurs retrouver entre Revin et les Hauts-Buttés la plupart des espaces décrits. De la même manière, la maison-forte des Falizes fait référence à un bâtiment de guerre situé aux environs de Monthermé, certains noms de personnages sont réels, comme le caporal Olivon qui porte le nom d’un soldat que Gracq avait connu dans la section de voltigeurs qu’il commandait pendant l’hiver 1939-1940. Le choix d’un temps du récit et d’une cartographie réalistes, les multiples références à des noms réels, la façon de dépeindre la vie des soldats dans leur quotidien, de décrire avec fidélité et dans le détail leurs habitudes, leurs rites, de transcrire les différents parlers, n’ont pas pour unique fonction de produire des effets de réel, ou de décrire un milieu social. Le dispositif de composition réaliste permet d’orienter la réception du lecteur, de rendre la réalité du récit identifiable, de créer une strate narrative véridique, authentifiable, historique, sur laquelle les strates de la fiction peuvent se déposer par le jeu de glissements, de trahisons, par la libération de l’imaginaire.

Dire à propos de l’œuvre de Gracq que l’on est passé avec Un balcon en forêt de l’imaginaire au réel, « d’un art symboliste et onirique (…) [au] réalisme le plus concret » [5] comme le soutenait André Billy, c’est prendre le risque de cloisonner les textes, de se rendre insensible aux mouvements internes et sourd au lyrisme du Balcon en forêt, d’occulter la puissance symbolique de la forêt. Au début du récit, et dès que le train passe « les faubourgs et les fumées de Charleville (…) », il semble à Grange que « la laideur du monde dispar [aît] » sous l’effet de l’enchantement d’une vallée « toute étincelante de trembles sous la lumière dorée ». Le plaisir et l’envoûtement que connaît Grange disparaissent rapidement, et réapparaissent le soir même pendant la nuit. Le balancement entre la laideur du jour et la beauté envoûtante de la nuit, manifestée dès le début du récit, va scander tout le récit, et n’est que le pendant rythmique, cyclique, d’une autre opposition, elle topologique, entre le quotidien morose dans la maison-forte et les errances oniriques de Grange dans la forêt. Il ne s’agit donc pas de s’engager dans une polémique pour statuer sur la nature du récit, savoir s’il est réaliste ou poétique, historique ou onirique, mais de comprendre que le texte est travaillé par des matrices d’oppositions, comme nuit/jour, fort/forêt, immobilité au fort/dérive dans la forêt, guerre/rêve, qui produisent des séries hétérogènes à l’intérieur du texte, des arcs narratifs dont le point de convergence est le balcon comme lieu d’une tension lyrique. Un balcon en forêt présente une première strate constituée d’éléments réalistes, de signifiants authentifiables, d’objets fixes, et qui ancre le récit dans l’histoire. La deuxième strate se compose d’une matière fictive, de signifiants sans attache dans le réel, de mouvements oniriques, d’éléments

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