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Commentaire : quatre dernières strophes de la première Bucolique de Virgile

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Par   •  1 Mai 2020  •  Fiche de lecture  •  2 506 Mots (11 Pages)  •  533 Vues

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COMMENTAIRE DE LA PREMIERE EGLOGUE DES BUCOLIQUES DE VIRGILE : QUATRE DERNIERES STROPHES

Extrait de la première églogue des Bucoliques de Virgile, rédigées de 40 à 37 avant JC, les premiers textes latins à utiliser l’hexamètre dactylique grec à l’instar de Théocrite dont Virgile s’inspire, ce chant amébée met en scène deux bergers, Tityre et Mélibée, discutant de l’expropriation ordonnée par Auguste pour récompenser les vétérans de la guerre. Virgile avait lui-même été victime de cette expropriation et n’a pu récupérer son propre domaine de Mantoue que par l’entremise de ses relations à Rome : sa situation est donc similaire à celle de Tityre, qui jouit encore de son domaine grâce à la générosité de l’empereur Auguste divinisé ; de son côté, Mélibée est exilé avec son troupeau comme les autres bergers et n’a nulle part où aller, mais ne montre cependant aucune jalousie et admire la chance de son collègue. Dans les quatre dernières strophes, les deux bergers chantent le bonheur de Tityre avant de se séparer, réunis le temps d’une vision poétique.

Comment l’art poétique du genre pastoral se met-il au service d’une dénonciation de l’injustice sans pour autant verser dans la révolte ouverte ? Nous suivrons l’ordre du poème et procèderons à une analyse strophe par strophe.

Dans la strophe 9, le chevrier Mélibée chante le bonheur de Tityre sur un mode encomiastique. Il ne montre aucune animosité envers son collègue, mais plutôt du lyrisme voire une certaine admiration : le syntagme au vocatif Fortunate senex  qui rythme la strophe en anaphore (v. 46 et 51) semble avoir une valeur presque béatifiante, comme si le bonheur de Tityre était trop éclatant pour être humain, et fait écho au deus mentionné dans les deuxièmes, sixièmes et huitièmes strophes (Auguste, non nommé mais identifiable). L’emploi du futur manebunt  (v.46)  temptabunt    (v. 49)    laedent    (v.50) reprend cette connotation spirituelle puisqu’elle donne à l’admiration de Mélibée des allures de prophéties ou d’apotropaïsme -domaine divin. L’aria mentionne un endroit moyennement confortable, typiquement mantouan,    limosoque palus abducat pascua iunco    (l.48), mais qui grâce à la fibre poétique (donc inspirée par les dieux et les muses), se change en havre de paix :    non insueta…opacum   . Une haie    limite    (v.53) le sépare de ses voisins inconnus donc dangereux    insueta    ; des indicateurs spatio-temporels ferment et délimitent l’espace familier    nota    :     inter       ab       sub    ad .  Tityre est protégé du monde extérieur. Des termes suggérant l’absolu sont employés :    magna    (v. 47)    omnia    (v. 47)    non … nec   (v. 49 et 50)  : rien ne viendra troubler la quiétude de Tityre. Ainsi la pérennité de la possession (dont justement Mélibée est privé) donne aux pâturages les plus modestes des airs de petit paradis, d’Olympe miniature. Une verticalité ascensionnelle, donc spirituelle, se dessine, sont mentionnés dans cet ordre l’émondeur    frondator   , les ramiers    palumbes   , et enfin, point d’orgue,    aeria turtur ulmo   . Tous les êtres sont en symbiose et en harmonie dans cette nature parfaite. Les abeilles d’Hybléa    hyblaeis apibus    (v.54) viennent de Sicile et sont reconnues pour la qualité de leur miel. La Sicile est à mille lieues de Rome, c’est une terre riche dont on prétend qu’elle n’a pas connu la fin de l’Age d’Or où les hommes (ou les cyclopes, selon Théocrite dont Virgile s’inspire) n’ont même pas besoin de travailler pour subvenir à leurs besoins. Cette géographie floue et distordue place le poème dans un champ onirique.  C’est également une déclaration sensuelle : sont convoqués la thermoception,    frigus    (v.52)  l’ouïe,    sussuro    (v. 55),    canet    (v. 56)    raucare    (v. 57)    gemere    (v.58), ainsi le lecteur, dont les sens sont interpellés, se prend à rêver, comme Mélibée, de ce coin de paradis dont il est privé (puisqu’enfermé chez lui).

Tityre, dans la dixième strophe, répond par un adynaton au futur    pascentur       destituent       bibet    qui court sur quatre vers (v. 59 à v. 62). Il semble ignorer Mélibée, ne reprenant aucun des termes employés dans la précédente strophe de l’adynaton, il semble flotter sur son petit nuage. Il accable d’admirations le généreux dieu à qui il doit son bonheur, son petit Age d’Or personnel, donc toujours dans un registre encomiastique. Les cerfs qui paissent dans les nuages, les poissons qui marchent, les géographies opposées qui se croisent : tous les êtres sont dissociés de leur milieu ; les opposés échangent de place dans un parallélisme de construction (les gens, puis les fleuves à l’autre bout de leur monde, tous d’ailleurs sous la souveraineté d’Auguste qui est donc encore davantage glorifié). Tout cela contribue à renforcer l’aspect déjà onirique du texte, mais cette fois, c’est à prendre au sens figuré, car cette figure de style sert à insister sur tout l’amour que Tityre porte à son généreux Dieu. Plus tôt dans le poème, il s’y réfère par des pronoms caractéristiques    nobis       mihi    qui soulignent la relation privilégiée qu’il entretient avec son protecteur. Cela contraste avec l’antinomie    ti   /nos    employée par Mélibée. Le fait que ce dieu se trouve jusque dans le cœur de Tityre    pectore    joue encore sur son hégémonie.

Mélibée, antithèse de Tityre, fait brutalement redescendre le lecteur sur terre. Il raconte le départ pour l’exil, vers l’inconnu, l’incertain : la plupart des verbes sont au futur simple de l’indicatif. Déjà, contrairement à Tityre, il n’est pas seul, il y a plein d’autres bergers exilés avec lui    nos   . Le crescendo déploie le pathos : les lieux de l’exil (v.64-66), la demeure perdue (v 67-69), l’impiété de l’occupant qui le chasse de chez lui et les malheurs de la guerre civile. (v.70-72). L’exotisme des noms de contrées lointaines    Afros       Scyathiam       Oaxen       Britannos    est loin d’être onirique comme chez Tityre : c’est l’inconnu effrayant. L’absence de parallélisme de construction (contrairement à la strophe précédente), souligne le hasard de cet exil. L’éloignement est traduit en termes hyperboliques : la Bretagne loin au bout et à l’opposé du monde    penitus totos diuisos orbe   . (v. 67), violents    sitientis   ,    rapidum   , abrupts    divisos   . A noter que la traduction française évite la lourdeur du texte original pour lui préférer une élégante synecdoque    l’Afrique assoiffée    au lieu    chez les Africains qui sont assoiffés   .

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