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Croire et détruire, Christian Ingrao

Fiche de lecture : Croire et détruire, Christian Ingrao. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  29 Avril 2017  •  Fiche de lecture  •  3 246 Mots (13 Pages)  •  663 Vues

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Soraya Jean-Louis

HISTOIRE DE L’EUROPE DU XXème SIECLE

FICHE DE LECTURE

Publié en 2010 à l’édition de la librairie Arthème Fayard, collection  Pluriel, Croire et détruire : les intellectuels dans la machine de guerre SS, essai de 450 pages issus d’une thèse de doctorat, Les intellectuels du service de renseignements de la SS 1900-1945, est l’œuvre du docteur en histoire Christian Ingrao. Ancien directeur adjoint de l’Institut d’Histoire du temps présent au CNRS (2005-2008) et maître de conférences à l’IEP de Paris, l’auteur est un spécialiste du nazisme et des violences de guerre nazies.  Actuellement, il se focalise plus particulièrement sur l’étude comparée des violences de guerre au XXe siècle, et sur la dimension culturelle du nazisme ainsi que les violences du front de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale.

En mobilisant les apports de l’« anthropologie de la violence » afin de déceler les spécificités de la « culture de guerre » allemande, il se revendique de l’histoire culturelle. Cette tradition historiographique qui a fait son apparition dans les années 1980 présente la culture comme l’ensemble des représentations collectives propres à une société, il est donc question de faire une histoire sociale des représentations. C’est ce qui explique la dimension collective que prend cette biographie de 80 cadres nazis haut placés, ayant été membres du Sicherheitsdienst (SD) de la SS  et la démarche environnementaliste de l’auteur. Ainsi, tout comme Edouard Conte et Comelia Essner dans Quête de la race : une anthropologie du nazisme [1], il se focalise sur l’imaginaire nazi  afin de proposer une histoire compréhensive du militantisme. A vrai dire, tout au long de l’essai, on décèle cette volonté d’outrepasser une ancienne tradition historiographique –que nous évoquerons plus bas –, et l’idée de construction sociale de la réalité[2] présente en arrière-plan impose une certaine rigueur méthodologique qui pousse l’auteur à faire ressortir les invariants bibliographiques liant une multitude d’expériences singulières. Il s’agit alors de restituer les cohérences internes, les logiques implicites, afin de faire une véritable histoire des sensibilités et des représentations de cette génération d’enfants de la Grande guerre, et de rendre visible les mécanismes collectifs expliquant les déploiements de violence futurs.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le choix de la biographie collective, qui loin de favoriser une histoire trop personnifiée du nazisme –au sens où elle serait éparse, sans véritable ligne directrice – apporte des nuances. En se détachant des archives officielles, l’auteur s’éloigne de l’histoire officielle et se débarrasse du mythe totalitaire selon lequel Hitler serait à l’origine de tout et engloberait tout le nazisme. En étudiant les archives, les lettres, les documents personnels, on se rend vite compte que le nationalisme raciste précède de loin le führer, qui n’est que le personnage charismatique qui a su canaliser le mal du siècle  - le mécontentement, le désarroi, les craintes – de l’entre-deux-guerres. Le nazisme est donc bien un système de croyances agencé en discours et en pratiques spécifiques, s’articulant dès les années 1920 dans les universités, plus particulièrement les universités frontalières.

L’initiative d’Ingrao n’est pas isolée, le champ de l’histoire du nazisme est marqué par le retour en force des biographies individuelles et collectives, ce qui dénote une tentative de réponse à la controverse opposant Browning et  Golhagen au début des années 1990. Dans la ligne de Browning, une majorité d’historiens considéraient les nazis comme des hommes ordinaires qui se seraient laissé emporter par des dynamiques de groupe. Le génocide juif est donc étudié à la lumière de la psychologie sociale inspirée, entre autre, de la Psychologie des foules de Gustave Lebon. La deuxième approche, beaucoup plus minoritaire considère les allemands comme des « bourreaux volontaires » qui seraient imprégnés d’une tradition séculaire d’antisémitisme exterminateur. Si les deux approches mettent en avant certains éléments véridiques, il est clair qu’elles sont assez réductrices. On ne peut pas nier que le nazisme provoque des effets d’entrainement des masses, Hitler étant lui-même un lecteur de G. Lebon. En tant qu’alternative à la démocratie libérale, le totalitarisme allemand est un outil d’intégration des masses. Ce qui explique la mise en place d’une série de mécanismes, telle la forte ritualisation des événements officiels afin de favoriser « l’unité mentale des foules », dans cette idée que « peu aptes au raisonnement, les foules sont au contraire très aptes à l'action »[3]. D’autre part, on ne peut pas nier que la conception de la nation culturelle allemande – expression empruntée à Herder – étant basée sur les liens de sangs jadis défendus par les romanistes notamment les frères Grimm, est profondément excluant. Toutefois ce ne sont là que deux facteurs d’explication parmi tant d’autres.  C’est justement pour dépasser cette opposition binaire qu’Ingrao -ainsi que d’autres historiens- se focalise sur les trajectoires individuelles et de groupe afin d’analyser les mobiles précis poussant à adhérer au nazisme.

Il convient de revenir sur le mythe du « bourreaux inculte ». Dans les 80 cadres dirigeants des organes de répression du IIIe Reich, 60 % d'entre eux ont étudié à l'université. Et 30 % étaient titulaires d'un doctorat – le plus souvent de droit ou d'économie. Ces chefs des groupes d’intervention, soit les Einsatzgruppen que Raoul Hilberg traduit par « commandos mobiles de tueries », sont bel et bien des gens éduqués, des intellectuels souvent brillants dans leur domaine. A vrai dire, si Ingrao n’est pas le seul à s’intéresser à leur sort, son approche est originale. Michaël Prazan par exemple, dans son ouvrage Dans la tête des bourreaux, Einsatzgruppen, Sur les traces des commandos de la mort nazis, s’appuie sur cette idée de « banalité du mal » d’Hannah Arendt, en mettant en avant la sauvagerie irrationnelle desdits « bourreaux ». Christian Ingrao lui, ouvre de nouvelles pistes de réflexion. L’idée reçue, héritée d’une historiographie en vogue après la guerre, fait des dirigeants nazis de simples ressortissants d’une classe moyenne déclassée et frustrée, des fous et des ratés. Or, la réalité est bien plus complexe puisque ce sont aussi des « concepteurs de l’anéantissement » selon l’expression des historiens Götz Aly et Susanne Heim, qui de surcroit sont issus des filières d’excellence. L’étude d’Ingrao s’inscrit dans une tendance plus récente de la recherche, qui insiste sur la participation des intellectuels dans les rouages du nazisme hitlérien.

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