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Conrad, au cœur des ténèbres

Fiche de lecture : Conrad, au cœur des ténèbres. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  29 Avril 2017  •  Fiche de lecture  •  2 261 Mots (10 Pages)  •  1 568 Vues

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Soraya Jean-Louis

REPRESENTATIONS COLONIALES

FICHE DE LECTURE

Teodor Józef Konrad Korzeniowski est né le 3 décembre 1857 à Berditchev en Pologne. Dès son plus jeune âge, il développe un Gout des voyages qui le pousse à quitter sa ville natale en 1874, alors qu’il n’a que 17 ans, pour s’engager dans la marine française puis anglaise. Au cœur des ténèbres - œuvre qui lui vaudra un grand succès notamment après l’adaptation de Francis Ford Coppola dans Apocalypse now - parait pour la première en feuilleton dans le Blackwood's Magazine en 1899.

Ce voyage de Marlow, le protagoniste, à la recherche de Kurtz un collecteur d’ivoire, s’apparente à une recherche de la vérité. Le titre de l’œuvre, originellement The heart of darkness résume parfaitement le projet de l’auteur. D’une part il y a cette idée de voyage au cœur de l’Afrique noire – le Congo. D’autre part, il dénote une certaine désillusion face à l’entreprise coloniale,  les ténèbres renvoyant à l’aspect sinistre de la colonisation. Malgré son côté avant-gardiste l’auteur est rattrapé par les représentations de son temps. En effet, le cœur des ténèbres symbolise cette Afrique n’ayant jamais connu les Lumières, c’est donc « un voyage en arrière vers les premiers commencements du monde » qu’entreprend Marlow.

Si Conrad opère une certaine critique du colonialisme[1], il n’arrive pas à se détacher du « réductionnisme européen »[2]. Comment cela se reflète-t-il dans l’œuvre ?

La dichotomie entre nature et culture structure l’œuvre. Si  Conrad dénonce la colonisation, il ne peut se détacher de la conception hiérarchisée de la race humaine propre à son époque – on le remarque surtout dans le passage ou le prétendu médecin pratique la phrénologie sur Marlow, afin d’être sure qu’il est apte à faire le voyage. S’il défend les « sauvages », il les considère tout de même comme des êtres naturels, dénués de toutes cultures. Anglais, Français ou Belges, se  considéraient comme porteurs de civilisation. La tante du narrateur « parlait d’arracher ces millions d’ignorants [les africains] a leurs mœurs abominables », c’est le discours au cœur de ladite mission civilisatrice des européens. A maintes reprises, Marlow souligne le fait qu’ils apparaissent de nulle part et arrivent à se fondre dans le foret (« disparaissait sans aucun mouvement perceptible de retraite »). Cette proximité avec la forêt  (ou la nature en général) est signe d’infériorité, surtout à la fin du siècle où l’urbanisation tend à regrouper les populations dans des villes. Leur style vestimentaire primitif – avec l’utilisation du fameux tamtam – doublé d’un mode de vie primitif – avec le cannibalisme - ne fait que les éloigner du monde civilisé.

A vrai dire l’auteur joue avec la figure du « bon » et du « mauvais sauvage », notamment en ce qui concerne l’anthropophagie. Alors que celle-ci ne se pratique que dans des rituelles spécifiques, et a un rôle avant tout symbolique, Conrad nourrie le stéréotype du cannibale sanguinaire. S’opère donc un processus d’animalisation des colonisés, ce qui aboutit à une certaine déshumanisation de ces êtres primitifs ensauvagés. Il existe donc des liens inextricables entre Racisme et culture, « le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, aux pullulements, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire »[3].

C’est ce langage  - la notion de « sauvage » est omniprésente - qui alimente la théorie du « chainon manquant », théorie découlant du darwinisme social, cantonnant la race noire à l’enfance de la civilisation. En effet, si la pensée coloniale de l’époque ne se présente pas comme une question foncièrement raciale, elle repose sur l’idée d’un décalage entre populations colonisatrices et colonisées.

Le peuple africain semble être resté coincé à l’aurore de la civilisation. Les indigènes n’ont pas de conception claire du temps, ce qui est un signe d’infériorité flagrante dans une époque où débute le culte de la vitesse avec l’industrialisation. De plus, ils sont incapables de s’exprimer correctement (« Manger eux »), et produisent des « chapelets de mots qui ne ressemblent au son d’aucune langue humaine ». Il y a donc une remise en question de l’unité du genre humain, puisque le « sauvage » possède un ensemble de « tares morales »[4] qui l’éloigne de la civilisation. Conrad est dans le même registre que A. Sarraut, qui constatait que « l’indigène, surtout en pays noir, est en général paresseux, indolent, imprévoyant. Il aime à bavarder ici sous le banian, là sous le baobab, à chanter, à danser, à fumer, à dormir surtout. »

De surcroit, les africains sont ancrés dans un mysticisme profond. Même le « spécimen amélioré », qui savait mettre  le feu dans  la chaudière du vapeur, pensait que « l’esprit mauvais dans la chaudière se mettrait en colère » si l’on n’apaisait pas sa soif. Ainsi le pauvre diable est constamment préoccupé à l’idée de faire l’objet de cette vengeance. L’auteur n’a pas pu e détacher des représentations concernant le fétichisme africain. Ceux-ci sont d’autant plus considérés comme un peuple enfant, du fait qu’ils croient aux esprits – un peu comme les enfants croient aux démons.

La faiblesse africaine est aussi perceptible dans leurs armes, qui se réduisent à de pauvres flèches (parfois empoisonnées) alors qu’au vieux continent l’évolution technique va donner naissance aux obus des « No man’s land ». Cette asymétrie de pouvoir est particulièrement décalquée lors de l’attaque du vapeur. Les « sauvages » ont attaqué avec leurs flèches et ont eu droit aux canons du bateau en retour. Ce passage appuie l’idée d’absence et de progrès du continent Afrique[5].  

Ce dans le but de combattre cette absence de civilisation que « L’association internationale pour la suppression des coutumes sauvages » a vu le jour. Dans son rapport Kurtz s’approprie la théorie évolutionniste, en soulignant qu’en tant que « classent d’humains surnaturels », ils ont le droit de guider ces sous-hommes. En fait, la colonisation naît du constat de l’existence de populations dotées de niveaux de « force » différents, lequel impose comme devoir à la société plus forte, plus avancée ou plus civilisée la prise en charge les peuples avec une psychologie infantile.

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