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Vivant Denon, Point de lendemain, 1812

Cours : Vivant Denon, Point de lendemain, 1812. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Juin 2023  •  Cours  •  2 652 Mots (11 Pages)  •  169 Vues

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Chapitre 2 – LL 2 du parcours Vivant Denon – Personnages en marge et plaisir du romanesque

Vivant Denon, Point de lendemain, 1812

Ce court récit libertin a été écrit en 1777 par Vivant Denon (1747-1825), infatigable voyageur, passionné d’égyptologie et d’histoire de l’art, qui fut chargé de l’organisation du musée du Louvre à sa création en 1802.    

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J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elle était amie de T..., qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra, madame de T... avait des principes de décence, auxquels elle était scrupuleusement attachée.

     Un jour que j'allais attendre la comtesse dans sa loge, je m'entends appeler de la loge voisine. N'était-ce pas encore la décente madame de T... ? «Quoi ! déjà ! me dit-on. Quel désœuvrement ! Venez donc près de moi». J'étais loin de m'attendre à tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et d'extraordinaire. On va vite avec l'imagination des femmes, et dans ce moment, celle de madame de T... fut singulièrement inspirée. «Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d'une pareille solitude ; puisque vous voilà, il faut ... l'idée est excellente. Il semble qu'une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir ? Ils seraient vains, je vous en avertis ; point de questions, point de résistance... appelez mes gens. Vous êtes charmant». Je me prosterne... on me presse de descendre, j'obéis. «Allez chez monsieur, dit-on à un domestique ; avertissez qu'il ne rentrera pas ce soir...» Puis on lui parle à l'oreille, et on le congédie. Je veux hasarder quelques mots, l'opéra commence, on me fait taire : on écoute, ou l'on fait semblant d'écouter. A peine le premier acte est-il fini, que le même domestique rapporte un billet à madame de T..., en lui disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d'avoir pu m'informer de ce qu'on voulait faire de moi.

     

Introduction : Incipit d’un court récit libertin qui permet de découvrir les mésaventures d’un personnage dont on ignore tout à part qu’il appartient au monde de l’aristocratie.

Enjeu : nous verrons comment le récit met en lumière le plaisir de la mise en scène et du romanesque.

 I - 1er mouvement : ligne 1 à 7 portraits savoureux

La 1ère phrase semble donner un portrait du personnage qui prend en charge le récit de son aventure. Le « je » laisse supposer un récit sans que l’on sache, dans cette version de 1812 à qui est fait le récit.

Cet effacement de la situation énonciative donne lieu à un texte qui existe sans expliquer comment il a pu être écrit. On peut noter une différence avec Manon Lescaut et la légitimation du récit par le récit cadre de Renoncour. Ce type de roman donnera naissance au roman moderne, qui se débarrasse du problème de sa propre légitimation. L’acte d’énonciation lui-même n’est pas effacé, bien entendu, puisque le récit est à la première personne, mais le lieu où ce ‘je’ se situe quand il parle disparaît ou, plutôt, il se dissout dans le n’importe où.

La multiplication de l’asyndète[1] conduit le lecteur à suppléer au manque de lien. Quel lien entre les 2 premières propositions : J’aimais éperdument la comtesse de *** // j’avais vingt ans. Il faut noter d’abord l’ordre des deux propositions, sa liaison avec la comtesse prime sur un élément le définissant ou plutôt, il se définit d’abord par sa liaison amoureuse. La 2ème proposition peut être une explication, justification à l’usage de l’adverbe « éperdument », instaurant ici une distance entre le « je » narré, naïf et amoureux et le « je » narrant qui a appris à connaître la comtesse ou tout simplement les femmes et qui fait mention de son jeune âge pour justifier (ou tout au moins expliquer) cet amour passionné.

La 3ème proposition, coordonnée semble surenchérir ou expliciter ce qui était sous-entendu dans la 2ème : parce qu’il n’a que 20 ans, il est ingénu = Naïf, simple, franc, qui est sans déguisement, sans finesse (dictionnaire de l’Académie).

Les 3 propositions suivantes s’inscrivent dans la continuité des précédentes : « elle me trompa » montre bien la naïveté du personnage qui n’a pas pleinement compris alors qui est vraiment sa maîtresse (dont il tait le nom, comme est passé sous silence aussi celui de « T… » et pour les mêmes raisons). Si la comtesse le quitte c’est tout simplement parce qu’il n’a pas à lui faire de scène pour son infidélité. Cela nous éclaire sur leurs relations. Ce que suggère l’incipit, c’est le rôle de formatrice qu’elle occupe vis-à-vis d’un personnage ingénu. La Comtesse s’inscrit dans une lignée littéraire assez vaste de femmes galantes dont le rôle est d’initier aux jeux de l’amour et de la société des hommes à peine sortis de l’adolescence.[2]

La seconde phrase, construite également avec une succession d’asyndètes et de propositions très courtes souligne :

  • La naïveté du personnage (qui regrette sa maîtresse)
  • Mais aussi le fait que la comtesse lui pardonne en raison de son âge (non parce que cet âge est une excuse de son comportement mais parce que son âge est un attrait pour elle)

La ligne 3 ( et fin de cette 2ème phrase) est une sorte de conclusion concernant la scène et la situation initiale. L’histoire qui va nous être racontée par le personnage débute à un moment de parfait bonheur mais aussi de parfaite naïveté, les deux étant ici liés. Il est très clair ici que la phrase est ironique, comme le souligne la distance prise à travers la proposition subordonnée circonstancielle de cause « comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé mais plus quitté », le modalisateur « je me croyais l’amant le mieux aimé » Ici cela sous-entend aussi qu’il se trompe et a pour fonction d’éveiller la curiosité du lecteur. Le « je » narrant se moque ouvertement de la naïveté du « je » narré qui est aveuglé en ce qui concerne l’amour (avec le superlatif absolu « le mieux aimé» + « le plus heureux »). On notera également le lien qui est fait entre amour et bonheur, l’un étant la condition de l’autre.

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